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Qu'un Libraire imprimant les effais de ma plume,
Donna pour mon malheur un trop heureux volume.
Toûjours depuis ce temps en proye aux fots difcours
Contre eux la verité m'eft un foible fecours.
Vient-il de la Province une fatire fade,
D'un Plaifant du païs infipide boutade?
Pour la faire courir on dit qu'elle eft de moi:
Et le fot Campagnard le croit de bonne foi.
J'ay beau prendre à témoin & la Cour & la Ville.
Non, à d'autres, dit-il, on connoist vostre stile.
Combien de temps ces vers vous ont-ils bien coufté ?
Ils ne font point de moi, Monfieur, en verité.
Peut-on m'attribuer ces fottifes étranges?

Ah! Monfieur, vos mépris vous fervent de loüanges.
Ainfi de cent chagrins dans Paris accablé,
Juge, fi toûjours triste, interrompu, troublé,
Lamoignon, j'ay le temps de courtifer les Muses.
Le monde cependant fe rit de mes excufes,
Croit que pour m'infpirer fur chaque evenement
Apollon doit venir au premier mandement.

Un bruit court que le Roy va tout reduire en poudre,
Et dans Valencienne est entré comme un foudre;
Que Cambray des François l'épouvantable écueil
A veu tomber enfin fes murs & fon orgueil :
Que devant Saint-Omer Naffau par fa défaite,
De Philippe vainqueur rend la gloire complete.
Dieu fçait, comme les vers chés vous s'en vont couler!
Dit d'abord un Ami qui veut me cageoler,
Et dans ce temps guerrier, & fecond en Achilles
Croit que l'on fait les vers, comme l'on prend les villess
Mais moi dont le genie eft mort en ce moment,
Je ne fçai que répondre à ce vain compliment,.
Et juftement confus de mon peu d'abondance,.
Je me fais un chagrin du bonheur de la France.
Qu'heureux eft le Mortel, qui du monde ignoré,
Vit content de foi-mefme en un coin retiré !
Que l'amour de ce rien qu'on nomme renommée,
N'a jamais enyvré d'une vaine fumée,

Qui de fa liberté forme tout fon plaifir,
Et ne rend qu'à lui feul conte de fon loifir!
Il n'a point à fouffrir d'affronts ni d'injustices,
Et du peuple inconftant il brave les caprices. -
Mais nous autres faifeurs de livres & d'écrits,
Sur les bords du Permeffe -aux-loüanges nouris,
Nous ne fçaurions brifer nos fers, & nos entraves; :
Du lecteur dédaigneux honorables efclaves.
Du rang où noftre efprit une fois s'eft fait voir,
Sans un fâcheux éclat, nous ne fçaurions déchoir.
Le public enrichi du tribut de nos veilles

Croit qu'on doit ajoûter merveilles fur merveilles.
Au comble parvenus il veut que nous croiffions:
Il veut en vieilliffant que nous rajeuniffions.
Cependant tout décroift, & moi-mefme à qui l'âge.
D'aucune ride encor n'a flétri le vifage,

Déja moins plein de feu, pour animer ma voix,
J'ai besoin du filence & de l'ombre des bois.
Ma Mufe qui fe plaift dans leurs routes perduës,
Ne fçauroit plus marcher fur le pavé des rues..
Ce n'eft que dans ces bois propres à m'exciter,
Qu'Apollon-quelquefois daigne encor m'écouter.
Ne demande donc plus, par quelle humeur fauvage,
Tout l'Eté loin de toi demeurant au village
J'y paffe obftinément les ardeurs du Lion,
Et montre pour Paris fi peu de passion.

C'eft à toi, Lamoignon, que le rang, la naiffance,.
Lemerite éclatant, & la haute éloquence
Appellent dans Paris aux fublimes emplois,
Qu'il-fied bien d'y veiller pour le maintien des lois
Tu dois là tous tes foins au bien de ta patrie.
Tu ne t'en peux bannir que l'orphelin ne crie ;
Que l'oppreffeur ne montre un front audacieux,,
Er Thémis pour voir clair a befoin de tes yeux.
Mais pour moi de Paris citoyen inhabile,
Qui ne lui puis fournir qu'un rêveur inutile,.
Il me faut du repos, des prez & des forests.
Laiffe-moi donc ici, fous leurs ombrages frais,

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Atten

Attendre que Septembre ayt ramené l'Automne,
Et que Cerés contente ayt fait place à Pomone.
Quand Bacchus comblera de fes nouveaux bienfaits
Le Vendangeur ravi de ployer fous le faix,
Auffi-toft ton Ami redoutant moins la ville
T'ira joindre à Paris, pour s'enfuir à Baville.
Là, dans le feul loifir que Thémis t'a laiffé,
Tu me verras fouvent à te fuivre empreffé,
Pour monter à cheval rappelant mon audace,
Apprenti Cavalier galoper fur ta trace.
Tantoft fur l'herbe affis au pié de ces côteaux,
Où Polycrene* épand fes liberales eaux,
Lamoignon, nous irons libres d'inquietude
Difcourir des vertus dont tu fais ton étude :
Chercher quels font les biens veritables & faux:
Si l'honnefte homme en foi doit fouffrir des defaux:
Quel chemin le plus droit à la gloire nous guide,
Ou la vafte fcience, ou la vertu folide.

