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Que d'un art délicat les pieces afforties
N'y forment qu'un feul tout de diverfes parties:
Que jamais du fujet le difcours s'écartant
N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant.
Craignez vous pour vos vers la cenfure publique ?
Soyez-vous à vous-mefme un fevere Critique.
L'ignorance toûjours eft prefte à s'admirer.
Faites-vous des Amis prompts à vous cenfurer.
Qu'ils foient de vos écrits les confidens finceres,
Et de tous vos defauts les zelez adverfaires.
Dépoüillez devant eux l'arrogance d'Auteur:
Mais fçachez de l'Ami difcerner le Flateur.
Tel vous femble applaudir, qui vous raille & vous jouë.
Aimez qu'on vous confeille, & non pas qu'on vous louë.
Un Flateur auffi-toft cherche à fe récrier.
Chaque vers qu'il entend le fait extazier.
Tout eft charmant, divin, aucun mot ne le bleffe.
Il trépigne de joye, il pleure de tendreffe,
Il vous comble par tout d'éloges faftueux.
La Verité n'a point cet air impetueux.

Un fage Ami toûjours rigoureux, inflexible,
Sur vos fautes jamais ne vous laiffe paifible.
Il ne pardonne point les endroits negligez.
Il renvoye en leur lieu les vers mal arrangez.
Il reprime des mots l'ambitieufe emphaze.
Ici le fens le choque, & plus loin c'est la phraze.
Vostre construction femble un peu s'obscurcir:
Ce terme eft équivoque, il le faut éclaircir.
C'eft ainfi que vous parle un Ami veritable.
Mais fouvent fur fes vers un Auteur intraitable
A les proteger tous fe croit intereffé,

Et d'abord prend en main le droit de l'offenfé.
De ce vers, direz-vous, l'expreffion eft baffe.
Ah! Monfieur, pour ce vers je vous demande grace,
Répondra-t-il d'abord. Ce mot me femble froid.
Je le retrancherois. C'eft le plus bel endroit.
Ce tour ne me plaift pas. Tout le monde l'admire.
Ainfi toujours conftant à ne fe point dédire ;

Qu'un

Qu'un mot dans fon ouvrage ayt paru vous bleffer,
C'eft un titre chez lui pour ne point l'effacer.
Cependant, à l'entendre, il cherit la critique.
Vous avez fur les vers un pouvoir defpotique.
Mais tout ce beau difcours, dont il vient vous flater,
N'eft rien qu'un piege adroit pour vous les reciter.
Auffi-toft il vous quitte, & content de sa Muse,
S'en va chercher ailleurs quelque fat qu'il abufe.
Car fouvent il en trouve. Ainfi qu'en fots Auteurs,
Noftre fiecle eft fertile en fots Admirateurs.
Et fans ceux que fournit la Ville & la Province,
Il en eft chez le Duc, il en eft chez le Prince.
L'Ouvrage le plus plat a chez les Courtisans
De tout temps rencontré de zelez partisans;
Et, pour finir enfin par un trait de Satire,
Un Sot trouve toûjours un plus Sot qui l'admire.

CHANT

T

CHANT II.

Elle qu'une Bergere, au plus beau jour de feste,
De fuperbes rubis ne charge point fa tefte,

Et ians méler à l'or l'éclat des diamans,

Cueille en un champ voifin fes plus beaux ornemens.
Telle, aimable en fon air, mais humble dans fon ftile,
Doit éclater fans pompe une élegante Idylle:
Son tour fimple & naïf n'a rien de faftueux,
Et n'aime point l'orgueil d'un vers prefomptueux.
Il faut que fa douceur flate, chatouille, éveille,
Et jamais de grands mots n'épouvante l'oreille.
Mais fouvent dans ce ftile un Rimeur aux abois
Jette là de dépit la flûte & le haubois,

Et follement pompeux, dans fa verve indiscrete,
Au milieu d'une eglogue entonne la trompete.
De peur de l'écouter, Pan fuit dans les rofeaux,
Et les Nymphes d'effroi fe cachent fous les eaux.
Au contraire, cet Autre abject en fon langage
Fait parler fes Bergers, comme on parle au village.
Ses vers plats & groffiers dépouillez d'agrément,
Toûjours baifent la terre, & rampeat tristement.
On diroit que Ronfard fur les pipeaux ruftiques
Vient encor fredonner fes Idylles Gothiques,
Et changer, fans refpećt de l'oreille & du fon,
Lycidas en Pierot, & Phylis en Thoinon.

