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Difoit, le mois paffé, doux, honnefte & foumis,
L'heritier affamé de ce riche Commis,
Qui, pour lui preparer cette douce journée,
Tourmenta quarante ans fa vie infortunée.
La mort vient de faifir le vieillard catherreux.
Voilà fon Gendre riche. En eft-il plus heureux?
Tout fier du faux éclat de fa vaine richesse,
Déja nouveau Seigneur il vante fa nobleffe.
Quoi-que fils de Meufnier encor blanc du moulin,
Il eft preft à fournir fes titres en vélin.

En mille vains projets à toute heure il s'égare,
Le voila fou, fuperbe, impertinent, bizarre,
Réveur, fombre, inquiet, à foy-mefme ennuieux.
Il vivroit plus content, fi comme fes Ayeux,
Dans un habit conforme à fa vraye origine,
Sur le mulet encor il chargeoit la farine.

Mais ce difcours n'eft pas pour le peuple ignorant, Que le fafte éblouït d'un bonheur apparent. L'argent, l'argent, dit-on; Sans lui tout eft fterile. La vertu fans l'argent n'eft qu'un meuble inutile. L'argent en honnefte homme érige un fcelerat. L'argent feul au Palais peut faire un Magiftrat. Qu'importe, qu'en tous lieux on me traite d'infame. Dit ce Fourbe fans foi, fans honneur, & fans ame, Dans mon coffre tout plein de rares qualités, J'ai cent mille vertus en louis bien contés. Eft-il quelque talent que l'argent ne me donne? C'eft ainfi qu'en fon cœur ce Financier raisonne. Mais pour moi, que l'éclat ne fçauroit decevoir, Qui mets au rang des biens, l'efprit & le fçavoir, J'eftime autant Patru, mefmes dans l'indigence, Qu'un Commis engraiffé des malheurs de la France. Non que je fois du gouft de ce Sage * infenfé, Qui d'un argent commode efclave embarrasfé, Jetta tout dans la mer, pour crier, Jefuis libre. De la droite raifon, je fens mieux l'equilibre: E 2

Crates Philofophe Cynique,

Mais

L

Mais je tiens qu'ici-bas fans faire tant d'apprefts,
La vertu fe contente, & vit à peu de frais.
Pourquoi donc s'égarer en des projets fi vagues?
Ce que j'avance ici, croi-moi, cher Guilleragues.,
Ton Ami dés l'enfance ainfi l'a pratiqué.
Mon Pere foixante ans au travail appliqué
En mourant me laiffa pour rouler & pour vivre,
Un revenu leger, & fon exemple à suivre.
Mais bien-toft amoureux d'un plus noble métier,
Fils, frere, oncle, coufin, beau-frere de Greffier,
Pouvant charger mon bras d'une utile liaffe,
J'allay loin du Palais errer fur le Parnaffe.
La Famille en pâlit, & vit en fremiffant
Dans la poudre du Greffe un Poëte naiffant.
On vid avec horreur une Mufe effrenée
Dormir chez un Greffier la graffe matinée.
Deflors à la richeffe il falut renoncer.
Ne pouvant l'acquerir, j'appris à m'en paffer:
Et fur tout redoutant la baffe fervitude,
La libre verité fut mon unique étude.

Dans ce métier funefte à qui veut s'enrichir,
Qui l'euft creu? que pour moy le fort duft fe fléchir.
Mais du plus grand des Rois la bonté fans limite,
Toûjours prefte à courir au devant du merite,
Creut voir dans ma franchise un merite inconnu,
Et d'abord de fes dons enfla mon revenu.
La brigue ni l'envie à mon bonheur contraires,
Ni les cris douloureux de mes vains Adverfaires,
Ne pûrent, dans leur course arrefter fes bienfaits.
C'en eft trop: mon bonheur a paffé mes fouhaits.
Qu'à fon gré deformais la Fortune me jouë,
On me verra dormir au branle de fa rouë.
Si quelque foin encore agite mon repos,
C'eft l'ardeur de loüer un fi fameux Heros.

Ce foin ambitieux me tirant par l'oreille,

La nuit, lors que je dors, en furfaut me réveille;
Me dit: que ces bienfaits, dont j'ofe me vanter,
Par des vers immortels ont dû fe meriter.

