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Le paysan pour qui je vous prie est ici en réputation de n'être nullement querelleur et de n'avoir jamais fait de déplaisir à personne avant ce malheur. Tout ce qu'on peut dire le plus à son désavantage, est que sa mère était mariée avec celui qui est mort; mais si on ajoute qu'elle en était aussi fort outrageusement battue, et l'avait été pendant plusieurs années qu'elle avait tenu ménage avec lui, jusqu'à ce qu'enfin elle s'en était séparée, et ainsi ne le considérait plus comme son mari, mais comme son persécuteur et son ennemi, lequel même, pour se venger de cette séparation, la menaçait d'ôter la vie à quelqu'un de ses enfants (l'un desquels est celui-ci), on trouvera que cela même sert beaucoup à l'excuser. Et comme vous savez que j'ai coutume de philosopher sur tout ce qui se présente, je vous dirai que j'ai voulu rechercher la cause qui a pu porter ce pauvre homme à faire une action de laquelle son humeur paraissait être fort éloignée, et j'ai su qu'au temps que ce malheur lui est arrivé il avait une extrême affliction, à cause de la maladie d'un sien enfant dont il attendait la mort à chaque moment, et que, pendant qu'il était auprès de lui, on le vint appeler pour secourir son beau-frère qui était attaqué par leur commun ennemi. Ce qui fait que je ne trouve nullement étrange de ce qu'il ne fut pas maître de soi-même en telle rencontre car, lorsqu'on a quelque grande

affliction, et qu'on est mis au désespoir par la tristesse, il est certain qu'on se laisse bien plus emporter à la colère, s'il en survient alors quelque sujet, qu'on ne ferait en un autre temps. Et ce sont ordinairement les meilleurs hommes qui, voyant d'un côté la mort d'un fils, et de l'autre le péril d'un frère, en sont le plus violemment émus. C'est pourquoi les fautes ainsi commises, sans aucune malice préméditée, sont, ce me semble, les plus excusables; aussi lui fut-il pardonné par tous les principaux parents du mort, au jour même où ils étaient assemblés pour le mettre en terre. Et de plus les juges d'ici l'ont absous, mais par une faveur trop précipitée, laquelle ayant obligé le fiscal à se porter appelant de leur sentence, il n'ose pas se présenter derechef devant la justice, laquelle doit suivre la rigueur des lois, sans avoir égard aux personnes, mais il supplie que l'innocence de sa vie passée lui puisse faire obtenir grâce de Son Altesse.

« Je sais bien qu'il est très-utile de laisser quelquefois faire des exemples pour donner de la crainte aux méchants; mais il me semble que le sujet qui se présente n'y est pas propre : car, outre que, le criminel élant absent, tout ce qu'on lui peut faire n'est que de l'empêcher de revenir dans le pays, et ainsi punir sa femme et ses enfants plus que lui, j'apprends qu'il y a quantité d'autres paysans en ces provinces

qui ont commis des meurtres moins excusables et dont la vie est moins innocente, qui ne laissent pas d'y demeurer, sans avoir aucun pardon de son Altesse (et le mort était de ce nombre), ce qui me fait croire que, si on commençait par mon voisin à faire un exemple, ceux qui sont plus accoutumés que lui à tirer le couteau diraient qu'il n'y a que les innocents et les idiots qui tombent entre les mains de la justice, et seraient confirmés par là en leur licence. Enfin, si vous contribuez en quelque chose à faire que ce pauvre homme puisse revenir auprès de ses enfants, je puis dire que vous ferez une bonne action, et que ce sera une nouvelle obligation que vous aura,etc... (1).»

Cette curieuse lettre, tout en conservant le mérite de la brièveté, est un plaidoyer complet, des plus solides et des plus concluants. Nous y trouvons rassemblées toutes les raisons qu'une connaissance approfondie de la nature humaine, jointe au sentiment de la justice et à celui des exigences de l'ordre social, peut inspirer pour la défense d'un malheureux qu'une indignation légitime pousse à un excès regrettable.

On ne s'était point encore avisé de chercher ce que nous appelons aujourd'hui les circonstances atténuantes dans de pareilles dispositions morales. Il appartenait à la philosophie, éclairée par la science, (1) OEuvres compl., Corresp., t. VIII, p. 59.

d'établir nettement que l'exaltation involontaire des passions, en entraînant la volonté, sans laisser place à la réflexion, crée pour celui qui est dans cet état une sorte d'irresponsabilité. Dès ce moment, un esprit nouveau va redresser et adoucir la jurisprudence, et c'est Descartes qui en est le premier organe, pour l'honneur de la France et de la philosophie, et aussi pour l'honneur des sciences médicales où Descartes a puisé ses inspirations.

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CHAPITRE XXVI

RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.

Nous voici arrivés au terme de notre examen. 11 nous suffira maintenant de rappeler les principaux dogmes de la physiologie de Descartes, pour nous faire une idée exacte de l'influence que ce grand esprit a exercée sur la marche des sciences médicales, et de la part qui lui revient dans les progrès accomplis.

I

Il envisage, comme point de départ de toute organisation, certaines particules de matière arrondies par la force de la chaleur in eo convenit formatio plantarum et animalium quod fiant à partibus materiæ vi caloris in orbem convolute (1). C'est bien là évidemment une première idée de la cellule élémentaire.

II

Aux yeux de Descartes, lu chaleur est la cause immédiate des phénomènes vitaux, le principe de toutes les fonctions du corps.

(1) Manuscrit inédit publié par M. Foucher de Careil, 1* partic, p. 100.

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