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A quoi bon ce dégouft & ce zele inutile ?
Eft-il donc pour jeûner Quatre-temps, ou Vigile?
Reprenez vos efprits, & fouvenez-vous bien,
Qu'un difner réchauffé ne valut jamais rien.
Ainfi dit Gilotin, & ce Miniftre fage

Sur table, au mefme inftant, fait fervir le potage.
Le Prelat void la foupe, & plein d'un faint refpect
Demeure quelque temps muet à cet afpect.

Il cede, il difne enfin: mais toûjours plus farouche,
Les morceaux trop haftez se preffent dans la bouche.
Gilotin en gemit, & fortant de fureur,

Chez tous les Partisans va femer la terreur.
On void courir chez lui leurs troupes éperduës:
Comme l'on void marcher les bataillons de Gruës;
Quand le Pygmée altier redoublant fes efforts
De l'Hebre ou du Strymon vient d'occuper les bords.
A l'aspect imprévû de leur foule agreable,
Le Prelat radouci veut fe lever de table.
Son vifage n'a plus cet air fi furibon.

Il fait par Gilotin raporter un jambon.
Lui-mefme le premier, pour honorer la troupe,
D'un vin pur & vermeil il fait remplir fa coupe :
Il l'avale d'un trait: & chacun l'imitant,
La cruche au large ventre eft yuide en un inftant.
Si-toft que du nectar la troupe eft abreuvée,
On deffert: & foudain la nappe estant levée,
Le Prelat, d'une voix conforme à fon malheur,
Leur confie en ces mots fa trop jufte douleur.

Illuftres Compagnons de mes longues fatigues,
Qui m'avez foûtenu par vos pieufes ligues,
Et par qui, maiftre enfin d'un Chapitre infenfé,
Seul à Magnificat je me vois encenfé.

Souffrirez-vous toûjours qu'un orgueilleux m'outrage:
Que le Chantre à vos yeux détruife vostre ouvrage;
Ufurpe tous mes droits, & s'égalant à moi

Donne à voftre Lutrin & le ton & la loi ?

Ce matin mefme encor, ce n'eft point un mensonge; (Une Divinité me l'a fait voir en fonge)

L'infolent s'emparant du fruit de mes travaux,
A prononcé pour moi le Benedicat vos.

Oui, pour mieux m'égorger, il prend mes propres ar

mes.

Le Prelatà ces mots verfe un torrent de larmes. Il veut, mais vainement poursuivre fon difcours. Ses fanglots redoublez en arrestent le cours.. Le zele Gilotin, qui prend part à fa gloire, Pour lui rendre la voix fait rapporter à boire. Quand Sidrac, à qui l'âge alonge le chemin, Arrive dans la chambre, un baston à la main. Ce Vieillard dans le Chœur a déja vû quatre âges: Il fçait de tous les temps les differens ufages: Et fon rare fçavoir, de fimple Marguillier, L'éleva par degrez au rang de Chevecier. * A l'afpect du Prelat qui tombe en défaillance, Il devine fon mal, il se ride, il s'avance, Et d'un ton paternel reprimant fes douleurs: Laiffe au Chantre, dit-il, la trifteffe & les pleurs,. Prelat, & pour fauver tes droits & ton empire, Ecoute feulement ce que le Ciel m'infpire. Vers cet endroit du Chœur, où le Chantre orgueilleux. Montre, affis à ta gauche, un front fi fourcilleux,. Sur ce rang d'ais ferrez qui forment fa clofture, Fut jadis un Lutrin d'inégale structure, Dont les flancs élargis de leur vaste contour Ombrageoient pleinement tous les lieux d'alentour.. Derriere ce Lutrin, ainfi qu'au fond d'un antre, A peine fur fon banc on difcernoit le Chantre: Tandis qu'à l'autre banc le Prelat radieux Découvert au grand jour attiroit tous les yeux.. Mais un Demon fatal à cette ample machine, Soit qu'une main la nuit euft haté fa ruine, Soit qu'ainfi de tout temps l'ordonnast le deftin, Fit tomber à nos yeux le Pûpitre un matin. J'eus beau prendre le Ciel & le Chantre à partie : Il falut l'emporter dans noftse Sacriftie,. F 3. C'est celui qui a foin des Chapes & de la Cires

