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Et traînant en tous lieux de pompeux équipages,
Le Duc & le Marquis fe reconnut aux Pages,
Bien-tôt, pour fubfifter, la Nobleffe fans bien,
Trouva l'art d'emprunter & de ne rendre rien,
Et bravant des Sergens la timide cohorte,
Laiffa le Creancier te morfondre à fa porte.
Mais pour comble, à la fin le Marquis en prifon
Sous le faix des procés vit tomber fa Maison.
Alors, pour fubvenir à fa trifte indigence,
Le Noble, du Faquin rechercha l'alliance ;
Et trafiquant d'un nom jadis fi precieux,
Par un lâche contract vendit tous fes Ayeux.
Et corrigeant ainfi la fortune ennemie,
Rétablit fon honneur à force d'infamie.
Car fi l'éclat de l'or ne releve le fang:
En vain on fait briller la fplendeur de fon rang
L'amour de vos ayeux paffe en vous pour manie,
Et chacun pour parent vous fuit & vous renie.
Mais quand un homme eft riche, il vaut toûjours fon
prix:

Et l'eût-on veu porter la mandille à Paris,

N'eût-il de fon vrai nom ni tître ni memoire,
D'Hozier lui trouvera cent ayeux dans l'Hiftoire

Toi donc, qui de merite & d'honneurs revêtu,
Des écueils de la Cour as fauvé ta vertu,
Dangeau, qui dans le rang où nôtre Roi t'appelle,,
Le vois toûjours orné d'une gloire nouvelle,
Et plus brillant par foi, que par l'éclat des Lis.
Dédaigner tous ces Rois dans la Pourpre amollis:
Fuir d'un honteux loifir la douceur importune:
A fes fages confeils affervir la Fortune;
Et de tout fon bonheur ne devant rien qu'à foi,
Montrer à l'Univers, ce que c'est qu'estre Roi.
Si tu veux te couvrir d'un éclat legitime,
Va par mille beaux faits meriter fon estime;
Sers un fi noble Maiftre; & fais voir qu'aujourd'hui.
Ton Prince a des Sujets qui font dignes de lui.

SATIRE VI.

QEt ce donc pour veiller qu'on fe couche à Paris?

Ui frappe l'air, bon Dieu! de ces lugubres cris?

Et quel facheux Demon durant les nuits entieres,
Raffemble ici les Chats de toutes les goutieres?
J'ai beau fauter du lit plein de trouble & d'effroi,
Je pense qu'avec eux tout l'enfer est chez-moi,
L'un miaule en grondant, comme un Tygre en furie :
L'autre roule fa voix comme un Enfant qui crie.
Ce n'eft pas tout encor. Les Souris & les Rats
Semblent, pour m'éveiller, s'entendre avec les Chats:
Plus importuns pour moi, durant la nuit obfcure,
Que jamais, en plein jour, ne fut l'Abbé de Pure.
Tout confpire à la fois à troubler mon repos :
Et je me plains ici du moindre de mes maux.
Car à peine les Coqs, commençant leur ramage,
Auront de cris aigus frappé le Voifinage:

Qu'un affreux Serrurier, que le Ciel en courroux
A fait, pour mes pechez, trop voifin de chez nous,
Avec un fer maudit, qu'à grand bruit il apprefte,.
De cent coups de marteau me va fendre la tefte.
J'entens déja par tout les charettes courir,
Les Maffons travailler, les boutiques s'ouvrir:
Tandis que dans les airs mille cloches émuës,
D'un funebre concert font retentir les nuës;
Et fe meflant au bruit de la grefle & des vents,
Pour honorer les morts, font mourir les vivans.
Encor, je benirois la bonté fouveraine,
Si le Ciel à ces maux avoit borné ma peine:
Mais fi feul en mon lit, je pefte avec raifon;
C'eft encor pis vingt fois en quittant la maison.
En quelque endroit que j'aille, il faut fendre la preffe
D'un peuple d'importuns, qui fourmillent fans ceffe:
L'un me heurte d'un ais, dont je fuis tout froiffé:
Je vois d'un autre coup mon chapeau renversé.

