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CHANT IV.

Ans Florence jadis vivoit un Medecin,

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affaffim:
Lui feul y fit long-temps la publique mifere.
Là le Fils orphelin lui redemande un Pere,
Ici le Frere pleure un Frere empoisonné.
L'un meurt vuide de fang, l'autre plein de fené.
Le rhume à fon afpect fe change en pleurefie;
Et par lui la migraine eft bien-toft phrene fie.
Il quitte enfin la ville, en tous lieux detefté.
De tous les Amis morts un feul Ami refté,
Le mene en fa maifon de fuperbe ftructure;
C'eftoit un riche Abbé fou de l'Architecture. ·
Le Medecin d'abord semble né dans cet art,
Déja de bâtimens parle comme Manfard:
D'un falon qu'on éleve il condamne la face:
Au veftibule obfcur il marque une autre place:
Approuve l'escalier tourné d'autre façon.
Son Ami le conçoit, & mande fon Maçon.
Le Maçon vient, écoute, approuve, & fe corrige.
Enfin, pour abreger un fi plaifant prodige,
Noftre Affaffin renonce à fon art inhumain,
Et deformais la regle & l'équierre à la main,
Laiffant de Galien la fcience fufpecte,

De méchant Medecin devient bon Architecte.
Son exemple eft pour nous un precepte excellent.
Soyez plûtoft Maçon, fi c'eft voftre talent,
Ouvriereftimé dans un art neceffaire,
Qu'Ecrivain du commun, & Poëte vulgaire.
Il est dans tout autre art des degrez differens.
On peut avec honneur remplir les feconds rangs :
Mais dans l'Art dangereux de rimer & d'écrire,
Il n'eft point de degrez du mediocre au pire.
Les vers ne fouffrent point de mediocre Auteur,
Ses écrits en tous lieux font l'effroy du Lecteur,

Con

Contre eux dans le Palais les boutiques murmurent,
Et les ais chez Billaine * à regret les endurent.
Un Fou du moins fait rire, & peut nous égayer:
Mais un froid Ecrivain ne fçait rien qu'ennuyer.
J'aime mieux Bergerac + & fa burlesque audace,
Que ces vers où Motin fe morfond & nous glace.
Ne vous enyvrez point des éloges flateurs
Qu'un amas quelquefois de vains Admirateurs.
Vous donne en ces Reduits prompts à crier, merveille!
Tel écrit recité fe foûtint à l'oreille,

Qui dans l'impreffion au grand jour le montrant,
Ne foûtient pas des yeux le regard penetrant.
On fçait de cent Auteurs l'aventure tragique :
Et Gombaut tant loüé garde encor la boutique.
Ecoutez tout le monde, affidu confultant.
Un Fat quelquefois ouvre un avis important.
Quelques vers toutefois qu'Apollon vous infpire,
En tous lieux auffi-toft ne courez pas les lire.
Gardez-vous d'imiter ce Rimeur furieux,
Qui de fes vains écrits lecteur harmonieux
Aborde en recitant quiconque le faluë,
Et pourfuit de fes vers les paffans dans la ruë.
Il n'eft Temple fi faint des Anges respecté,
Qui foit contre fa Mufe un lieu de feureté.

Je vous l'ay déja dit, aimez qu'on vous cenfure,
Et fouple à la raifon corrigez fans murmure.
Mais ne vous rendez pas dés qu'un Sot vous reprend.
Souvent dans fon orgueil un fubtil Ignorant
Par d'injuftes dégoûts combat toute une Piece,
Blâme des plus beaux vers la noble hardieffe.
On a beau refuter fes vains raifonnemens:
Son efprit fe complaift dans fes faux jugemens,
Et fa foible raifon de clarté dépourvuë,
Penfe que rien n'échape à sa debile veuë.

Ses confeils font à craindre, & fi vous les croyez,
Penfant fuïr un écueil, fouvent vous vous noyez.

Fai

Fameux Libraire. † Cyrano Bergerac, Auteur du Voyage do Ja Lune,

Faites choix d'un Cenfeur folide & falutaire,
Que la raifon conduife, & le fçavoir éclaire,
Et dont le crayon feur d'abord aille chercher
L'endroit que l'on fent foible, & qu'on fe veut cacher,
Lui feul éclaircira vos doutes ridicules:

De votre esprit tremblant levera les fcrupules.
C'est lui qui vous dira, par quel transport heureux,
Quelquefois dans fa courfe un efprit vigoureux
Trop refferré par l'art, fort des regles prefcrites,
Et de l'Art mefme apprend à franchir leurs limites.
Mais ce parfait Cenfeur fe trouve rarement.
Tel excelle à rimer qui juge fottement.

Tel s'eft fait par fes vers diftinguer dans la ville,
Qui jamais de Lucain n'a diftingué Virgile.
Auteurs, preftez l'oreille à mes inftructions.
Voulez-vous faire aimer vos riches fictions?
Qu'en fçavantes leçons voftre Mufe fertile
Par-tout joigne au plaifant le folide & l'utile.
Un Lecteur lage fuit un vain amufement,
Et veut mettre à profit fon divertiffement.

