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CHANT II.

Ependant cet Oyfeau qui profne les merveilles,.
Ce Monftre compofé de bouches & d'oreilles,
Qui fans ceffe volant de climats en climats,
Dit par tout ce qu'il fçait, & ce qu'il ne fçait pas..
La Renommée enfin, d'une courfe legere,
Va porter la terreur au fein de l'Horlogere:
Lui dit que fon Epoux d'un faux zele conduit',
Pour placer un Lutrin doit veiller cette nuit:
A ce trifte recit tremblante, desolée,

Elle accourt l'œil en feu, la tefte échevelée,
Et trop feure d'un mal, qu'on penfe lui celer:
Ofes-tu bien encor, Traistre, diffimuler,
Dit-elle ? & ni la foi que ta main m'a donnée,
Ninos embraffemens qu'a fuivi l'Hymenée,
Ni ton Espouse enfin toute prefte à perir,
Ne fçauroient donc t'ofter cette ardeur de courir ?
Perfide, fi du moins à ton devoir fidele

Tu veillois pour regler quelque horloge nouvelle;
L'efpoir d'un jufte gain confolant ma langueur,
Pourroit de ton abfence adoucir la longueur.
Mais quel zele indiferet, quelle aveugle entreprise-
Arme aujourd'hui ton bras en faveur d'une Eglife?
Où vas-tu, cher Epoux? Eft-ce que tu me fuis?
As-tu donc oublié tant de fi douces nuits??
Quoi d'un œil fans pitié vois tu couler mes larmes ?
Au nom de nos baifers jadis fi pleins de charmes,
Si mon cœur de tout temps facile à tes defirs
N'a jamais d'un moment différé tes plaifirs;
Si pour te prodiguer mes plus tendres careffes
Je n'ay point exigé ni fermens ni promeffes;:
Si toi feul à mon lit enfin eustoûjours part,
Differe au moins d'un jour ce funefte départ:
En acheyant ces mots, cette Amante enflammée
Sur un placet voifin tombe demi-pafmée.

F 5

Soa

Son Epoux s'en émeut, & fon cœur éperdu
Entre deux paffions demeure fufpendu;
Mais enfin rappellant fon audace premiere.

Ma Femme, lui dit-il, d'une voix douce & fiére;
Je ne veux point nier les folides bienfaits
Dont ton amour prodigue a comblé mes fouhaits:
Et le Rhin de fes flots ira groffir la Loire.
Avant que tes faveurs fortent de ma memoire.
Mais ne préfume pas, qu'en te donnant ma foi,
L'Hymen m'ayt pour jamais affervi fous ta loi.
Si le Ciel en mes mains euft mis ma destinée,
Nous aurions fui tous deux le joug de l'Hymenée:
Et fans nous oppofer ces devoirs pretendus,
Nous goûterions encor des plaifirs deffendus.
Ceffe donc à mes yeux d'étaler un vain titre.
Ne m'ofte pas l'honneur d'élever un Pupitre :
Et toi-mefme donnant un frein à tes defirs,
Raffermy ma vertu qu'ébranlent tes foûpirs.
Que te dirai-je enfin? c'eft le Ciel qui m'appelle:
Une Eglife, un Prelat m'engage en fa querelle.
Il faut partir: j'y cours. Difipe tes douleurs,
Et ne me trouble plus par ces indignes pleurs.
Il la quitte à ces mots. Son Amante effarée
Demeure le teint pafle, & la veuë égarée;
La force l'abandonne, & fa bouche trois fois
Voulant le rappeller ne trouve plus de voix.
Elle fuit, & de pleurs inondant fon visage,
Seule pour s'enfermer vole au cinquième étage,
Mais d'un bouge prochain accourant à ce bruit,
Sa fervante Alizon la ratrape, & la fuit.

Les ombres cependant fur la ville épanduës,
Du faiste des maifons defcendent dans les ruës:
Le fouper hors du Choeur chaffe les Chapelains,
Et de Chantres beuvans les cabarets font pleins.
Le redouté Brontin, que fon devoir éveille,
Sort à l'instant chargé d'une triple bouteille,
D'un vin dont Gilotin, qui fçavoit tout prevoir,
Au fortir du confeil eut foin de le pourvoir,

L'o

L'odeur d'un jus fi doux lui rend le faix moins rude,
Il est bien-toft fuivi du Sacriftain Boirude,
Et tous deux de ce pas s'en vont avec chaleur
Du trop lent Horloger réveiller la valeur.
Partons, lui dit Brontin. Déja le jour plus fombre
Dans les eaux s'éteignant va faire place à l'ombre.
D'où vient ce noir chagrin que je lis dans tes yeux?
Quoi? le Pardon fonnant te retrouvé en ces lieux ?
Où donc eft ce grand cœur, dont tantoft l'allegreffe
Sembloit du jour trop long accufer la pareffe?
Marche & fuy-nous du moins où l'honneur nous attend
L'Horloger indigné rougit en l'écoutant:
Auffi-toft de longs clous il prend une poignée::
Sur fon épaule il charge une lourde coignée :
Et derriere fon dos qui tremble fous le poids,
It attache une fcie en forme de carquois.
Il fort au mefme inftant, il fe met à leur tefte.
A fuivre ce grand Chefl'un & l'autre s'apprefte.
Leur coeur femble allumé d'un zele tout nouveau.
Brontin tient un maillet, & Boirude un marteau.
La Lune qui du Ciel void leur démarche altiere,
Retire en leur faveur fa pai fible lumiere.

