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Le fommeil fur fes yeux commence à s'épancher.
Debout, dit l'avarice, il eft temps de marcher.
Hé laiffez-moi. Debout. Un moment. Tu repliques?
A peine le Soleil fait ouvrir les boutiques.

N'importe, leve-toi. Pourquoi faire, aprés tout?
Pour courir l'Ocean de l'un à l'autre bout,
Chercher jufqu'au Japon la porcelaine & l'ambre,
Rapporter de Goa le poivre & le gingembre.
Mais j'ay des biens en foule, & je puis m'en paffer..
On n'en peut tropavoir; & pour en amaffer,.
Il ne faut épargner ni crime ni parjure:

Il faut fouffrir la faim, & coucher fur la dure ::
Euft-on plus de tréfors que n'en perdit Galet,
N'avoir en fa maison ni meubles ni valet ::
Parmi les tas de blé vivre de feigle & d'orge,
De peur de perdre un liard, fouffrir qu'on vous égorge.
Et pourquoi cette épargne enfin? L'ignores-tu?
Afin qu'un heritier bien nouri, bien vêtu,
Profitant d'un tréfor en tes mains inutile,
De fon train quelque jour embarraffe la ville.
Que faire ? il faut partir, les matelots font prefts.
Ou fi pour l'entraîner, l'argent manque d'attraits,
Bien-toft, l'ambition, & toute fon escorte,
Dans le fein du repos, vient le prendre à main forte,
L'envoye en furieux, au milieu des hazards,...
Se faire eftropier fur les pas des Cefars,

Et cherchant fur la bréche une mort indifcrete,
De fa folle valeur embellir la Gazette.

Tout-beau, dira quelqu'un, raillez plus à propos;,
Ce vice fut toûjours la vertu des Heros.

Quoi donc à vôtre avis, fut-ce un fou qu'Alexandre?
Qui? cet écervelé qui mit l'A fie en cendre ?
Ce fougueux l'Angely qui de fang alteré,

Maitre du monde entier, s'y trouvoit trop serré?
L'enragé qu'il eftoit, né Roi d'une Province
Qu'il pouvoit gouverner en bon & fage prince,
S'en alla follement, & penfant eftre Dieu,
Courir comme un Bandit qui n'a ni feu nilieu,

Et

Ettraînant avec foi les horreurs de la guerre,'

De fa vafte folie emplir toute la terre.

Heureux! fi de fon temps, pour cent bonnes raifons,
La Macedoine euft eu des petites-Maisons,

Et qu'un fage Tuteur l'euft en cette demeure,
Par avis de Parens, enfermé de bonne heure.
Mais fans nous égarer dans ces digreffions;
Traiter, comme Senaut, toutes les paffions ;.
Et les diftribuant par claffes & par titres,
Dogmatizer en vers, & rimer par chapitres.
Laiffons-en difcourir la Chambre ou Coëffeteau
Et voions l'Homme enfin par l'endroit le plus beau
Lui feul vivant, dit-on, dans l'enceinte des villes
Fait voir d'honneftes mœurs, des coûtumes civiles
Se fait des Gouverneurs, des Magiftrats, des Rois,
Obferve une police, obeït à des lois.

left vrai. Mais pourtant, fans lois & fans police,
Sans craindre Archers, Prevoft, ni fuppoft de Justice,,
Voit-on les loups brigans, comme nous inhumains,
Pour détrouffer les loups, courir les grands chemins?
Jamais pour s'agrandir, vit-on, dans fa manie
Un Tigre en factions partager l'Hyrcanie?

L'Ours a-t-il dans les bois la guerre avec les Ours?
Le Vautour dans les airs fond-il fur-les Vautours ?
A-t-on veu quelquefois dans les plaines d'Afrique,,
Déchirant à l'envi leur propre Republique,

Lions contre Lions, Parens contre Parens,
Combattre follement pour le choix des Tyrans ?TM
L'animal le plus fier qu'enfante la nature,
Dans un autre animal refpecte fa figure,

De la rage avec lui modere les accés,

Vit fans bruit, fans debats, fans noife, fans procés..
Un aigle fur un champ pretendant droit d'aubeine,»
Ne fait point appeller un Aigle à la huitaine.
Jamais contre un renard chicanant un poulet,
Un renard de fon fac n'alla charger Rolet.

Jamais la biche en rut, n'a pour fait d'impuiffance,
Traîné du fond des bois un cerf à l'Audience,

Et

Et jamais Juge entr'eux ordonnant le congrés,
De ce burlesque mot n'a fali fes arrests.

On ne connoitt chez eux ni placets, ni Requeftes,
Ni haut, ni bas Confeil, ni Chambre des Enquetes.
Chacun l'un avec l'autre en toute feureté

Vit fous les pures loix de la fimple équité.
L'Homme feul, l'Homme feul en fa fureur extrême,
Met un brutal honneur à s'égorger foi-même.
C'eftoit peu que fa main conduite par l'enfer,
Euft paiftri le falpeftre, euft aiguifé le fer,
Il faloit que fa rage à l'univers tuneste,
Allaft encor de loix embroüiller un Digefte;
Cherchaft pour l'obfcurcir des glofes, des Docteurs,
Accablaft l'équité fous des monceaux d'auteurs,

Et

pour comble de maux apportaft dans la France,
Des harangueurs du temps l'ennuieufe éloquence.
Doucement, diras-tu. Que fert de s'emporter ;
L'Homme a fes paffions, on n'en fçauroit douter,
Ila comme la mer fes flots & fes caprices;

