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N'imitez pas ce Fou, qui décrivant les mers
Et peignant au milieu de leurs flots entr'ouverts
L'Hebreu fauvé du joug de fes injuftes Maistres,
Met pour le voir paffer* les poiffons aux feneftres.
Peint le petit Enfant qui va, faute, revient,
Et joyeux à fa mere offre un caillou qu'il tient.
Sur de trop vains objets c'eft arrefter la veuë.
Donnez à vostre ouvrage une jufte étenduë.

Que le debut foit fimple & n'ait rien d'affecté.
N'allez pas dés l'abord fur Pegaze monté,

Crier à vos Lecteurs, d'une voix de tonnerre,
Je chante le Vainqueur des Vainqueurs de la terre. †
Que produira l'Auteur, aprés tous ces grands cris?
La montagne en travail enfante une fouris.

O! que j'aime bien mieux cet Auteur plein d'adresse,
Qui fans faire d'abord de fi haute promeffe,
Me dit d'un ton aifé, doux, fimple, harmonieux,
Je chante les combats, cet Homme pieux
Qui des bords Phrygiens conduit dans l'Aufonie,
Le premier aborda les champs de Lavinie.
Sa Mufe en arrivant ne met pas tout en feu:
Et pour donner beaucoup, ne nous promet que peu..
Bien-toft vous la verrez, prodiguant les miracles,
Du deftin des Latins prononcer les oracles,
De Styx & d'Acheron peindre les noirs torrens
Et déja les Cefars dans l'Ely fée errans.

De Figures fans nombre égayez votre ouvrage.
Que tout y faffe aux yeux une riante image.
On peut eftre à la fois & pompeux & plaifant,
Et je hais un Sublime ennuyeux & pefant.
J'aime mieux Ariofte, & fes fables comiques,
Que ces Auteurs toûjours froids & melancoliques,
Qui dans leur fombre humeur fe croiroient faire affront
Si les Graces jamais leur déridoient le front..

On diroit que pour plaire, inftruit par la Nature Homere ait à Venus dérobé fa ceinture.

H. 7

Les poiffons ébabis les regardent paffer. Moyfe Sauvé. † Alaric. 1. 1.

Son

Son livre eft d'agrémens un fertile trefor.
Tout ce qu'il a touché fe convertit en or.
Tout reçoit dans fes mains une nouvelle grace.
Par tout il divertit, & jamais il ne laffe.
Une heureufe chaleur anime fes difcours.
Il ne s'égare point en de trop longs détours.
Sans garder dans fes vers un ordre methodique,
Son fujet de foy-mefme & s'arrange & s'explique.
Tout, fans faire d'apprefts, s'y prépare aifément.
Chaque vers, chaque mot court à l'évenement.
Aimez donc fes écrits, mais d'une amour fincere.
C'eft avoir profité que de fçavoir s'y plaire.

Un Poëme excellent, où tout marche, & fe fuit,
N'eft pas de ces travaux qu'un caprice produit.
Il veut du temps, des foins, & ce penible ouvrage
Jamais d'un Ecolier ne fut l'apprentiffage.
Mais fouvent parmi nous un Poëte fans art,
Qu'un beau feu quelquefois échauffa par hazard,.
Enflant d'un vain orgueil fon efprit chimerique,
Fierement prend en main la trompette heroïque.
Sa Mufe déreglée, en fes vers vagabonds,
Ne s'éleve jamais que par fauts & par bonds,
Et fon feu dépourveu de fens & de lecture,
S'éteint à chaque pas, faute de nourriture.
Mais en vain le Public promt à le mépriser,
De fon merite faux le veut defabufer:

Lui-mefme applaudiffant à fon maigre genie,
Se donne par fes mains l'encens qu'on lui dénie.
Virgile, au prix de lui, n'a point d'invention.
Homere n'entend point la noble fiction.
Si contre cet arreft le fiecle fe rebelle,
A la pofterité d'abord il en appelle.
Mais attendant qu'ici le bon fens de retour
Ramene triomphans fes ouvrages au jour,
Leurs tas au magafin cachez à la lumiere,
Combattent triftement les vers & la pouffiere.
Laiffons-les donc entr'eux s'efcrimer en repos,
Et fans nous égarer suivons noftre propos.

Des

Des fuccés fortunez du fpectacle tragique,
Dans Athenes nâquit la Comedie antique.
Là, le Grec né mocqueur, par mille jeux plaifans
Diftila le venin de fes traits médifans.

