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SATIRE VII.

Ufe, changeons de ftile, & quittons la Satire : C'est un méchant mêtier que celui de médire.. Al'Auteur qui l'embraffe il eft toûjours fatal. Le mal qu'on dit d'autrui, ne produit que du mal. Maint Poëte aveuglé d'une telle manie, En courant à l'honneur trouve l'ignominie. Et tel mot, pour avoir réjoüi le Lecteur, A coufté bien fouvent des larmes à l'Auteur.

Un éloge ennuyeux, un froid Panegyrique,
Peut pourrir à fon aife au fond d'une boutique,
Ne craint point du public les jugemens divers,
Et n'a pour ennemis que la poudre & les vers.
Mais un Auteur malin, qui rit, & qui fait rire,
Qu'on blâme en lelifant, & pourtant qu'on veut lire 3
Dans fes plaifans accés qui fe croit tout permis,
De fes propres rieurs fe fait des ennemis.

Un difcours trop fincere aifément nous outrage,
Chacun dans ce miroir penfe voir fon vifage,
Et tel, en vous lifant, admire chaque trait,
Qui dans le fond de l'ame, & vous craint & vous hait
Mufe, c'eft donc en vain que la main vous demange.
S'il faut rimer ici, rimons quelque loüange,
Et cherchons un Heros parmi cet Univers,
Digne de noftre encens, & digne de nos vers.
Mais à ce grand effort en vain je vous anime:
Je ne puis, pour loüer, rencontrer une rime.
Dés que j'y veux refver, ma veine est aux abois :
J'ay beau frotter mon front, j'ay beau mordre mes
doigts,

Je ne puis arracher du creux de ma cervelle,

Que des vers plus forcez que ceux de la Pucelle :
Je penfe eftre à la gefne, & pour un tel deffein,
La plume & le papier refiftent à ma main.
Mais quand il faut railler, j'ai ce que je fouhaitte.
Alors certes alors, je me connois Poëte.

Phe

Phebus, dés que je parle, eft preft à m'exaucer.
Mes mots viennent fans peine, & courent fe placer.
Faut-il peindre un frippon fameux dans cette ville?
Ma main, fans que j'y rêve, écrira Raumaville.
Faut-il d'un fot parfait montrer l'original?
Ma plume au bout du vers d'abord trouve Sofal.
Je fens que mon efprit travaille de genie.
Faut-il d'un froid Rimeur dépeindre la manie?
Mes vers comme un torrent, coulent fur le papier.
Je rencontre à la fois Perrin, & Pelletier,
Bonnecorfe, Pradon, Colletet, Titreville,

Et

pour un que je veux, j'en trouve plus de maille.
Auffi-toft je triomphe, & ma Mufe en fecret,
S'eftime & s'applaudit du beau coup qu'elle a fait.
C'eft en vain qu'au milieu de ma fureur extrême,
Je me fais quelquefois des leçons à moi-même.
En vain je veux au moins faire grace à quelqu'un, -
Ma plume auroit regret d'en épargner aucun ;.
Et fi toft qu'une fois la verve me domine,
Tout ce qui s'offre à moi paffe par l'étamine:
Le merite pourtant m'eft toûjours precieux :
Mais tout Fat me déplaift & me bleffe les yeux.
Je le pourfuis par tout, comme un chien fait fa proie
Et ne le fens jamais, qu'auffi-toft je n'aboie ; ·
Enfin fans perdre temps en de ti vains propos,
Je fçai coudre une rime au bout de quelques mots ::
Souvent j'habille en vers une maligne profe:
C'eft par là que je vaux, fi je vaux quelque chofe..
Ainfi, foit que bien toft, par une dure loi,
La mort d'un vol affreux vienne fondre fur moi;
Soit que le Ciel me garde un cours long & tranquille,
A Rome ou dans Paris, aux champs ou dans la ville,
Deuft ma Mufe par là choquer tout l'Univers,
Riche, gueux, trifte ou gai, je veux faire des vers.
Pauvre efprit, dira-t-on, que je plains ta folie,
Modere ces boüillons de ta mélancolie,
Et garde qu'un de ceux que tu penfes blâmer,
N'éteigne dans ton fang cette ardeur de rimer.
B 6

Hé quoi? lors qu'autrefois Horace aprés Lucile
Exhaloit en bons mots les vapeurs de fa bile,
Et vangeant la vertu par des traits éclatans,
Alloit ofter le mafque aux vices de fon temps:
Ou bien quand Juvenal, de fa mordante plume,
Faifant couler des flots de fiel & d'amertume,
Gourmandoit en courroux tout le peuple Latin,
L'un ou l'autre fit-il une tragique fin?

