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La colere à l'inftant fuccedant à la crainte,
Ils rallument le feu de leur bougie éteinte.
Ils rentrent. L'Oyfeau fort. L'Escadron raffermi
Rit du honteux départ d'un fi foible Ennemi.
Auffi-toft dans le chœur la Machine emportée
Et fur le banc du Chantre à grand bruit remontée.
Ses ais demi-pourris, que l'âge a relâchez,
Sont à coups de maillet unis & raprochez.
Sous les coups redoublez tous les bancs retentiffent,
Les murs en font émûs, les voûtes en mugiffent,
Et l'Orgue mefme en pouffe un long gemiffement.
Que fais-tu Chantre, helas! dans ce trifte moment?
Tu dors d'un profond fomme, & ton cœur fans alarmes
Ne fçait pas qu'on bâtit l'inftrument de tes larmes.
O! que fi quelque bruit, par un heureux réveil,
T'annonçoit du Lutrin le funefte appareil !
Avant que de fouffrir qu'on en posaft la masse,
Tu viendrois en Apoftre expirer dans ta place,
Et Martyr glorieux d'un point d'honneur nouveau,
Offrir ton corps aux clous, & ta tefte au marteau.
Mais déja fur ton banc la machine enclavée

Eft durant ton fommeil à ta honte élevée.
Le Sacriftain acheve en deux coups de rabot:
Et le Pupitre enfin tourne fur fon pivot.

CHANT

CHANT IV.

Appelloient à grand bruit les Chantres à Matines:
Quand leur Chef agité d'un fommeil effrayant,
Encor tout en fueur fe réveille en criant.
Aux élans redoublez de fa voix douloureufe,
Tous fes valets tremblans quittent la plume oyfeufe.
Le vigilant Girot court à lui le premier.

C'eft d'un Maiftre fi faint le plus digne Officier.
La porte dans le Choeur à fa garde elt commife:
Valet fouple au logis, fier Huiffier à l'Eglife.

Quel chagrin, lui dit-il, trouble vostre fommeil ?
Quoy? voulez-vous au Chœur prévenir le Soleil ?
Ah! dormez: & laiffez à des Chantres vulgaires,
Le foin d'aller fi-toft meriter leurs falaires.

Ami, lui dit le Chantre encor pafle d'horreur,
N'infulte point, de grace, à ma jufte terreur.
Mefle plûtoft ici tes foûpirs à mes plaintes,
Et tremble en écoutant le fujet de mes craintes.
Pour la feconde fois un fommeil gracieux
Avoit fous fes pavots appefanti mes yeux:
Quand l'efprit eny vré d'une douce fumée,
J'ay crû remplir au Choeur ma place accoûtumée.
Là triomphant aux yeux des Chantres impuiffans,
Je beniffois le peuple, & j'avalois l'encens:
Lorfque du fond caché de noftre Sacriftie,
Une épaiffe nuée à longs flots eft fortie,
Qui s'ouvrant à mes yeux dans fon bluaftre éclat,
M'a fait voir un ferpent conduit par le Prélat.
Du corps de ce Dragon plein de fouffre & de nitre,
Une tefte fortoit en forme de Pupitre,
Dont le triangle affreux tout heriffé de crins,
Surpaffoit en groffeur nos plus épais Lutrins..
Animé par fon guide en fiflant il s'avance:
Contre moy fur mon banc, je le voy qui s'élance.

J'ay

J'ay crié, mais en vain: & fuyant fa fureur,
Je me fuis réveillé plein de trouble & d'horreur.
Le Chantre s'arreftant à cet endroit funefte,
A les yeux effrayez laiffe dire le refte.
Girot en vain l'affure, & riant de fa peur,
Nomme fa vifion l'effet d'une vapeur.
Le defolé Vieillard qui hait la raillerie,
Lui deffend de parler, fort du lit en furie,
On apporte à l'inftant fes fomptueux habits,
Où fur l'oüate molle éclate le tabis.

D'une longue foutane il endoffe la moire,
Prend fes gands violets, les marques de fa gloire,
Et faifit en pleurant ce rochet, qu'autrefois
Le Prelat trop jaloux lui rogna de trois doigts.
Auffi-toft d'un bonnet ornant fa tefte grife,
Déja l'aumuffe en main il marche vers l'Eglife,
Et haftant de fes ans l'importune langueur,
Court, vole & le premier arrive dans le Choeur. [le,*
O Toy, qui fur ces bords qu'une eau dormante mouil-
Vis combattre autrefois le Rat & la Grenoüille:
Qui par les traits hardis d'un bizarre pinceau
Mis l'Italie en feu pour la perte d'un Seau : +
Mufe, prête à ma bouche une voix plus sauvage,
Pour chanter le dépit, la colere, la rage,
Que le Chantre fentit allumer dans fon fang,
A l'afpect du Pupitre élevé fur fon banc.
D'abord pafle & muet, de colere immobile,
A force de douleur, il demeura tranquille :
Mais la voix s'échapant au travers des fangiots,
Dans fa bouche à la fin fit paffage à ces mots.

