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AVANT-PROPOS

Les progrès de l'esprit humain sont dus à la forte impulsion de quelques génies heureux qui ont su penser.

De ce nombre est Descartes.

La révolution qu'il a faite dans les sciences mathématiques a ouvert les voies à Newton.

Sa méthode nous a affranchis du joug de la scolastique.

Il a ramené la philosophie à sa source, la pensée; il l'a replacée sur sa véritable base, l'évidence.

Sous ce rapport, le suffrage des maîtres les plus autorisés a consacré sa gloire.

Il a été proclamé, malgré quelques contradicteurs, le père de la philosophie moderne, et la postérité, nous n'en doutons pas, confimera ce titre.

Nous voudrions montrer aujourd'hui, autant que nos forces nous le permettent, la part qui lui revient dans les progrès de la physiologie et de la médecine.

Il y a apporté peu de vérités nouvelles; à ces vérités, il a mêlé beaucoup d'erreurs ; et néanmoins, nous persistons à croire que les physiologistes modernes lui sont, en grande partie, redevablės des résultats positifs qu'ils ont obtenus.

Cela paraît contradictoire, et pourtant rien n'est plus simple.

C'est que ces résultats ne sont pas dus aux notions qu'il nous a fournies, aux découvertes qu'il a faites, mais bien à la direction qu'il a imprimée à nos recherches, à l'ordre d'idées et de vues dans lequel il a retenu les esprits par ses hypothèses mêmes.

Les erreurs de Descartes en physiologie viennent de ce qu'il n'a pas été fidèle à sa méthode.

Au lieu de remonter patiemment de l'effet à la cause, et d'attendre, avant de se prononcer, que la vérité lui fût démontrée par l'observation et par l'expérience, il a expliqué les effets par les causes qu'il

croyait probables et qu'il donnait comme certaines : c'est là son tort.

Mais, dans ces explications hypothétiques, il a du moins le très-grand mérite d'écarter toujours les causes occultes et de rattacher les phénomènes aux causes qui lui paraissent les plus prochaines.

Il explique la nature sans sortir de la nature.

Assurément, il reconnaît, il proclame l'existence dans l'univers d'une souveraine Intelligence d'où procèdent les lois qui lui apparaissent, de même qu'il reconnaît et qu'il proclame l'existence dans l'homme d'un élément supérieur qui, avec le concours du cerveau, donne naissance à la pensée et à la volonté ; mais s'agit-il de se rendre compte du système du monde ou des fonctions de la vie, il ne voit plus que les propriétés de la matière et les lois du mouvement.

Personne, avant lui, n'a autant insisté sur les rapports du physique et du moral; et l'on peut dire sans exagération, le Traité des Passions à la main, qu'il a créé cette branche de la science médicale.

A une époque où Harvey ne rencontrait guère que

des contradicteurs, il s'est fait parmi nous le défenseur de sa doctrine. En propageant la découverte de la circulation du sang, qui changeait toute la physiologie, il a évidemment contribué à ses futurs progrès.

Néanmoins, nous ne pourrions avoir une idée exacte de ce que nous lui devons sans reporter nos regards un peu en arrière, aussi avons-nous cru devoir faire précéder l'examen de ses doctrines d'un exposé historique et critique de l'état des sciences médicales au seizième siècle; et, afin de nous rapprocher le plus possible de la vérité, nous sommes remontés aux sources, nous avons scrupuleusement consulté les ouvrages originaux des hommes considérables dont nous avions à faire connaître les tra

vaux.

Pour Descartes, nos recherches ont été plus minutieuses encore.

Sur chaque question, nous invoquons les écrits qu'il a publiés de son vivant, sa correspondance particulière, ses œuvres posthumes; nous contrô– lons ses opinions les unes par les autres; et, le plus souvent, nous le laissons parler lui-même.

Si, après avoir montré tout ce qu'il y a d'ingénieux dans ses hypothèses, et la conformité de ses vues et de ses tendances avec celles de notre grande école physiologique, nous disposons les médecins contemporains à méditer les écrits du philosophe, nous croirons avoir bien rempli notre tâche, et nous nous trouverons largement récompensé de nos efforts.

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