C'eft

C'eft là le foul chagrin qui trouble encor mon ame.
Mais fi, dans le beau feu du zele qui m'enflame,
Par un ouvrage enfin des Critiques vainqueur,
Je puis, fur ce fujet, fatisfaire mon cœur ;
Guilleragues, plain-toi de mon humeur legere,
Si jamais entraîné d'une ardeur étrangere,
Ou d'un vil intereft reconnoiffant la loi,
Je cherche mon bonheur autre-part que chez moi,

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EPISTRE VI.

DE

A MONSIEUR

LA MOIGNON, AVOCAT GENERA L.

Ui, Lamoignon, je fuis les chagrins de la ville, Et contre eux la campagne eft mon unique azile. Du lieu qui m'y retient veux-tu voir le tableau ? C'est un petit Village, ou plûtoft un Hameau Bafti fur le penchant d'un long rang de collines, D'où l'oeil s'égare au loin dans les plaines voisines. La Seine au pié des monts que fon flot vient laver Void du fein de fes eaux vingt ifles s'élever, Qui partageant fon cours en diverfes manieres, D'une riviere feule, y forment vingt rivieres. Tous fes bords font couverts de faules non plantés,. Et de noyers fouvent du paffant infultés. Le village au deffus forme un amphitheatre. L'habitant ne connoift ni la chaux, ni le plaftre, Et dans le roc qui cede & fe coupe aisément, Chacun fçait de fa main creuzer fon logement.. La maifon du Seigneur feule un peu plus ornée Se prefente au dehors de murs environnée. Le Soleil en naiffant la regarde d'abord: Et le mont la defend des outrages du Nord.

C'est là, cher Lamoignon, que mon efprit tranquille
Met à profit les jours que la Parque me file.
Ici dans un vallon bornant tous mes defirs,
J'achete à peu de frais de folides plaifirs.
Tantoft un livre en main errant dans les préries
J'occupe ma raison d'utiles rêveries.

Tantoft cherchant la fin d'un vers que je conftruy,
Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avoit fuy.

Hautifte proshe la Roche-Guion..

Quel

Quelquefois aux appas d'un hameçon perfide,
J'amorce en badinant le poiffon trop avide;
Ou d'un plomb qui fuit l'œil, & part avec l'éclair
Je vais faire la guerre aux habitans de l'air.
Une table au retour propre & non magnifique
Nous prefente un repas agreable & ruftique.
Là, fans s'affujettir aux dogmes du Brouffain,
Tout ce qu'on boit eft bon, tout ce qu'on mange oft sain.
La maison le fournit, la fermiere l'ordonne,
Et mieux que Bergerat * l'appetit l'affaizonne.
O fortuné fejour! â champs aimés des Cieux !
Que pour jamais foulant vos prés delicieux,
Ne puis-je ici fixer ma courfe vagabonde,
Et connu de vous feuls, oublier tout le monde !
Mais à peine du fein de vos vallons cheris,
Arraché malgré moi, je rentre dans Paris,
Qu'en tous lieux les chagrins m'attendent au paffage.
Un Coufin abufant d'un fâcheux parentage,
Veut qu'encor tout poudreux, & fans me débotter,
Chez vingt Juges pour lui j'aille folliciter.

Il faut voir de ce pas les plus confiderables.
L'un demeure au Marais, & l'autre aux Incurables.
Je reçois vingt avis qui me glacent d'effroy.
Hier, dit-on, de vous on parla chés le Roy,.
Et d'attentat horrible on traita la Satire.
Et le Roy, que dit-il? Le Roy fe prit à rire.
Contre vos derniers vers on eft fort en couroux:
Pradon a mis au jour un livre contre vous,
Et chés le chapelier du coin de noftre place
A l'entour d'un caftor j'en ay leu la préface.
L'autre jour fur un mot la Cour vous condamna.
Le bruit court qu'avant-hier on vous affaffina.
Un écrit fcandaleux fous voftre nom fe donne.
D'un Pasquin qu'on a fait, au Louvre on vous foupçon-

ne.

Moi? Vous. On nous l'a dit dans le Palais Royal.
Douze ans font écoulez, depuis le jour fatal,

E-4

Qu'un

Fameux Traiteur.

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