Où depuis trente hyvers fans gloire enseveli,
Il languit tout poudreux dans un honteux oubli.
Enten-moi donc, Prelat. Dés que l'ombre tranquille
Viendra d'un crefpe noir envelopper la ville:

Il faut que trois de nous fans tumulte, & fans bruit,
Partent à la faveur de la naiffante nuit,

Et du Lutrin rompu reüniffant la maffe,
Aillent d'un zele adroit le remettre en fa place.
Si le Chantre demain ofe le renverfer,
Alors de cent arrests tu le peux terraffer.
Pour foûtenir tes droits, que le Ciel authorife,
Abifme tout plûtoft, c'eft l'efprit de l'Eglife.
C'eft par là qu'un Prelat fignale fa vigueur.
Ne borne pas ta gloire à prier dans un Chœur.
Ces vertus dans Aleth peuvent eftre en ufage:
Mais dans Paris, plaidons: c'eft là noftre partage.
Tes benedictions dans le trouble croiffant,
Tu pourras les répandre & par vingt & par cent:
Et pour braver le Chantre en fon orgaeil extrême,
Les répandre à fes yeux, & le benir lui-mefme.
. Ce difcours auffi-toft frappe tous les efprits,
Et le Prelat charmé l'approuve par des cris.
Il veut que fur le champ dans la troupe on choififfe
Les trois que Dieu deftine à ce pieux office.
Mais chacun pretend part à cet illuftre emploi.
Le fort, dit le Prelat, vous fervira de loi.
Que l'on tire au billet ceux que l'on doit élire..
Il dit, on obeït, on fe preffe d'écrire.
Auffi-toft trente noms fur le papier tracez
Sont au fond d'un bonnet par billets entassez.
Pour tirer ces billets avec moins d'artifice,
Guillaume enfant de chœur prête fa main novice,
Son front nouveau tondu, fymbole de candeur,
Rougit en approchant d'une honnefte pudeur.
Cependant le Prelat, l'oeil au Ciel, la main nuë,
Benit trois fois les noms, & trois fois les remuë.
Il tourne le bonnet. L'Enfant tire: & Brontin

Eft le premier des noms qu'apporte le Destin. -Le

Le Prelat en conçoit un favorable augure,

Et ce nom dans la troupe excite un doux murmure.
On fe taift; & bien-toft on void paroiftre au jour
Le nom, le fameux nom de l'Horloger la Tour.
Ce nouvel Adonis, à la taille legere,

Eft l'unique fouci d'Anne fon Horlogere.

Ils s'adorent l'un l'autre : & ce couple charmant
S'unit long-temps, dit-on, avant le Sacrement:
Mais depuis trois moiffons, à leur faint affemblage
L'Official a joint le nom de mariage.

Cet Horloger fuperbe eft l'effroi du quartier,
Et fon courage eft peint fur fon vifage altier.
Un des noms refte encor, & le Pielat par grace
Une derniere fois les broüille & les refaffe.
Chacun croit que fon nom eft le dernier des trois.
Mais que ne dis-tu point, ô puiffant porte-croix,
Boirude Sacriftain, cher apui de ton Maistre,
Lors qu'aux yeux du Prelat tu vis ton nom paraistre?
On dit, que ton front jaune, & ton teint fans couleur
Perdit en ce moment fon antique pafleur,

Et que ton corps gouteux plein d'une ardeur guerriere
Pour fauter au plancher fit deux pas en arriere.
Chacun benit tout haut l'arbitre des Humains
Qui remet leur bon droit en de fi bonnes mains.
Auffi-toft on fe leve, & l'affemblée en foule,
Avec un bruit confus, par les portes s'écoule.
Le Prelat resté feul calme un peu fon dépit,
Et jufques au fouper fe couche & s'affoupit.

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