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partisan sans réserve de la saignée, et ennemi à outrance de la chimiatrie; il n'exclut de la pratique ni l'une ni l'autre, mais il recommande d'en user avec circonspection, etnous croyons qu'en ce point les médecins les plus expérimentés de notre temps seront de son avis.

La préférence qu'il donnait à une médication simple, la plus simple possible, se manifeste de nouveau dans une autre lettre qu'il écrit l'année d'après (1647) à la même princesse alors souffrante de l'estomac ; il lui dit : Les remèdes que Votre Altesse a choisis, à savoir la diète et l'exercice, sont à mon avis les meilleurs de tous, après toutefois ceux de l'âme qui a sans doute beaucoup de force sur le corps, ainsi que montrent les grands changements que la colère, la crainte et les autres passions excitent en lui (1). »

III

Il ne voulait pourtant pas que le médecin se privât des ressources que le règne végétal et le règne minéral lui fournissent, car nous voyons, par les manuscrits de la bibliothèque de Hanovre, qu'il avait pris note d'un petit nombre de recettes qui, sans doute, lui avaient été vantées, ou dont il (1) OEuvres compl., Corresp., t. X, p. 57.

avait pu constater par lui-même les effets, telles que celles-ci :

«Le safran est utile aux asthmatiques on le donne à la dose de trois scrupules et demi, avec un demi-grain de musc dans du très-bon vin. »

« Les fèves abstergent; par leur usage, un individu fut purgé et délivré de la toux. »

« La phthisie peut être guérie en faisant prendre à celui qui en est atteint, une heure avant les autres aliments, deux jaunes d'œufs, peu cuits, saupoudrés de soufre, et avec cela une gorgée d'un vin qui n'ait aucune âpreté (1). »

Voilà, je l'avoue, un bagage pharmaceutique qui n'est pas lourd; du moins est-il exempt d'hérésie.

Le safran, associé au musc, sera toujours donné avec avantage dans certains cas de dyspnée, et en général dans toutes les affections spasmodiques et catarrhales il entre, comme on le sait, dans la composition de la thériaque et du laudanum de Sydenham.

Quant aux fèves, il est peut-être un peu ambitieux de dire qu'elles abstergent : les fèves fraîches relâchent quelquefois, et, sous ce rapport, elles peuvent avoir leur utilité.

La dernière recette est plus digne d'attention :

(1) OEuvres inédites de Descartes publiées par M. le comte Foucher de Careil, Ile part., p. 80.

elle mériterait même d'être expérimentée; elle pourrait l'être sans danger et peut-être avec succès, si l'on choisissait un moment opportun, c'est-à-dire, l'absence des phénomènes inflammatoires, et en dosant convenablement le soufre.

Les phthisiques ont besoin d'une alimentation réparatrice et douce, et le jaune d'œuf est tout à fait dans ces conditions; il est éminemment nutritif; deplus, il y a une concomitance presque constante entre la phthisie et les affections herpétiques. La science n'a pas encore rendu compte de cette concomitance, de cette liaison mystérieuse, mais elle existe; c'est un fait qui n'a échappé à aucun praticien attentif, et l'on sait de quelle utilité est le soufre dans la plupart des affections herpétiques : c'est peut-être à cela que l'on doit les heureux résultats que l'on obtient quelquefois de l'administration des eaux sulfureuses dans le traitement de la phthisie, lorsque ces eaux sont données à propos et avec discrétion.

Cette dernière formule conservée par Descartes n'a donc rien de suranné ni de déraisonnable.

Comme notre philosophe n'a réellement pas exercé la médecine, qu'il ne s'en est mêlé que par hasard, et en se tenant au second plan, moins pour diriger un traitement que pour contenir la fougue souvent inintelligente des médecins ses contempo

peu

rains, il n'est pas étonnant qu'il nous ait laissé si de formules pharmaceutiques. Il avait une juste appréhension de tous ces médicaments dans lesquels il entrait des substances dont les propriétés véritables étaient encore inconnues et que l'on administrait d'une manière tout à fait empirique et brutale; il s'en est fort peu occupé; son grand sens le tenait éloigné de cette voie.

En revanche, l'hygiène pour laquelle la raison, l'expérience commune et les règles de la morale sont d'un si puissant secours, lui plaisait particulièrement; il en sentait toute l'importance, et il en exagérait même la portée, comme on va en juger.

IV

« La conservation de la santé, dit-il, a été de tout temps le principal but de mes études, et je ne doute point qu'il n'y ait moyen d'acquérir beaucoup de connaissances touchant la médecine, qui ont été ignorées jusqu'à présent; mais le Traité des animaux que je médite, et que je n'ai encore su achever, n'étant qu'une entrée pour parvenir à ces connaissances, je n'ai garde de me vanter de les avoir; et tout ce que j'en puis dire à présent est que je suis de l'opinion de Tibère, qui voulait que ceux qui ont atteint l'âge de trente ans eussent assez d'expérience

des choses qui leur peuvent nuire ou profiter, pour être eux-mêmes leurs médecins. En effet, il me semble qu'il n'y a personne qui ait un peu d'esprit, qui ne puisse mieux remarquer ce qui est utile à sa santé, pourvu qu'il y veuille un peu prendre garde, que les plus savants docteurs ne lui sauraient enseigner (1). »

Cela n'est pas douteux: les règles générales de l'hygiène qui se rapportent à l'alimentation pour le choix et la mesure que nous y devons observer, à l'exercice régulier de nos facultés physiques et intellectuelles, et au soin que nous devons prendre de nous défendre des intempéries, de l'excès du chaud et du froid et de l'humidité, toutes ces règles varient selon le temps, selon les lieux, selon les personnes. On a dit que l'hygiène pouvait être résumée en deux mots exercice et sobriété ; mais tel genre d'exercice qui répond à mes forces pourra être excessif pour un autre ; ce qui ne s'écarte pas de la sobriété dans tel climat et pour un individu déterminé, sera peutêtre chez moi de l'intempérance. Tout cela est relatif. L'intempérance est ce qui va au delà de notre tempérament; et, au contraire, la tempérance est l'art de rester dans les limites que nous impose ce

(1) OEuvres compl. de Descartes, édit. de V. Cousin, t. IX, P. 341.

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