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CHANT III.

Ais la Nuit auffi-toft de fes ailes affreuses,
Couvre des Bourguignons les campagnes vineu-
fes,

Revole vers Paris, & haftant fon retour,
Déja de Monlheri void la fameuse tour.
Ses murs dont le fommet fe dérobe à la veuë,
Sur la cime d'un roc s'alongent dans la nuë,
Et prefentant de loin leur objet ennuieux,
Du Paffant qui le fuit, femblent fuivre les yeux.
Mille oifeaux effrayans, mille corbeaux funèbres
De ces murs defertez habitent les tenebres.
Là depuis trente hy vers un Hibou retiré
Trouvoit contre le jour un refuge affuré.
Des defaftres fameux ce Meffager fidele
Sçait toûjours des malheurs la premiere nouvelle,
Et tout preft d'en femer le préfage odieux,
Il attendoit la Nuit dans ces fauvages lieux.
Aux cris qu'à fon abord vers le Ciel il envoye,
Il rend tous fes Voifins attriftez de fa joye.
La plaintive Progné de douleur en fremit:
Et dans les bois prochains Philomele en gemit.
Suy-moi, lui dit la Nuit. L'Oyfeau plein d'allegreffe
Reconnoist à ce ton la voix de la Maiftreffe.

Il la fuit: & tous deux, d'un cours precipité,
De Paris à l'inftant abordent la Cité,

Là s'élançant d'un vol, que le vent favorife,
Ils montent au fommet de la fatale Eglife.
La Nuit baiffe la veuë, & du haut du clocher
Obferve les Guerriers, les regarde marcher.
Elle void l'Horloger, qui d'une main legere,
Tient un verre de vin qui rit dans la fougere,
Et chacun tour à tour s'inondant de ce jus,
Celebrer en beuvant Gilotin & Bacchus.
Is triomphent, dit-elle, & leur ame abusée
Se promet dans mon ombre une victoire ailée.

Mais allons, il eft temps qu'ils connoiffent la Nuit,
A ces mots regardant le Hibou qui la fuit,
Elle perce les murs de la voute facrée,
Jufqu'en la Sacriftie elle s'ouvre une entrée,
Et dans le ventre creux du Pupitre fatal
Va placer de ce pas le finiftre Animal.

Mais les trois Champions pleins de vin & d'audace,
Du Palais cependant paffent la grande place
Et fuivant de Bacchus les aufpices facrez,
De l'augufte Chapelle ils montent les degrez.
Ils atteignoient déja le fuperbe Portique,
Où Ribou le Libraire, au fond de fa boutique,
Sous vingt fideles clefs, garde & tient en dépoft
L'amas toûjours entier des écrits de Péroft.
Quand Boirude, qui void que le peril approche,
Les arrefte, & tirant un fufil de fa poche,
Des veines d'un caillou, qu'il frappe au mefme inftant,
Il fait jaillir un feu qui petille en fortant:

Et bien-toft au brazier d'une mefche enflammée,
Montre, à l'aide du fouffre, une cire allumée.
Cet Aftre tremblotant, dont le jour les conduit,
Eft pour eux un Soleil au milieu de la nuit.
Le Temple à fa faveur eft ouvert par Boirude:
Ils paffent de la Nef la vafte folitude,

Et dans la Sacriftie entrant, non fans terreur,
En percent jufqu'au fond la tenebreuse horreur.
C'est là que du Lutrin git la machine énorme,
La troupe quelque temps en admire la forme.
Quand l'Horloger, qui tient les momens precieux:
Ce fpectacle n'eft pas pouramufer nos yeux,
Dit-il, le temps eft cher, portons-le dans le Temple:
C'eft là qu'il faut demain qu'un Prelat le contemple..
Et d'un bras, à ces mots, qui peut tout ébranler,
Lui-mefme fe courbant s'apprefte à le rouler.
Mais à peine il y touche, & prodige incroyable!:
Que du Pupitre fort une voix effroyable.
Brontin en eft émû, le Sacriftain paflit,
Et l'Horloger.commence à regreter fon lit.

Dáns

Dans fon hardi projet toutefois il s'obstine :
Lorfque des flancs poudreux de la vafte machine
L'Qy feau fort en courroux, & d'un cri menaçant
Acheve d'étonner l'Horloger paflissant.