Et que craindre, aprés tout, d'une fureur fi vaine?
Perfonne ne connoift ni mon nom, ni ma veine :
On ne voit point mes vers, à l'envi de Montreüil,
Groffir impunément les feuillets d'un Recueil.
A peine quelquefois je me force à les lire,
Pour plaire à quelque Ami que charme la Satire:
Qui me flatte peut-eftre, & d'un air impofteur,
Rit tout haut de l'ouvrage, & tout bas de l'Auteurs.
Enfin, c'est mon plaifir, je me veux fatisfaire :
Je ne puis bien parler, & ne fçaurois me taire ;
Et dés qu'un mot plaifant vient luire à mon efprit,
Je n'ay point de repos qu'il ne foit en écrit:
Je ne refifte point au torrent qui m'entraîne.

Mais c'eft affez parlé. Prenons un peu d'haleine.
Ma main, pour cette fois, commence à fe laffer.
Finiffons. Mais demain, Muse, à recommencer.

SATE

SATIRE VIII.

A MONSIEUR M***

Docteur de Sorbonne..

Etous les animaux qui s'élevent dans l'air,

D Qui marchent fur la terre, ou nagent dans la mer.

De Paris au Perou, du Japon jufqu'à Rome,
Le plus for animal, à mon avis, c'est l'Homme:
Quoi? dira-t-on d'abord, un ver, une fourmi,
Un infecte rampant qui ne vit qu'à demi,

Un taureau qui rumine, une chevre qui broute,
Ont l'efprit mieux tourné que n'a l'Homme? Oui fans.
doute.

Ce difcours te furprend, Docteur, je l'apperçoi,
L'homme de la Nature eft le chef & le Roy,

Bois, prez, champs, animaux, tout eft pour fon ufage,
Et lui feul'a, dis-tu, la raifon en partage:
Il est vrai, de tout temps la raifon fut fon lot.
Mais de là je conclus que l'homme eft le plus fot.
Ces propos, diras-tu, font bons dans la Satire,
Pour égayer d'abord un Lecteur qui veut rire.
Mais il faut les prouver. En forme. J'y confens.
Répon-moi donc, Docteur, & mets-toi fur les bancs.
Qu'est-ce que la fageffe? Une égalité d'ame,

Que rien ne peut troubler, qu'aucun defir n'enflâme,
Qui marche en fes confeijs à pas plus mefurez,
Qu'un Doyen au Palais ne monte les degrez.
Or cette égalité, dont fe forme le Sage,

Qui jamais moins que l'Homme en a connu l'ufage?
La Fourmi tous les ans traverfant les guerets,
Groffit fes magasins des tréfors de Cerés ;
Et dés que l'Aquilon ramenant la fraidure,
Vient de fes noirs frimats attrifter la nature,
Cet animal tapi dans son obscurité,
Jouit l'hyver des biens conquis durant l'efté:

B. 7.

Mais

Mais on ne la voit point, d'une humeur inconftante, -
Pareffeufe au printemps, en hyver diligente,
Affronter en plein champ les fureurs de Janvier,
Qu demeurer oifive au retour du Belier.

Mais l'Homme fans arreft, dans fa courfe infenfée,
Voltige inceffamment de penfée en pensée,
Son cœur toûjours flottant entre mille embarras,
Ne fçait nice qu'il veut, ni ce qu'il ne veut pas.
Ce qu'un jour il abhorre, en l'autre il le fouhaite.
Moi j'irois époufer une femme coquette ?
J'irois par ma conftance aux affronts endurci,
Me mettre au rang des Saints qu'a celebrez Buffi ?
Affez de Sots fans moi feront parler la Ville :
Difoit, le mois paffé, ce Marquis indocile,
Qui depuis quinze jours dans le piege arresté,
Entre les bons Maris pour exemple cité,
Croit que Dieu, tout exprés, d'une cofte nouvelle,
A tiré pour lui feul une femme fidelle.

Voilà l'Homme en effet. Il va du blanc au noir.
It condamne au matin ses fentimens du foir.
Importun à tout autre, à foi-même incommode,
Il change à tous momens d'efprit comme de mode;
Il tourne au moindre vent, il tombe au moindre choc.
Aujourd'hui dans un cafque, & demain dans un froc.
Cependant à le voir plein de vapeurs legeres,
Soi-même se bercer de fes propres chimeres,
Lui feul de la Nature eft la base & l'appui,,
Et le dixiéme Ciel ne tourne que pour lui.
De tous les animaux, il est, dit-il, le maistre.
Qui pourroit le nier? pourfuis-tu. Moi peut-eftre,
Mais fans examiner fi, vers les antres fourds,
L'Ours a peur du Paffant, ou le Paffant de l'Ours ::
Et fi, fur un edict des Paftres de Nubie,
Les Lions de Barca vuideroient la Lybie.
Ce Maiftre prétendu qui leur donne des lois,
Ce Roi des animaux, combien a-t-il de Rois?
L'ambition, l'amour, l'avarice, ou la haine
Tiennent comme un forçat son esprit à la chaine. -

Le

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