Entre ces deux excés la route eft difficile.
Suivés, pour la trouver, Theocrite & Virgile.
Que leurs tendres écrits par les Graces dictez
Ne quittent point vos mains, jour & nuit feuilletez.
Seuls dans leurs doctes vers ils pourront vous apprendre,
Par quel art fans baileffe un Auteur peut defcendre,
Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers,
Au combat de la flûte animer deux Bergers,
Des plaifirs de l'Amour vanter la douce amorce,
Changer Narciffe en fleur, couvrir Daphné d'écorce,

Et

Et par quel art encor l'Eglogue quelquefois
Rend dignes d'un Conful la campagne & les bois. *
Telle eft de ce Poëme & la force & la grace.

D'un ton un peu plus haut, mais pourtant fans audace, La plaintive Elegie en longs habits de deuil Sçait les cheveux épars gemir fur un cercueil. Elle peint des Amans la joye, & la trifteffe, Flate, menace, irrite, appaise une Maistreffe: Mais pour bien exprimer ces caprices heureux, C'est peu d'eftre Poëte, il faut eftre amoureux.

Je hais ces vains Auteurs, dont la Mufe forcée M'entretient de fes feux toûjours froide & glacée, Qui s'affligent par art, & fous de fens raffis S'érigent, pour rimer, en Amoureux tranfis. Leurs tranfports les plus doux ne font que phrafes vai

nes.

Ils ne fçavent jamais que fe charger de chaînes,
Que benir leur martyre, adorer leur prison,
Et faire quereler les fens & la raifon.

Ce n'eftoit pas jadis, fur ce ton ridicule
Qu'Amour dictoit les vers que foûpiroit Tibule a
Ou que du tendre Ovide animant les doux fons,
Il donnoit de fon Art les charmantes leçons.
Il faut que le cœur feul parle dans l'Elegie.

L'Ode avec plus d'éclat & non moins d'énergie
Elevant jufqu'au Ciel fon vol ambitieux,

Entretient dans fes vers commerce avec les Dieux.
Aux Athletes dans Pife, elle ouvre la barriere,

Chante un Vainqueur poudreux au bout de la carriere,
Mene Achille fanglant aux bords du Simoïs,
Ou fait fléchir l'Escaut fous le joug de Louïs.
Tantoft comme une Abeille ardente à fon ouvrage.
Elle s'en va de fleurs dépouiller le rivage:
Elle peint les feftins, les danfes, & les ris,
Vante un baifer cueilli fur les lévres d'Iris,
Qui mollement refifte, & par un doux caprice,
Quelquefois le refuse, afin qu'on le raviffe. +

Tom. I.

*Virg. Eclog. 4.

H

Horat. Ode 12. lib. 2.

Son

Son ftile impetueux fouvent marche au hazard.
Chez elle un beau defordre eft un effet de l'art.
[que
Loin ces Rimeurs craintifs, dont l'efprit phlegmati
Garde dans fes fureurs un ordre didactique :
Qui chantant d'un Heros les progrés éclatans,
Maigres Hiftoriens, fuivront l'ordre des temps.
Ils n'ofent un moment perdre un fujet de veuë.
Pour prendre Dole, il faut que l'Ifle foit renduë,
Et que leur vers exact, ainfi que Mezeray,
Ayt fait déja tomber les remparts de Courtray.
Apollon de fon feu leur fut toûjours avare.

On dit à ce propos, qu'un jour ce Dieu bizarre
Voulant pouffer à bout tous les Rimeurs François,
Inventa du Sonnet les rigoureufes loix;

Voulut, qu'en deux Quatrains de mesure pareille
La Rime avec deux fons frappaft huit fois l'oreille,
Et qu'enfuite, fix vers artiftement rangez
Fuffent en deux Tercets par le fens partagez.
Sur tout de ce Poëme il bannit la licence:
Lui-mefme en mefura le nombre & la cadence:
Defendit qu'un vers foible y pût jamais entrer,
Ni qu'un mot déja mis ofaft s'y remontrer.
Du refte il l'enrichit d'une beauté suprême.
Un Sonnet fans defauts vaut feul un long Poëme.
Mais en vain mille Auteurs y penfent arriver,
Et cet heureux Phénix eft encore à trouver.
A peine dans Gombaut, Maynard, & Malleville
En peut-on admirer deux ou trois entre mille.
Le reste auffi peu lû que ceux de Pelletier,
N'a fait de chez Sercy qu'un faut chez l'Epicier.
Pour enfermer fon fens dans la borne prescrite,
La mesure eft toûjours trop longue ou trop petite.
L'Epigramme plus libre, en fon tour plus borné,
N'eft fouvent, qu'un bon mot de deux rimes orné.
Jadis de nos Auteurs les Pointes ignorées
Furent de l'Italie en nos vers attirées.
Le Vulgaire éblouï de leur faux agrément,
A ce nouvel appas courut avidement.

*Lä

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