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L

La faveur du Public excitant leur audace,
Leur nombre impetueux inonda le Parnaffe,
Le Madrigal d'abord en fut enveloppé.

Le Sonnet orgueilleux lui-mefme en fut frappé.
La Tragedie en fit fes plus cheres delices.
L'Elegie en orna fes douloureux caprices.
Un Heros fur la Scene eut foin de s'en parer,
Et fans Pointe un Amant n'ofa plus foûpirer.
On vid tous les Bergers, dans leurs plaintes nouvelles,
Fideles à la Pointe encor plus qu'à leurs Belles.
Chaque mot eut toûjours deux vifages divers.
La profe la receut auffi bien que les vers.
L'Avocat au Palais en heriffa fon ftile,
Et le Docteur en chaire en fema l'Evangile.
La Raifon outragée enfin ouvrit les yeux,
La chaffa pour jamais des difcours ferieux,
Et dans tous ces écrits la declarant infame,
Par grace lui laiffa l'entrée en l'Epigramme:
Pourveu que fa fineffe éclatant à propos
Roulaft fur la penfée, & non pas fur les mots.
Ainfi de toutes parts les defordres cefferent.
Toutefois à la Cour les Turlupins refterent,
Infipides Plaifans, bouffons infortunez,
D'un jeu de mots groffier partifans furannez.
Ce n'eft pas quelquefois qu'une Mufe un peu fine
Sur un mot en paffant ne jouë & ne badine,
Et d'un fens détourné n'abuse avec fuccés:
Mais fuyez fur ce point un ridicule excés,
Et n'allez pas toûjours d'une pointe frivole
Aiguifer par la queue une Epigramme folle.
Tout Poëme eft brillant de fa propre beauté.
Le Rondeau né Gaulois a la naïveté.

La Balade affervie à ses vieilles maximes,
Souvent doit tout fon luftre au caprice des rimes.
Le Madrigal plus fimple, & plus noble en fon tour,
Refpire la douceur, la tendreffe, & l'amour.

L'ardeur de fe montrer, & non pas de médire,
Arma la Verité du vers de la Satire.

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Lucile le premier ofa la faire voir :

Aux vices des Romains prefenta le miroir :
Vangea l'humble Vertu, de la Richeffe altiere,
Et l'Honnefte-homme à pié, du Faquin en litiere.
Horace à cette aigreur mefla fon enjoûment.
On ne fut plus ni fat ni fot impunément:
Et, malheur à tout nom, qui propre à la cenfure,
Pût entrer dans un vers, fans rompre la mesure.
Perfe en fes vers obfcurs, mais ferrez & preffans,
Affecta d'enfermer moins de mots que de fens.
Juvenal élevé dans les cris de l'Ecole
Pouffa jufqu'à l'excés fa mordante hyperbole.
Ses ouvrages tout pleins d'affreuses veritez
Etincelent pourtant de fublimes beautez:
* Soit que fur un écrit arrivé de Caprée
Il brife de Sejan la Statue adorée :

Soit qu'il faffe au Confeil courir les Senateurs,
D'un Tyran foupçonneux pafles adulateurs:
Ou que, pouffant à bout la luxure Latine,
+ Aux Portefaix de Rome il vende Meffaline.
Ses écrits pleins de feu par tout brillent aux yeux.
De ces Maiftres fçavans difciple ingenieux
Regnier feul parmi nous formé fur leurs modeles,
Dans fon vieux ftile encore a des graces nouvelles.
Heureux! fi fes Difcours craints du chafte Lecteur,
Ne fe fentoient des lieux où frequentoit l'Auteur;
Et fi du fon hardi de fes rimes Cyniques,
Il n'alarmoit fouvent les oreilles pudiques.

Le Latin dans les mots brave l'honnefteté:
Mais le lecteur François veut eftre respecté :
Du moindre fens impur la liberté l'outrage,
Si la pudeur des mots n'en adoucit l'image.
Je veux dans la Satire un efprit de candeur,
Et fuis un effronté qui prêche la pudeur.

D'un trait de ce Poëme en bons mots fi fertile, Le François né malin forma le Vaudeville,

* Satire 10. † Satire. 4. + Satire. 6.

Agrea-.

