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SATIRE X.

Nfin bornant le cours de tes galanteries

Alcippe, il eft donc vrai, dans peu tu te mariés.
Sur l'argent, c'est tout dire, on eft déjà d'ac-
cord.

Ton Beaupere futur vuide fon coffre fort:
Et déja le Notaire a, d'un ftile énergique,
Griffonné de ton joug l'inftrument authentique.
C'eft bien fait. Il est temps de fixer tes de firs.
Ainfi que fes chagrins l'Hymen a fes plaifirs.
Quelle joye en effet, quelle douceur extrême!
De fe voir careffé d'une Epoufe qu'on aime :
De s'entendre appeller petit Cœur, où mon Bon;
De voir autour de foi croiftre dans fa maifon,
Sous les paifibles loix d'une agreable Mere,
De petits Citoyens dont on croit eftre Pere!
Quel charme! au moindre mal qui nous vient menacer,
De la voir auffi-toft accourir, s'empreffer,
S'effrayer d'un peril qui n'a point d'apparence,
Et fouvent de douleur fe pâmer paravance.
Car tu ne feras point de ces Jaloux affreux,
Habiles à ferendre inquiets, malheureux,
Quitandis
Qui tandis qu'une Epoufe à leurs yeux fe defole,
Penfet toujours qu'un autre en fecret la confole.
Mais quoy, je voy déja que ce difcours t'aigric.
Charmé de Juvenal †, & plein de fon efprit
Venez-vous, diras-tu, dans une piece outrée,
Comme lui nous chanter: Que dés le temps de Rhe
La Chafteté deja, larongeur fur le front,
Avoit chés les Humains receu plus d'un affront:
Qu'on vid avec le fer naiftre les Injustices,
L'Impiete, l'Orgueil, & tous les autres Vices,
Mais que la Bonne foy dans l'amour conjugal
N'alla point jusqu'au temps du troifiéme Metal?

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† Juvenal a fait une Satire-contre les Femmes, qui eft son plar bil Ouvrage.

*Paroles du commencement dè la Satire de Juvenak.

Ces mots ont dans fa bouche une emphâze admirable:
Mais je vous dirai, moi, fans alleguer la fable,

Que fi fous Adam mesme & loin avant Noé,
Le Vice audacieux des Hommes avoué

A la trifte Innocence en tous lieux fit la guerre,
Il demeura pourtant de l'honneur fur la Terre:
Qu'aux temps les plus féconds en Phrynés, en Lays,
Plus d'une Penelope honora fon pays;

Et que meime aujourd hui, fur ces fameux modeles.,,
On peut trouver encor quelques Femmes fideles.
Sans doute, & dans Paris, fi je fçay bien.compter,
Il en eft jufqu'à trois, que je pourois citer..
Ton Epoufe dans peu fera la quatriéme..
Je le veux croire ainfi : Mais la Chasteté mesme
Sous ce beau nom d'Epoufe entraft-t-elle chés toy;
De retour d'un voyage, enarrivant, cray moy,
Fais toûjours du logis avertir la maistreffe.
Tel partit tout baigné des pleurs de fa Lucrece,
Qui faute d'avoir pris ce foin judicieux,

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Trouva. Tu fçais... Je fçay que d'un conte odieux
Vous avés comme moi fali voftre memoire.

Mais laiffons-là, dis-tu, Joconde & fon hiftoire.
Du projet d'un Hymen déja fort avancé, ogul omandas
Devant vous aujourd'hui criminel denoncé, meld
Et mis fur la fellete aux piés de la Critique, thratrof
Je voy bien tout de bon qu'il faut que je m'explique.
Jeune autrefois par vous dans le monde conduit
J'ay trop bien profité, pour n'estre pas inftruic
A quels difcours malins le Mariage expoze..
Je fçai, que c'eft un texte où chacun fait la gloze:
Que de Maris trompés tout rit dans l'Univers,
Epigrammes, Chanfons, Rondeaux, Fables en vers
Satire, Comedie; & fur cette matiere,

J'ay veu tout ce qu'ont fait la Fontaine & Moliere,
J'ay leu tout ce qu'ont dit Villon, & Saint Gelais,
Ariofte, Marot, Bocace, Rabelais,

Et tous ces vieux Recueils de Satires naïves
Des malices du Sexe immorteles archives,

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Mais, tout bien balancé, j'ay pourtant reconnu,
Que de ces contes vains le Monde entretenu
N'en a pas de l'Hymen moins veu fleurir l'ufage';
Que fous ce joug moqué tout à la fin s'engage:
Qu'à ce commun filet les Railleurs mefmes pris
Ont efté trés-fouvent de commodes Maris;
Et que pour eftre heureux fous ce joug falutaire
Tout dépend en un mot du bon choix qu'on fçait faire.
Enfin, Il faut ici parler de bonne foy,

Je vieillis; & ne puis regarder fans effroy,
Ces Neveux affamés, dont l'importun visage
De mon bien à mes yeux fait déja le partage.
Je croy déja les voir, au moment annoncé
Qu'à la fin, fans retour, leur cher Oncle eft paffé,
Sur quelques pleurs forcés qu'ils auront foin qu'on voye,
Se faire confoler du fujet de leur joyé.