[fent,

De fes aîles dans l'air fecoüant la pouffiere,
Dans la main de Boirude il efteint la lumiere.
Les Guerriers à ce coup demeurent confondus:
Ils regagnent la Nef de frayeur éperdus.
Sous leurs corps tremblotans leurs
genoux s'affoiblif
D'une fubite horreur leurs cheveux fe heriffent,
Et bien-toft, au travers des ombres de la nuit,
Le timide Efcadron fe diffipe & s'enfuit.

Ainfi lorfqu'en un coin, qui leur tient lieu d'azile,
D'Ecoliers libertins une troupe indocile,
Loin des yeux d'un Préfet au travail affidu,
Va tenir quelquefois un Brelan deffendu:
Si du veillant Argus la figure effrayante,
Dans l'ardeur du plaifir à leurs yeux fe prefente,
Le jeu ceffe à l'inftant, l'azile eft deferté,
Et tout fuit à grands pas le Tyran redouté.

La Difcorde qui void leur honteufe disgrace,
Dans les airs cependant tonne, éclate, menace:
Et malgré la frayeur dont leurs cœurs font glacez,
S'apprefte à reünir fes Soldats difperfez.
Auffi-toft de Sidrac elle emprunte l'image:
Elle ride fon front, alonge fon vifage,
Sur un bafton noüeux laiffe courber fon corps,
Dont la Chicane femble animer les refforts,
Prend un cierge en fa main, & d'une voix caffée,
Vient ainfi gourmander la Troupe terraffée.

Lafches, où fuiez-vous? Quelle peur vous abbat?
Aux cris d'un vil Oyfeau vous cedez fans combat.
Où font ces beaux discours jadis fi pleins d'audace?
Craignez-vous d'un Hibou l'impuiffante grimace?
Que feriez-vous, helas! fi quelque exploit nouveau
Chaque jour, comme moy, vous traînoit au Barreau ?
S'il falloit fans amis, briguant une audience,
D'un Magiftrat glacé foûtenir la presence:

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Ou d'un nouveau procés, hardi Solliciteur,
Aborder fans argent un Clerc de Rapporteur?
Croyez-moy, mes Enfans: je vous parle à bon titre:
J'ay moy feul autrefois plaidé tout un Chapitre:
Et le Barreau n'a point de monftres fi hagards,
Dont mon œil n'ayt cent fois foûtenu les regards.
Tous les jours fans trembler j'affiegeois leurs paffages.
L'Eglife eftoit alors fertile en grands courages.
Le moindre d'entre nous fans argent, fans appui,
Euft plaidé le Prelat & le chantre avec lui.
Le Monde, de qui l'âge avance les ruines,
Ne peut plus enfanter de ces ames divines:
Mais que vos cœurs du moins imitant leurs vertus,
De l'afpect d'un Hibou ne foient pas abbattus.
Songez, quel deshonneur va fouiller voftre gloire;
Quand le Chantre demain entendra fa victoire.
Vous verrez tous les jours, le Chanoine infolent,
Au feul mot de Hibou, vous foûrire en parlant..
Voftre ame à ce penfer de colere murmure:
Allez donc de ce pas en prévenir l'injure.
Meritez les lauriers qui vous font refervez,
Et reffouvenez-vous quel Prelat vous fervez.
Mais déja la fureur dans vos yeux étincele.
Marchez, courez, volez où l'honneur vous appelle.
Que le Prelat furpris d'un changement fi prompt
Apprenne la vengeance auffi-toft que l'affront.
En achevant ces mots, la Déeffe guerriere
De fon pié trace en l'air un fillon de lumiere,
Rend aux trois Champions leur intrepidité,
Et les laiffe tous pleins de fa Divinité.

C'eft ainfi grand Condé, qu'en ce combat celebre,
Qù ton bras fit trembler le Rhin, l'Efcaut, & l'Ebre:
Lors qu'aux plaines de Lens nos batailions pouffez
Furent prefque à tes yeux ouverts & renverfez:
Ta valeur arreftant les Troupes fugitives,
Rallia d'un regard leurs cohortes craintives:
Répandit dans leurs rangs ton efprit belliqueux,
Et força la Victoire à te fuivre avec eux.

La

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