Agreable Indifcret, qui conduit par le chant,

Paffe de bouche en bouche, & s'accroift en marchant. La liberté Françoife en fes vers le déploye. Cet enfant de plaifir veut naistre dans la joye. Toutefois n'allez pas goguenard dangereux, Faire Dieu le fujet d'un badinage affreux. A la fin tous ces jeux, que l'atheisme éleve, Conduifent triftement le Plaifant à la Greve. Il faut mefme en chanfons du bon fens & de l'art. Mais pourtant on a veu le vin & le hazard Infpirer quelquefois une Mule groffiere, Et fournir fans genie un couplet à Liniere. Mais pour un vain bonheur qui vous a fait rimer, Gardez qu'un fot orgueil ne vous vienne enfumer. Souvent l'Auteur altier de quelque chanfonnette Au mefme instant prend droit de fe croire Poëte. Il ne dormira plus qu'il n'ayt fait un Sonnet. Il met tous les matins fix Impromptus au net. Encore eft-ce un miracle, en fes vagues furies, Si bien-toft imprimant fes fottes rêveries,. Il ne le fait graver au devant du recueil, Couronné de lauriers par la main de Nanteuil.

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CHANT III.

Ln'eft point de Serpent, ni de Monftre odieux,
Qui par l'art imité ne puiffe plaire aux yeux.
D'un pinceau delicat l'artifice agreable
Du plus affreux objet fait un objet aimable.
Ainfi, pour nous charmer, la Tragedie en pleurs
D'Oedipe tout fanglant fit parler les douleurs,
D'Orefte parricide exprima les alarmes,
Et pour nous divertir nous arracha des larmes.
Vous donc, qui d'un beau feu pour le Theatre épris,
Venez en vers pompeux y difputer le prix,
Voulez-vous fur la fcene étaler des ouvrages,
Où tout Paris en foule apporte fes fuffrages,
Et qui toûjours plus beaux, plus ils font regardez,
Soient au bout de vingt ans encor redemandez ?
Que dans tous vos difcours la paffion émuë
Aille chercher le cœur, l'échauffe, & le remuë,
Si d'un beau mouvement l'agreable fureur
Souvent ne nous remplit d'une douce Terreur,
Ou n'excite en noftre ame une Pitié charmante,
En vain vous étalez une scene fçavante..
Vos froids raifonnemens ne feront qu'atiedir
Un Spectateur toûjours pareffeux d'applaudir,
Et qui des vains efforts de voftre Rhetorique,
Juftement fatigué, s'endort, ou vous critique.
Le fecret eft d'abord de plaire & de toucher:
Inventez des refforts qui puiffent m'attacher.

Que dés les premiers vers l'Action preparée,
Sans peine, du Sujet applaniffe l'entrée.
Je me ris d'un Acteur qui lent à s'exprimer,
De ce qu'il veut, d'abord ne fçait pas m'informer,
Et qui débrouillant mal une penible intrigue,
D'un divertiffement me fait une fatigue.
J'aimerois mieux encor qu'il declinast fon nom,
Et dift je fuis Oreste, ou bien Agamemnon:

Que

Que d'aller par un tas de confufes merveilles,
Sans rien dire à l'efprit, étourdir les oreilles.
Le Sujet n'eft jamais affez toft expliqué.

Que le Lieu de la fcene y foit fixe & marqué. Un Rimeur, fans peril, de là les Pirenées Sur la fcene en un jour renferme des années, Là fouvent le Heros d'un fpectacle groffier, Enfant au premier acte, eft barbon au dernier. Mais nous, que la Raifon à fes regles engage, Nous voulons qu'avec art l'Action fe menage: Qu'en un Lieu, qu'en un Jour, un feul Fait accompli Tienne jufqu'à la fin le Theatre rempli.

Jamais au Spectateur n'offrez rien d'incroyable. Le Vrai peut quelquefois n'eftre pas vraisemblable. Une merveille abfurde eft pour moy fans appas. L'efprit n'eft point émû de ce qu'il ne croit pas. Ce qu'on ne doit point voir, qu'un recit nous l'expose: Les yeux en le voyant faifiroient mieux la chofe, Mais il eft des objets, que l'Art judicieux Doit offrir à l'oreille, & reculer des yeux.

Que le trouble toûjours croiffant de scene en fcene A fon comble arrivé fe débrouille fans peine. L'efprit ne fe fent point plus vivement frappé, Que lors qu'en un fujet d'intrigue enveloppé, D'un fecret tout à coup la verité connuë Change tout, donne à tout une face imprevue. La Tragedie informe & groffiere en naiffant N'eftoit qu'un fimple Choeur, où chacun en danfant, Et du Dieu des rai fins entonnant les loüanges," S'efforcoit d'attirer de fertiles vendanges. Là le vin & la joye éveillant les efprits, Du plus habile Chantre un Bouc eftoit le prix. Thefpis fut le premier qui barbouillé de lie, Promena par les Bourgs cette heureuse folie, Et d'Acteurs mal ornez chargeant un tombereau, Amufa les Paffans d'un fpectacle nouveau. Efchyle dans le Choeur jetta les perfonnages, D'un Mafque plus honnefte habilla les visages,

H 4

Sur

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