La d'un enterrement la funebre ordonnance,
D'un pas lugubre & lent vers l'Eglife s'avance:
Et plus loin des Laquais, l'un l'autre s'agaçans,
Font aboyer les chiens, & jurer les Paffans.
Des Paveurs en ce lieu me bouchent le paffage.
Là je trouve une croix de funefte presage:
Et des Couvreurs grimpez au toit d'une maison,
En font pleuvoir l'ardoise, & latuile à foison,
Là fur une charette une poutre branlante:
Vient menaçant de loin la foule qu'elle augmente:
Six chevaux attelez à ce fardeau pefant,
Ont peine à l'émouvoir fur le pavé glisfant;
D'un caroffe en paffant, il accroche une roue;
Et du choc le renverse en un grand tas de boue,
Quand un autre à l'inftant s'efforçant de paffer,
Dans le même embarras fe vient embarraffer:
Vingt caroffes bien-toft arrivant à la file,
Y font en moins de rien fuivis de plus de mille:
Et pour furcroift de maux, un fort malencontreux
Conduit en cet endroit un grand troupeau de Bœufs,
Chacun pretend paffer, l'un mugit, l'autre jure :
Des Mulets en fonnant augmentent le murmure:
Auffi-toft cent Chevaux dans la foule appellez,
De l'embarras qui croift ferment les défilez;
Et par tout des paffans enchaînant les brigades,
Au milieu de la paix, font voir les barricades.
On n'entend que des cris pouffez confusément,
Dieu, pour s'y faire ouir, tonneroit vainement :
Moi donc, qui dois fouvent en certain lieu me rendre-
Le jour déja baiffant, & qui fuis las d'attendre,
Ne fçachant plus tantoft à quel Saint me voüer,
Je me mets au hazard de me faire roüer,
Je faute vingt ruiffeaux, j'efquive, je me pouffe.
Guenaud fur fon cheval en paffant m'éclabouffe,
Et n'ofant plus paroiftre en l'eftat où je fuis,
Sans fonger où je vais, je me fauve où je puis.
Tandis que dans un coin en grondant je m'effuie,
Souvent pour m'achever, il furvient une pluie.

B. 4

On

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On diroit que le Ciel qui fe fond.tout en eau,
Veuille inonder ces lieux d'un déluge nouveau.
Pour traverser la ruë, au milieu de l'orage,
Unais fur deux pavez forme un étroit paffage:
Le plus hardi Laquais n'y marche qu'en tremblant:
Il faut pourtant paffer fur ce pont chancelant,

Et les nombreux torrens qui tombent des goutieres,
Groffiffant les ruiffeaux, en ont fait des rivieres.
J'y paffe en trébuchant, mais malgré l'embarras,
La frayeur de la nuit précipite mes pas.

Car fi-toft que du foir les ombres pacifiques
D'un double cadenas font fermer les boutiques,
Que retiré chez lui, le paisible Marchand
Va revoir fes billets, & compter fon argent;
Que dans le Marche-Neuf tout eft calme & tranquille,
Les voleurs à l'inftant s'emparent de la Ville.
Le Bois le plus funefte & le moins frequenté,
Eft au prix de Paris, un lieu de feureté.
Malheur donc à celui qu'une affaire imprévuë
Engage un peu trop tard au détour d'une ruë.
Bientoft quatre Bandits lui ferrant les coftez,
La bourfe: il faut fe rendre: ou bien non, refistez:
Afin que vostre mort, de tragique memoire,
Des maffacres fameux aille groffir l'Hiftoire.
Pour moi qu'une ombre étonne, accablé de fommeil,
Tous les jours je me couche avecque le Soleil.
Mais en ma chambre à peine ai-je éteint la lumiere,
Qu'il ne m'eft plus permis de fermer la paupiere.
Des Filoux effrontez, d'un coup de pistolet,
Ebranlent ma feneftre, & percent mon volet.
J'entens crier par tout, au meurtre, on m'affaffine;
Ou, le feu vient de prendre à la maison voifine.
Tremblant & demi-mort je me leve à ce bruit ;
Et fouvent fans pourpoint, je cours toute la nuit.
Car le feu, dont la flâme en ondes fe déploye,
Fait de noftre quartier une feconde Troye;
Où maint Grec affamé, maint avide Argien,
Autravers des charbons, va piller le Troyen.

Enfin, fous mille crocs la maison aby smée,
Entraîne auffi le feu qui fe perd en fumée.
Je me retire donc encor pafle d'effroi :
Mais le jour eft venu quand je rentre chez moi,
Je fais pour repofer un effort inutile:

Ce n'eft qu'à prix d'argent, qu'on dort en cette Ville
Il faudroit dans l'enclos d'un vafte logement,
Avoir loin de la rue un autre appartement.

Paris eft pour un Riche un païs de Cocagne :.
Sans fortir de la ville, il trouve la campagne :
Il peut dans fon jardin tout peuplé d'arbres verds,
Receler le printemps au milieu des hy vers:
Et foulant le parfum de fes plantes fleuries
Aller entretenir fes douces rêveries.

Mais moi, grace au Deftin, qui n'ai ni feu ni lieu,
Je me loge où je puis, & comme il plaist à Dieu.

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