Aux accés infolens d'une boufonne joye,
La fageffe, l'efprit, l'honneur furent en proye
On vid, par le Public un Poëte avoüé
S'enrichir aux dépens du merite joüé,
Et Socrate par lui dans un chœur de Nuées,
D'un vil amas de peuple attirer les huées.
Enfin de la licence on arrefta le cours.
Le Magiftrat, des loix emprunta le fecours,
Et rendant par édit les Poëtes plus fages,
Défendit de marquer les noms ni les vifages.
Le Theatre perdit fon antique fureur.
La Comedie apprit à rire fans aigreur,

Sans fiel & fans venin fceut inftruire & reprendre,
Et plut innocemment dans les vers de Ménandre.
Chacun peint avec art dans ce nouveau miroir,
S'y vid avec plaifir, ou crût ne s'y point voir.
L'avare des premiers rît du tableau fidele
D'un Avare fouvent tracé sur fon modele ;
Et mille fois un Fat finement exprimé,
Méconnut le portrait fur lui-mefme formé.

Que la Nature donc foit vostre étude unique, Auteurs, qui pretendez aux honneurs du Comique. Quiconque void bien l'Homme, & d'un efprit profond, De tant de cœurs cachez a penetré le fond:

Qui fait bien ce que c'eft qu'un Prodigue, un Avare,
Un honnefte homme, un Fat, un Jaloux, un Bizarre,
Sur une scene heureuse il peut les étaler,

Et les faire à nos yeux vivre, agir, & parler.
Prefentez-en par tout les images naïves:

Que chacun y foit peint des couleurs les plus vives..
La Nature feconde en bizarres portraits,
Dans chaque ame eft marquée à de differens traits.

☛ Les Nuées, Comedie d'Aristophane.

Un

Un gefte la découvre, un rien la fait paroiftre:
Mais tout efprit n'a pas des yeux pour la connoiftre.
Le tems qui change tout, change auffi nos humeurs.
Chaque Age a fes plaifirs, fonefprit, & fes mœurs.
Un jeune homme toûjours bouillant dans les caprices,
Eft promt à recevoir l'impreffion des vices;

Eft vain dans fes difcours, volage en fes defirs,
Retif à la cenfure, & fou dans les plaifirs.

L'Age viril plus meur, infpire un air plus fage,
Se pouffe auprès des Grands, s'intrigue, fe ménage,
Contre les coups du fort fonge à fe maintenir,
Et loin dans le prefent regarde l'avenir.

La Vieilleffe chagrine inceffamment amasse,
Garde, non pas pour foy, les trefors qu'elle entaffe,
Marche en tous fes deffeins d'un pas lent & glacé,
Toûjours plaint le prefent, & vante le paffé,
Inhabile aux plaifirs, dont la jeuneffe abuse,
Blâme en eux les douceurs, que l'âge lui refuse.
Ne faites point parler vos Acteurs au hazard,
Un vieillard en jeune homme, un jeune homme en vieil
lard.

Etudiez la Cour, & connoiffez la Ville.
L'une & l'autre eft toûjours en modeles fertile.
C'eft par là que Moliere illuftrant fes écrits
Peut-eftre de fon Art euft remporté le prix ;
Si moins ami du peuple en fes doctes peintures,.
Il n'euft point fait fouvent grimacer fes figures,.
Quitté, pour le bouffon, l'agreable & le fin,
Et fans honte à Terence allié Tabarin.
Dans ce fac ridicule où Scapin s'envelope,.
Je ne reconnois plus l'Auteur du Mifanthrope.

Le Comique ennemi des foûpirs & des pleurs,.
N'admet point en fes vers de tragiques douleurs:
Mais fon employ n'eft pas d'aller dans une place,.
De mots fales & bas charmer la populace.

Il faut que fes Acteurs badinent noblement : Que fon noeud bien formé fe dénouë aifément:

Comedie de Moliere,

Que

Que l'Action marchant où la raifon la guide,
Ne fe perde jamais dans une Scene vuide;
Que fon ftile humble & doux fe releve à propos,
Que fes difcours par tout fertiles en bons mots,
Soient pleins de paflions finement maniées;
Et les fcenes toûjours l'une à l'autre liées.
Aux dépens du bon fens gardez de plaifanter.
Jamais de la Nature il ne faut s'écarter.
Contemplez de quel air un Pere dans Terence
Vient d'un Fils amoureux gourmander l'imprudence:
De quel air cet Amant écoute fes leçons,

Et court chez fa Maiftreffe oublier ces chanfons.
Ce n'eft pas un portrait, une image femblable,
C'eft un Amant, un Fils, un Pere veritable.
J'aime fur le Theatre un agreable Auteur
Qui, fans fe diffamer aux yeux du Spectateur,
Plaift par la raifon feule, & jamais ne la choque.
Mais pour un faux Plaifant, à groffiere équivoque,
Qui, pour me divertir, n'a que la faleté;

Qu'il s'en aille, s'il veut, fur deux treteaux monté,
Amufant le Pont-neuf de fes fornetes fades,
Aux Laquais affemblez joüer fes Mafcarades.

CHANT

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