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L'autre encore agité de vapeurs plus funebres.

Penfe eftre au Jeudy faint, croit que l'on dit Tenebres,
Et déja tout confus tenant midi fonné,
En foymefme fremit de n'avoir point difné.

Ainfi, lors que tout preft à brifer cent murailles,
LOUIS, la foudre en main, abandonnant Versailles,
Au retour du Soleil & des Zephirs nouveaux,
Fait dans les champs de Mars déploier fes drapeaux:
Au feul bruit répandu de fa marche étonnante,
Le Danube s'émeut, le Tage s'épouvante,
Bruxelle attend le coup qui la dóit foudroyer,
Et le Batave encore eft preft à fe noyer.

Mais en vain dans leurs lits un jufte effroy les preffe:
Aucun ne laiffe encor la plume enchantereffe.
Pour les en arracher Girot s'inquietant

Va crier qu'au Chapitre un repas les attend.
Ce mot dans tous les coeurs répand la vigilance:
Tout s'ébranle, tout fort, tout marche en diligence.
Ils courent au Chapitre, & chacun fe preffant,
Flate d'un doux efpoir fon appetit naiffant.
Mais, ô d'un déjeuner vaine & frivole attente!
A peine ils font affis, que d'une voix dolente,
Le Chantre defolé lamentant fon malheur,
Fait mourir l'appetit, & naistre la douleur.
Le feul Chanoine Evrard d'abstinence incapable,
Ofe encor propofer qu'on apporte la table.
Mais on a beau preffer, aucun ne lui répond.
Quand le premier rompant ce filence profond,
Alain touffe, & fe leve, Alain ce fçavant homme,
Qui de Bauny vingt fois a lû toute la Somme,
Qui poffede Abely, qui fçait tout Raconis,
Et mefme entend, dit-on, le Latin d'à Kempis.

N'en doutez point, leur dit ce fçavant Canonifte,
Ce coup part, j'en fuis feur, d'une main Janfenifte.
Mes yeux en font témoins: j'ay vù moy-mesme hier
Entrer chez le Prelat le Chapelain Garnier.
Arnaud, cet Heretique ardent à nous détruire,
Par ce Miniftre adroit tente de le feduire.

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Sans doute il aura û dans ion Saint Auguftin
Qu'autrefois Saint Louis érigea ce Lutrin.
Il va nous inonder des torrens de fa plume.

Il faut, pour lui répondre, ouvrir plus d'un volume: Confultons fur ce point quelque Auteur fignalé. Voyons fi des Lutrins Bauny n'a point parlé. Eftudions enfin, il en eft temps encore;

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Et pour ce grand projet, tantoft dés que l'Aurore:
Rallumera le jour dans l'onde enseveli,
Que chacun prenne en main le moëleux Abeli. *
Ce Confeil imprevû de nouveau les étonne,
Sur tout le gras Evrard d'épouvante en friffonne.
Moy? dit-il, qu'à mon âge Ecolier tout nouveau
J'aille pour un Lutrin me troubler le cerveau ?
O le plaifant confeil! Non, non, fongeons à vivre.
Va maigrir, fitu veux, & fecher fur un livre.
Pour moy je lis la Bible autant que l'Alcoran.
Je fçay ce qu'un Fermier nous doit rendre
Sur quelle vigne à Rheims nous avons hypotheque.
Vingt muids rangez chez moy font ma Bibliotheque.
En plaçant un Pupitre on croit nous rabaisser,
Mon bras feul fans Latin fçaura le renverfer.

par an:

[ve? Que m'importe qu'Arnaud me condamne ou m'approuJ'abbats ce qui me nuit par tout où je le trouve. C'eft là mon fentiment. A quoy bon tant d'apprefts? Du refte déjeunons, Meffieurs, & beuvons frais. Ce difcours, que foûtient l'embonpoint du visage, Rétablit l'appetit, réchauffe le courage: Mais le Chantre fur tout en paroift raffuré. Oui, dit-il, le Pupitre a déja trop duré. Allons fur fa ruine affurer ma vengeance. Donnons à ce grand œuvre une heure d'abftinence, Et qu'au retour tantoft un ample déjeuner Long temps nous tienne a table, & s'uniffe au Auffi-toft il fe leve, & la Troupe fidele,

Par ces mots attirans fent redoubler fon zele.

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* Fameux Auteur qui a fait la Moële Theologique. Medulla Theologica.