La Difcorde en foûrit, & les fuivant des yeux,-
De joye, en les voyant, pouffe un cri dans les Cieux.
L'air qui gemit du cri de l'horrible Déeffe,
Va jufques dans Cifteaux réveiller la Molleffe.
C'est là qu'en un dortoir elle fait fon fejour.
Les Plaifirs nonchalans folaftrent à l'entour.
L'un paîtrit dans un coin l'embonpoint des Chanoines ::
L'autre broye en riant le vermillon des Moines:
La Volupté la fert avec des yeux devots,
Et toûjours le Sommeil lui verfe des pavots.
Ce foir plus que jamais en vain il les redouble.
La Molleffe à ce bruit fe réveille, fe trouble.
Quand la Nuit, qui déja va tout enveloper,-
D'un funefte recit vient encor la frapper":
Lui conte du Prelat l'entreprise nouvelle.
Aux piez des murs facrez d'une Sainte Chapelle

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Elle a vû trois Guerriers ennemis de la paix,
Marcher à la faveur de fes voiles épais.

La Difcorde en ce lieu menace de s'accroistre
Demain avec l'Aurore un Lutrin va paroiftre,
Qui doit y foûlever un peuple de mutins.
Ainfi le Ciel l'écrit au livre des Destins.

A ce trifte Difcours, qu'un long foûpir acheve,
La Molleffe en pleurant fur un bras fe releve,
Ouvre un œil languiffant, & d'une foible voix,
Laiffe tomber ces mots, qu'elle interrompt vingt fois.
QNuit, que m'as-tu dit? Quel Demon fur la Terre
Souffle dans tous les cœurs la fatigue & la guerre ?
Helas! qu'eft devenu ce temps, cet heureux temps,
Où les Rois s'honoroient du nom de Faineans,
S'endormoient fur le Trône, & me fervant fans honte,
Laiffoient leur fceptre aux mains ou d'un Maire ou d'un
Comte?

Aucun foin n'approchoit de leur paifible Cour.

On repofoit la nuit: On dormoit tout le jour.
Seulement au Printemps, quand Flore dans les plaines
Faifoit taire des Vents les bruyantes haleines,
Quatre bœufs attelez, d'un pas tranquille & lent,
Promenoient dans Paris le Monarque indolent..
Ce doux fiecle n'eft plus. Le Ciel impitoyable
A placé fur leur Trône un Prince infatigable.
Il brave mes douceurs, il est sourd à ma voix :
Tous les jours il m'éveille au bruit de fes exploits.
Rien ne peut arrefter fa vigilante audace.
L'Efté n'a point de feux, l'Hyver n'a point de glace.
J'entens à fon feul nom tous mes fujets fremir.
En vain deux fois la Paix a voulu l'endormir:
Loin de moy fon courage entraîné par la gloire,
Ne fe plaift qu'à courir de victoire en victoire.
Je me fatiguerois, à te tracer le cours

Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours.
Je croyois, loin des lieux d'où ce Prince m'exile,
Que l'Eglife du moins m'affuroit un azile.
Mais en vain j'efperois y regner fans effroi :

Moines, Abbez, Prieurs, tout s'arme contre moi.
Par mon exil honteux la Trape eft ennoblie.
J'ai vu dans Saint Denis la reforme établie.
Le Carme, le Feüillant s'endurcit aux travaux :
Et la Regle déja se remet dans Clervaux.
Cifteaux dormoit encore, & la Sainte Chapelle
Confervoit du vieux temps l'oifiveté fidele;
Et voici qu'un Lutrin preft à tout renverser,
D'un féjour fi cheri vient encor me chaffer.
O Toi, de mon repos compagne aimable & fombre,
A de fi noirs forfaits prefteras-tu ton ombre?
Ah! Nuit, fitant de fois, dans les bras de l'Amour,
Je t'admis aux plaifirs que je cachois au jour.
Du moins ne permets pas.... La Molleffe oppreffée
Dans fa bouche à ce mot fent fa langue glacée,
Et laffe de parler, fuccombant fous l'effort,
Soûpire, étend les bras, ferme l'œil, & s'endort..

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