Je me fais un plaifir, à ne vous rien celer,
De pouvoir, moi vivant, dans peu les defoler
Et, trompant un.efpoir pour eux fi plein de charmes,
Arracher de leurs yeux de veritables larmes,

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Vous dirai-je encor plus? Soit foibleffe, ou raison,
Je fuis las de me voir les foirs en ma maison
Seul avec des Valets fouvent voleurs & traitres,
Et toûjours à coup feur ennemis de leurs Maiftres.
Je ne me couche point, qu'auffi-toft dans mon lit
Un fouvenir fafcheux n'apporte à mon efprit,
Ces Hiftoires de morts lamentables, tragiques,
Dont Paris tous les ans peut groffir fes Chroniques.
Dépouillons-nous ici d'une vaine fierté.

Nous nailons, nous vivons pour la focieté.
A nous mefmes livrés dans une folitude
Nôtre bonheur bien-toft fait noftre inquietude;
Et i, durant un jour, notre premier Ayeul
Plus riche d'une cofte avoit vefcu tout feul,
Je doute, en fa demeure alors fi fortunée,
S'il n'euft point prie Dieu d'abreger la journée.
N'allons donc point ici reformer Univers,
Ni par de vains difcours, & de frivoles vers

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[ché.

Etalant au Public nôtre mifanthropie,
Cenfurer le lien le plus doux de la vie.
Laiffons-là, croyés moi, le monde tel qu'il eft.
L'Hymenée est un joug, & c'eft ce qui m'en plaist.
L'Homme en fes paffions toûjours errant fans guide:
A befoin qu'on lui mette & le mors & la bride.
Son pouvoir malheureux ne fert qu'à le gefner,
Et pour le rendre libre, il le faut enchaîner.
C'est ainsi que fouvent la main de Dieu l'affiste.
Ha bon! voila parler en docte Janfenifte!
Alcippe, & fur ce point fi fçavamment touché,
Des-mares, dans faint Roch, n'auroit pas mieux pref-
Mais c'est trop t'infulter. Quittons la raillerie.
Parlons fans hyperbole & fans plaifanterie.
Tu viens de mettre ici l'Hymen en fon beau-jour.
Enten donc : & permets, que je prefche à mon tour.
L'Epouse que tu prens, fans tache en fa conduite,
Aux vertus, m'a-t-on dit, dans Port-Royal inftruite,
Aux loix de fon devoir regle tous fes defirs.
Mais qui peut t'affeurer, qu'invincible aux plaifirs
Chés toi dans une vie ouverte à la licence,
Elle confervera fa premiere innocence?
Par toi-mefme bien-toft conduite à l'Opera,
De quel air penfes-tu, que ta Sainte verra
D'un fpectacle enchanteur la pompe harmonieufe,
Ces danfes, ces Heros à voix luxurieuse;

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Entendra ces difcours fur l'amour feul roulans,
Ces doucereux Renauds, ces infenfés Rolands;
Sçaura d'eux qu'à l'Amour comme au feul Dieu fuprê
On doit immoler tout, jufqu'à la vertu mefme: [me,
Qu'on ne fçauroit trop toft fe laiffer enflammer:
Qu'on n'a receu du Ciel un cœur que pour aimer;
Et tous ces Lieux communs de Morale lubrique
Que Lully rechauffa des fons de fa mufique?"
Mais de quels mouvemens dans fon cœur excités
Sentira-t-elle alors tous fes fens agités ?
Je ne te refpons pas, qu'au retour moins timide
Digne Ecoliere enfin d'Angélique & d'Armide,
* Le Pere Des-mates, fameux Predicateur.

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Elle n'aille à l'inftant pleine de ces doux fons,
Avec quelque Medor pratiquer ces leçons.
Suppofons toutefois, qu'encor fidele & pure
Sa vertu de ce choc revienne fans bleffure.
Bien-toft dans ce grand Monde, où tu vas l'entraîner,
Au milieu des écueils qui vont l'environner,
Crois-tu que toûjours ferme aux bords du précipice
Elle poura marcher fans que le pié lui gliffe?
Que toûjours infenfible aux difcours enchanteurs
D'un'idolatre amas de jeunes Seducteurs,
Sa fageffe jamais ne deviendra folie?

D'abord tu la verras, ainfi que dans Clélie,
Recevant fes Amans fous le doux nom d'Amis
S'en tenir avec eux aux petits foins permis;
Fuis bien-toft en grande eau fur le fleuve de Tendre,
Naviger à fouhait, tout dire, & tout entendre.
Et ne préfume pas que Venus, ou Sathan
Souffre qu'elle en demeure aux termes du Roman.
Dans le crime il fuffit qu'une fois on débute,
Une chûte toûjours attire une autre chûte.
L'honneur eft comme une lfle escarpée & fans bords..
On n'y peut plus rentrer dés qu'on en eft dehors.
Peut-eftre avant deux ans ardente à te déplaire,
Eprife d'un Cadet, yvre d'un Moufquetaire,
Nous la verrons hanter les plus honteux brelans,
Donner chés la Cornu rendés-vous aux Galans ;
De Phêdre dédaignant la pudeur enfantine,
Suivre à front découvert Z... & Mellaline:
Conter pour grands exploits vingt-hommes rüinés,
Bleffés, battus pour elle, & quatre affaffinés;
Trop heureux fi toûjours Femme defordonnée,
Sans mefure & fans regle au vice abandonnée, !
Par cent traits d'impudence aifés à ramaffer,
Elle t'acquiert au moins un droit pour la chaffer.
Mais que deviendras-tu? fi, folle en fon caprice;
N'aimant que le scandale & l'éclat dans le vice,
Bien moins pour fon plaifir, que pour t'inquieter,
Au fond peu vicicule elle aime à coqueter ?

En

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