C'eft ainfi que chés toi tu fçauras m'attacher.
Heureux! files Fâcheux promts à nous y chercher
N'y viennent point femer l'ennuieufe trifteffe.
Car dans ce grand concours d'hommes de toute efpece,
Que fans ceffe à Baville attire le devoir;

Au lieu de quatre Amis qu'on attendoit le foir,
Quelquefois de Fâcheux arrivent trois volées,
Qui du parc à l'inftant affiegent les allées.
Alors fauve qui peut, & quatre fois heureux !
Qui fçait pour s'échapper quelque antre ignoré d'eux.

Fontaine à une demi-lieuë de Baville, ainfi nommée par few Mr: lə premier Prefident de Lamoignon.

EPISTRE VII.

A MONSIEUR RACINE.

Uetu fçais bien, Racine, à l'aide d'un Acteur

QEmouvoir, étonner, ravir un Spectateur!

Jamais Iphigenie en Aulide immolée

N'a coufté tant de pleurs à la Grece assemblée,
Que dans l'heureux fpectacle à nos yeux étalé
En a fait fous fon nom verfer la Chanmeflé.
Ne croy pas toutefois, par tes fçavans ouvrages,
Entraînant tous les cœurs gagner tous les fuffrages,
Si toft que d'Apollon un genie infpiré

Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré,
En cent lieux contre lui les cabales s'amaffent,
Ses Rivaux obfcurcis autour de lui croaffent,
Et fon trop de lumiere importunant les yeux
De fes propres amis lui fait des envieux.
La mort feule ici bas, en terminant fa vie,
Peut calmer fur fon nom l'injuftice & l'envie,
Faire au poids du droit fens pezer tous les écrits,
Et donner à fes vers leur legitime prix.
Avant qu'un peu de terre obtenu par priere
Pour jamais fous la tombe euft enfermé Moliere,
Mille de ces beaux traits aujourd'hui fi vantés,
Furent des fots Efprits à nos yeux rebutés,
L'ignorance & l'erreur à fes naissantes pieces
En habits de Marquis, en robes de Comteffes>>
Venoient pour diffamer fonchef-d'œuvre nouveau,
Et fecoüoient la teste à l'endroit le plus beau.
Le Commandeur vouloit lá fcene plus exacte.
Le Vicomte indigné fortoit au fecond acte.
L'un defenfeur zelé des Bigots mis en jeu
Pour prix de fes bons mots, le condamnoit au feu.
L'autre, fougueux Marquis lui declarant la guerre
Vouloit vanger la Cour immolée au Parterre.
E6

Mais

Mais fi-toft, que d'un trait de fes fatales mains
La Parque l'euft rayé du nombre des humains;
On reconnut le prix de fa Mufe écliplée.
L'aimable Comedie avec lui terraffée.
En vain d'un coup fi rude efpera revenir,
Et fur fes brodequins ne put plus fe tenir.
Tel fut chez nous le fort du Theatre Comique.
Toy donc, qui t'élevant fur la Scene Tragique
Suis les pas de Sophocle, & feul de tant d'Elprits.
De Corneille vieilli fçais confoler Paris,
Ceffe de t'étonner, fi l'Envie animée,
Attachant à ton nom sa roüille envenimée,
La calomnie en main, quelquefois te poursuit.
En cela, comme en tout, le Ciel qui nous conduit,',
Racine, fait briller fa profonde fageffe.

Le merite en repos s'endort dans la pareffe:
Mais par les Envieux un genie excité

Au comble de fon art eft mille fois monté.
Plus on veut l'affoiblir, plus il croift & s'élance..
Au Cid perfecuté Cinna doit sa naiffance,
Et peut-eftreta plume aux Cenfeurs de Pyrrhus.
Doit les plus nobles-traits dont tu peignis Burrhus..
Moy-mefme, dont la gloire ici moins répanduë
Des pafles Envieux ne bleffe point la vue,

Mais qu'une humeur trop libre, un efprit peu foûmis
De bonne heure a pourvû d'utiles Ennemis :
Je dois plus à leur haine, il faut que je l'avouë,
Qu'au foible & vain talent dont la France me louë.
Leur venin qui fur moy brûle de s'épancher,
Tous les jours en marchant m'empesche de broncher.
Je Conge à chaque trait que ma plume hazarde,
Que d'un ceil dangereux leur troupe me regarde.
Je fçais fur leurs avis corriger mes erreurs,
Et je mets à profit leurs malignes fureurs.
Si-toft que fur un vice ils penfent me confondre,
C'eften m'en gueriffant que je fçais leur répondre:
Et plus en criminel ils penfent m'ériger,
Plus croiffant en vertu je fonge à me vanger.

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