[vrages

Que vostre ame & vos mœurs peints dans tous vos ouN'offrent jamais de vous que de nobles images. Je ne puis eftimer ces dangereux Auteurs, Qui de l'honneur en vers infames deferteurs, Trahiffant la vertu fur un papier coupable, Aux yeux de leurs Lecteurs rendent le vice aimable. Je ne fuis pas pourtant de ces tristes Efprits Qui banniffant l'amour de tous chaftes écrits, D'un fi riche ornement veulent priver la Scene: Traitent d'empoifonneurs & Rodrigue & Chimene. L'amour le moins honnefte exprimé chaftement, N'excite point en nous de honteux mouvement. Didon a beau gemir & m'étaler fes charmes ; Je condamne fa faute, en partageant fes larmes. Un Auteur vertueux dans fes vers innocens, Ne corrompt point le cœur, en chatouillant les fensi Son feu n'allume point de criminelle flâme. Aimez donc la vertu, nourriffez-en votre ame.

En

En vain l'efprit eft plein d'une noble vigueur,
Le vers fe fent toûjours des baffeffes du cœur.
Fuyez fur tout, fuyez ces baffes jalousies,
Des vulgaires efprits malignes phrenefies.
Un fublime Ecrivain n'en peut eftre infecté.
C'eft un vice qui fuit la Mediocrité.

Du Merite éclatant cette fombre Rivale
Contre lui chez les Grands inceffamment cabale,
Et fur les piés en vain tâchant de fe hauffer,
Pour s'égaler à lui, cherche à le rabaiffer.

Ne defcendons jamais dans ces lâches intrigues.
N'allons point à l'honneur par de honteufes brigues.
Que les vers ne foient pas voftre eternel employ.
Cultivez vos amis, foyez homme de foy.
C'est peu d'eftre agreable & charmant dans un livre;
Il faut fçavoir encore & converfer & vivre.

Travaillez pour la gloire, & qu'un fordide gain
Ne foit jamais l'objet d'un illuftre Ecrivain.

Je fçai qu'un noble Efprit peut, fans honte & fans crime,
Tirer de fon travail un tribut legitime:

Mais je ne puis fouffrir ces Auteurs renommez,
Qui dégoûtez de gloire, & d'argent affamez,
Mettent leur Apollon aux gages d'un Libraire,
Et font d'un art divin un métier mercenaire.

Avant que la Raifon s'expliquant par la voix,
Euft inftruit les Humains, euft enfeigné des loix :
Tous les Hommes fuivoient la groffiere Nature,
Difperfez dans les bois couroient à la pasture.
La force tenoit lieu de droit & d'équité:
Le meurtre s'exerçoit avec impunité.
Mais du Difcours enfin l'harmonieuse adreffe
De ces fauvages mœurs adoucit la rudeffe:
Raffembla les Humains dans les forests épars:
Enferma les citez de murs & de rempars:
De l'aspect du fupplice effraya l'infolence,
Et fous l'apui des loix mit la foible innocence.
Cet ordre fut, dit-on, le fruit des premiers vers.
De là font nés ces bruits receus dans l'Univers,

Qu'aux accens, dont Orphée emplit les monts de Thra

ce,

Les Tigres amollis dépoüilloient leur audace:
Qu'aux accords d'Amphion les pierres fe mouvoient,
Et fur les murs Thebains en ordre s'élevoient.
L'harmonie en naiffant produifit ces miracles.
Depuis le Ciel en vers fit parler les Oracles,
Du fein d'un Preftre émû d'une divine horreur,
Apollon, par des vers, exhala fa fureur.
Bien-toft reffufcitant les Heros des vieux âges
Homere aux grands exploits anima les courages.
Hefiode à fon tour, par d'utiles leçons,
Des champs trop pareffeux vint hafter les moiffons.
En mille écrits fameux la fageffe tracée,
Fut, à l'aide des vers, aux Mortels annoncée,
Et par tout des efprits ses preceptes vainqueurs,
Introduits par l'oreille entrerent dans les cœurs.
Pour tant d'heureux bienfaits les Mufes reverées
Furent d'un jufte encens dans la Grece honorées,
Et leur Art attirant le culte des Mortels,
A fa gloire en cent lieux vid dreffer des autels.
Mais enfin l'Indigence amenant la Baffeffe,
Le Parnaffe oublia fa premiere noblesse.
Un vil amour du gain infectant les efprits,
De menfonges groffiers foüilla tous les écrits,
Et par tout enfantant mille ouvrages frivoles,
Trafiqua du difcours, & vendit les paroles.

Ne vous flétriffez point par un vice fi bas.
Si l'or feul a pour vous d'invincibles appas,
Fuyez ces lieux charmans qu'arrofe le Permeffe.
Ce n'eft point fur fes bords qu'habite la Richeffe.
Aux plus fçavans Auteurs, comme aux plus grands
Guerriers

Apollon ne promet qu'un nom & des lauriers.

Mais, quoy? dans la difette une Mufe affamée
Ne peut pas, dira-t-on, fubfifter de fumée.
Un Auteur qui preffé d'un befoin importun,
Le foir entend crier fes entrailles à jeun,

Goûte

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