Mais fes moindres vertus balancent tous fes vices.
N'est-ce pas l'Homme enfin, dont l'art audacieux
Dans le tour d'un compas a mefuré les cieux ?
Dont la vafte fcience embraffant toutes choses,
A fouillé la nature, en a percé les caufes ?
Les animaux ont-ils des Univerfitez?
Voit on fleurir chez eux des quatre Facultez ?
Y voit-on des Sçavans en Droit, en Medecine,
Endoffer l'écarlate, & fe fourer d'hermine?
Non fans doute, & jamais chez eux un Medecin
N'empoifonna les bois de fon art affaffin:
Jamais Docteur armé d'un argument frivole,
Ne s'enroüa chez eux fur les bancs d'une Ecole.
Mais fans chercher au fond, fi noftre efprit deceu
Sçait rien de ce qu'il fçait, s'il a jamais rien fceu,
Toi-même, répon moi. Dans le fiecle où nous fommes,
Eft-ce au pié du fçavoir qu'on mefure les hommes ?
Veux-tu voir tous les Grands à ta porte courir;
Dit un pere, à fon fils dont le poil va fleurir.

Pren

Pren-moi le bon parti. Laiffe-là tous les livres.
Cent francs au denier cinq combien font-ils ? Vingt li-

vres.

C'est bien dit. Va, tu fçais tout ce qu'il faut fçavoir. Que de biens, que d'honneurs fur toi s'en vont pleuvoir !

Exerce-toi, mon fils, dans ces hautes fciences.
Prens au lieu d'un Platon le Guidon des Finances,
Scache quelle province enrichit les Traitans:
Combien le fel au Roi peut fournir tous les ans.
Endurcy-toi le cœur. Sois Arabe, Corsaire,
Injufte, violent, fans foi, double, fauffaire.
Ne va point fottement faire le genereux.
Engraiffe-toi, mon fils, du fuc des malheureux,
Et trompant de Colbert la prudence importune,
Va par tes cruautez meriter la fortune.
Auffi-toft tu verras Poëtes, Orateurs,

Rheteurs, Grammairiens, Aftronomes, Docteurs,
Dégrader les Heros pour te metre en leurs places,
De tes titres pompeux enfler leurs dedidaces,
Te prouver a toi-mefme en Grec, Hebreu, Latin,
Que tu fçais de leur art, & le fort & le fin.
Quiconque eft riche et tout. Sans fageffe il eft fage.
Il a fans rien fçavoir la science en partage.
Il a l'efprit, le coeur, le merite, le rang,
La vertu, la valeur, la dignité, le fang.
Il eft aimé des Grands, il eft cheri des belles.
Jamais Sur-intendant ne trouva de cruelles.
L'or mefme à la laideur donne un teint de beauté :
Mais tout devient affreux avec la pauvreté.
C'est ainsi qu'à fon fils, un Ufurier habile
Trace vers la richeffe une route facile :

Et souvent tel y vient qui fçait pour tout fecret,
Cinq & quatre font neuf, oftez deux, refte fept..
Aprés cela, Docteur, va paflir fur la Bible;
Va marquer les écueils de cette mer terrible.
Perce la fainte horreur de ce livre divin.
Confonds dans un ouvrage & Luther & Calvin.

Débrouille des vieux temps les querelles celebres.
Eclaircy des Rabins les fçavantes tenebres.
A fin qu'en ta vieilleffe, un livre en maroquin
Aille offrir ton travail à quelque heureux Faquin,
Qui pour digne loyer de la Bible éclaircie,

Te paye en l'acceptant d'un, Je vous remercie.
Ou, fi ton cœur afpire à des honneurs plus grands,
Quitte-là le bonnet, la Sorbonne & les bancs;
Et prenant deformais un emploi falutaire,
Mets-toi chez un Banquier, ou bien chez un Notaire:
Laiffe- là faint Thomas s'accorder avec Scot.

Et conclus avec moi, qu'un Docteur n'eft qu'un fot.
Un Docteur, diras-tu? Parlez de vous, Poëte,
C'est pouffer un peu loin voftre Muse indifcrete.
Mais fans perdre en difcours le temps hors de faifon,
L'Homme, venez au fait, n'a-t'il pas la raifon?
N'eft-ce pas fon flambeau, fon pilote fidele?
Oui: Mais dequoi lui fert, que fa voix le rappelle,.
Si fur la foi des vents tout preft à s'embarquer,,
I ne voit point d'écueil qu'il ne l'aille choquer ?
Et que fert à Cotin la raifon qui lui crie,
N'écry plus; guery-toi d'une vaine furie ;
Si tous ces vains confeils, loin de la reprimer,
Ne font qu'accroiftre en lui la fureur de rimer?
Tous les jours de fes vers, qu'à grand bruit il recito,.
Il met chez lui voifins, parens, amis en fuite.
Car lors que fon Demon commence à l'agiter,
Tout, jufqu'à fa fervante, eft prest à deferter.
Un afne pour le moins inftruit par la nature,
A l'instinct qui le guide obeït fans murmure:
Ne va point follement de fa bizarre voix,
Défier aux chanfons les oifeaux dans les bois.
Sans avoir la raison il marche fur fa route.

[te,.

L'Homme feul,qu'elle éclaire,en plein jour ne voit gou-
Reglé par fes avis fait tout à contre-temps,
Et dans tout ce qu'il fait, n'a ni raison ni fens.

Tout lui plaift & déplaift, tout le choque & l'oblige.
Sans raifon il eft gay, fans raison il s'afflige.

Son

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