Ils marchent droit au Chœur d'un pas audacieux,
Et bien-toft le Lutrin fe fait voir à leurs yeux.
A ce terrible objet aucun d'eux ne confulte.
Sur l'Ennemi commun ils fondent en tumulte.
Ils fappent le pivot qui fe deffend en vain.
Chacun fur lui d'un coup veut honorer sa main.
Enfin fous tant d'efforts la Machine fuccombe,
Et for corps entr'ouvert chancele, éclate, & tombe.
Tel fur les monts glacez des farouches Gelons
Tombe un chefne battu des voifins Aquilons,
Ou tel abandonné de fes poutres ufées

Fond enfin un vieux toit fous fes tuiles brifées.
La Maffe eft emportée, & fes ais arrachez
Sont aux yeux des Mortels chez le Chantre cachez.

ول

CHANT

L'

CHANT V.

'Aurore cependant d'un jufte effroy troublée,
Des Chanoines levez void la troupe affemblée,
Et contemple long-temps, avec des yeux confus,
Ces vifages fleuris qu'elle n'a jamais vûs.

Chez Sidrac auffi-toft Brontin, d'un pié fidele,
Du Pupitre abattu va porter la nouvelle.

Le Vieillard de fes foins benit l'heureux fuccés:
Et fur un bois détruit bâtit mille procés.
L'efpoir d'un doux tumulte échauffant fon courage,
Il ne fent plus le poids ni les glaces de l'âge,
Et chez le Tréforier, de ce pas, à grand bruit,
Vient étaler au jour les crimes de la nuit.
Au recit imprévû de l'horrible infolence,
Le Prelat hors du lit impetueux s'élance.
Vainement d'un breuvage à deux mains apporté,
Gilotin, avant tout, le veut voir humecté.
Il veut partir à jeun, il fe peigne, il s'apprefte.
L'yvoire trop hafté deux fois rompt fur fa tefte,
Et deux fois de fa main le bouïs tombe en morceaux.
Tel Hercule filant rompoit tous les fufeaux.
Il fort demi-paré. Mais déja fur fa porte

Il void de faints Guerriers une ardente cohorte,
Qui tous remplis pour lui d'une égale vigueur
Sont prefts, pour le fervir, à deferter le Chœur.
Mais le Vieillard condamne un projet inutile.
Nos deftins font, dit-il, écrits chez la Sibylle,
Son antre n'eft pas loin. Allons la confulter,
Et fubiffons la loy qu'elle nous va dicter.

Il dit à ce confeil, où la raison domine,

:

Sur fes pas au Barreau la Troupe s'achemine,

Et bien-toft dans le Temple entend, non fans fremir, De l'Antre redouté les foûpiraux gemir.

Entre ces vieux appuis, dont l'affreuse Grand' Sale Soûtient l'énorme poids de fa voûte infernale, G 2

Eft

Eft un Pilier fameux des Plaideurs refpe&té,
Et toûjours de Normans à midi frequenté.
Là fur des tas poudreux de facs & de pratique,
Heurle tous les matins une Sibylle etique:
On l'appelle Chicane, & ce Monftre odieux
Jamais pour l'équité n'eut d'oreilles ni d'yeux.
La Difette au teint blême, & la trifte Famine,
Les Chagrins devorans, & l'infame Ruïne,
Enfans infortunez de fes raffinemens,
Troublent l'air d'alentour de longs gemiffemens.
Sans ceffe feuilletant les Loix & la Coûtume,
Pour confumer autrui, le Monftre se confume,
Et devorant maisons, palais, chafteaux entiers,
Rend pour des monceaux d'or, de vains tas de papiers.
Sous le coupable effort de fa noire infolence
Themis a veu cent fois chanceler fa balance.
Inceffamment il va de détour en détour.
Comme un Hibou fouvent il fe dérobe au jour.
Tantoft les yeux en feu c'est un Lion superbe,
Tantoft humble Serpent il fe gliffe fous l'herbe.
En vain, pour le domter, le plus jufte des Rois
Fit regler le cahos des tenebreuses Loix ;
Ses griffes vainement par Puffort accourcies
Se ralongent déja, toûjours d'encre noircies,
Et fes rufes perçant & digues & remparts,
Par cent bréches déja rentrent de toutes parts.

Le Vieillard humblement l'aborde & le faluë,
Et faifant, avant tout, briller l'or à fa vûë:
Reine des longs procez, dit-il, dont le fçavoir
Rend la force inutile, & les loix fans pouvoir.
Toy pour qui dans le Mans le Laboureur moiffonne,
Pour qui naiffent à Caen tous les fruits de l'Automne,
Si dés mes premiers ans heurtant tous les mortels,
L'encre a toûjours pour moy coulé fur tes autels;
Daigne encor me connoistre en ma saison derniere.
D'un Prelat qui t'implore exauce la priere.

Un

*Monfieur Puffort, Confeiller d'Eftat, eft celui qui a le plus contribué à faire le Code.

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