La voilà donc, Girot, cette hydre épouvantable.
Que m'a fait voir un fonge, helas! trop veritable.
Je le voy ce Dragon tout preft à m'égorger,
Ce Pupitre fatal qui me doit ombrager.
Prelat, que t'ay-je fait? quelle rage envieufe
Rend pour me tourmenter ton ame ingenieuse?

Homere a fait la guerre des Rats & des Grenouilles.
La Secchia rapita, Poëme Ital.

Quoy?

Quoy? mefme dans ton lit, Cruel, entre deux draps,
Ta profane fureur ne fe repose pas ?

O Ciel! quoy? fur mon banc une honteuse masse
Deformais me va faire un cachot de ma place?
Inconnu dans l'Eglife, invifible en ce lieu,
Je ne pourray donc plus eftre vû que de Dieu ?
Ah! plûtoft qu'un moment cet affront m'obscurciffe,
Renonçons à l'autel, abandonnons l'Office,
Et fans laffer le Ciel par des chants fuperflus,
Ne voyons plus un Choeur où l'on ne nous void plus,
Sortons. Mais cependant mon Ennemi tranquille
Jouira fur fon banc de ma rage inutile,

Et verra dans le Chœur le Pupitre exhauffé
Tourner fur le pivot où fa main l'a placé.
Non, s'il n'eft abattu, je ne fçaurois plus vivre.
A moy, Girot, je veux que mon bras m'en délivre,
Periffons s'il le faut: mais de fes ais brifez
Entraînons, en mourant, les reftes divifez.

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A ces mots, d'une main par la rage affermie, Il alloit terraffer la Machine ennemie :

Lors qu'en ce facré lieu, par un heureux hazard,
Entrent Jean le Chorifte, & le Sonneur Girard,
Qui de tout temps pour lui brûlant d'un mefme zele
Gardent pour le Prelat une haine fidele.

A l'afpect du Lutrin tous deux tremblent d'horreur,
Du Vieillard toutefois ils blâment la fureur.
Abattons, difent-ils, fa fuperbe machine:
Mais ne nous chargeons pas tous feuls de fa ruine,
Et que tantoft aux yeux du Chapitre affemblé
Il foit fous trente mains en plein jour accablé.

Ces mots des mains du Chantre arrachent le Pupitre.
J'y confens, leur dit-il, affemblons le Chapitre.
Sus-donc, allez tous deux, par de faints hurlemens,
Réveiller de ce pas les Chanoines dormans.
Partez. Mais à ce mot les Champions pâliffent:
De l'horreur du peril leurs courages fremiffent.
Ah! Seigneur, dit Girard, que nous demandez-vous!
De grace moderez un aveugle couroux.

Nous

Nous pourrions réveiller des Chantres & des Moines.
Mais mefme avant l'Aurore éveiller des Chanoines!
Qui jamais l'entreprit? Qui l'oferoit tenter?
Eft-ce un projet, ô Ciel! qu'on puiffe executer?
Hé! Seigneur, quand nos cris pourroient du fond des

ruës

De leurs appartemens percer les avenuës:
Appeller ces valets autour d'eux étendus,
De leur facré repos miniftres affidus,
Et penetrer ces lits au bruit inacceffibles:
Penfez-vous, au moment que ces dormeurs paifibles
De la tefte une fois preffent un oreiller,
Que la voix d'un Mortel puiffe les réveiller?
Deux Chantres feront-ils, dans l'ardeur de vous plaire,
Ce que depuis trente ans fix cloches n'ont pu faire?
Ah! je voy bien où tend tout ce difcours trompeur,
Reprend le chaud Vieillard, le Prelat vous fait peur.
Je vous ay vû cent fois fous fa main beniffante
Courber fervilement une épaule tremblante.
Hébien, allez, fous lui fléchiffez les genoux.
Je fçauray réveiller les Chanoines fans vous.
Vien, Girot, feul ami qui me refte fidele.
Prenons du faint Jeudy la bruyante Creffelle.*
Suy-moy. Qu'à fon lever le Soleil aujourd'hui
Trouve tout le Chapitre éveillé devant lui.

Il dit. Du fond poudreux d'une armoire facrée
Par les mains de Girot la Creffelle eft tirée.
Ils fortent à l'inftant, & par d'heureux efforts
Du lugubre inftrument font crier les refforts.
Pour augmenter l'effroy, la Difcorde infernale
Monte dans le Palais, entre dans la grand' Sale,
Et du fond de cet antre, au travers de la nuit,
Fait fortir le Demon du tumulte & du bruit.
Le quartier alarmé n'a plus d'yeux qui fommeillent.
Déja de toutes parts les Chanoines s'éveillent.
L'un croit que le tonnerre eft tombé fur les toits,
Et que l'Eglife brûle une feconde fois.

* Inftrument dont on fe fert le Jeudy faint au lieu des Cloches.

L'au

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