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formation du fœtus. Il explique tout par là, et tout comme s'il le voyait faire.

Cette même chaleur qui, en dilatant la matière, fait que ses particules s'éloignent et se séparent, produit à point nommé un effet tout contraire; elle est cause que quelques autres particules s'assemblent et se pressent, et, en se froissant et se divisant, acquièrent une véritable fluidité et constituent le sang (1). Ne craignez pas que Descartes s'arrête en si beau chemin.

<< Sitôt, dit-il, que le cœur commence à se former, le sang raréfié qui en sort prend son cours en ligne droite vers l'endroit où il est le plus libre d'aller, et c'est l'endroit où se forme après le cerveau (2). »

Le fluide nourricier, rencontrant de la résistance, redescend, et forme l'épine du dos, puis les organes de la génération, et le chemin qu'il tient en descendant est la partie inférieure de la grande artère; puis, refoulé par de nouveaux obstacles, il remonte et donne naissance au foie et aux poumons, et le chemin que prend ainsi le sang en retournant de part et d'autre vers le cœur, est ce qu'on nomme par après la veine cave (3).

Tout est de cette force, de plus amples citations

(1) OEuvres compl., t. IV, De la formation du fœtus,p. 467. (2) Ibid., p. 470.

(3) OEuvres compl. de Descartes, t. IV, De la formation du fœtus, IVe partie, p. 471.

fatigueraient le lecteur et ne tourneraient point à l'honneur de Descartes. Il s'agit toujours pour lui de particules de matière qui, étant mises en mouvement par la chaleur, montent ou descendent, vont à droite ou à gauche selon les obstacles qu'elles rencontrent, se plient et s'entrelacent en diverses façons pour former soit le cœur, soit le foie, soit le cerveau, ou bien le tube digestif, le sang, les veines, les artères, les os, les muscles et la peau. En sorte que « si on connoissoit bien (ce sont les propres expressions de notre philosophe) quelles sont toutes les parties dela semence de quelque espèce d'animal en particulier, par exemple de l'homme, on pourroit déduire de cela seul, par des raisons entièrement mathématiques et certaines, toute la figure et conformation de chacun de ses membres, comme aussi, réciproquement, en connoissant plusieurs particularités de cette conformation, on en peut déduire quelle est la semence (1).»

Plus d'un physiologiste contemporain souscrirait sans peine à ces dernières propositions, tout en blâmant Descartes d'avoir prétendu dire comment cela se fait sans avoir pu l'observer de ses yeux. Ce n'est pas l'hypothèse en général qu'ils repousseraient, mais l'application particulière de cette hypothèse.

Nous ne nous engagerons pas dans cette question

(1) OEuvres compl. de Descartes t. IV, De la formation du fœtus Ve partie, p. 491.

d'origine à peu près inaccessible à nos investigations. En physiologie, il ne faut raisonner que sur des faits connus. Nous tenons seulement à constater que par ses théories, soit sur la formation du fœtus, soit sur la formation du monde, entre lesquelles Descartes croyait voir une sorte d'analogie, il n'avait nullement la pensée d'exclure de l'univers une cause souverainement intelligente; nul plus que lui n'était convaincu de son existence, ainsi que le prouvent ses Méditations; seulement, il fait remonter son action à l'origine des choses; et pour lui, tout s'accomplit dans l'ordre physique en vertu des dispositions primitivement imprimées à la matière. Quant à la question de la génération, Descartes ne lui a pas fait faire un pas: aux faits observés par Aristote, et plus récemment par Fabrice d'Aquapendente, il a substitué des hypothèses. En voulant tout décrire et tout expliquer, il a tout obscurci. Que son exemple du moins nous serve de leçon !

CHAPITRE XXIII

L'AME PENSANTE PEUT-ELLE ÊTRE CONSIDÉRÉE COMME LE PRINCIPE DE LA VIE?

Cette question, longtemps débattue, hardiment tranchée par Descartes dans le sens de la négative, a été reprise depuis, et tout récemment encore avec un grand talent d'argumentation pour et contre (1), sans qu'aucune des solutions proposées ait pris rang dans la science comme une vérité acquise.

D'où cela vient-il ? Nullement de l'insuffisance personnelle de ceux qui s'en sont occupés, mais bien de la nature de la question qui échappe à toute investigation positive.

L'antiquité n'a pas reculé devant cette insurmontable difficulté. A défaut de preuves directes, elle a dogmatisé en cherchant à justifier ses dogmes par le raisonnement.

Il faut pourtant en excepter Hippocrate qui s'est (1) Par le R. P. Ventura contre l'École de Montpellier; par M. Lordat, le plus illustre représentant de cette école; par M. Jourdain, au sujet de la philosophie de saint Thomas d'Aquin; et par MM. Albert Lemoine, F. Bouiller, et le docteur Bouchut, qui ont porté le débat devant l'Académie des sciences morales et politiques.

toujours montré très-réservé à cet égard. Ce grand et sage observateur parle souvent de la nature, de sa puissance et de ses vertus médicatrices; nulle part, du moins dans ceux de ses écrits qui sont regardés comme authentiques, il ne rapporte à l'âme raisonnable les fonctions de la vie.

Platon et Aristote ne gardent pas la même réserve. La vie, selon Platon, suppose toujours un principe animateur, une âme (1). La matière, dit-il, est indifférente au mouvement ou au repos; les mouvements qu'elle exécute sont des mouvements communiqués, par conséquent, elle n'est point la cause des changements qui s'opèrent en elle: or, les corps vivants ont des mouvements qui leur sont propres, des mouvements d'accroissement et de déplacement; les végétaux croissent; les animaux croissent et se meuvent; donc il y a en eux un principe supérieur à la matière brute qui tient de lui-même le mouvement et qui peut le communiquer. Ce principe des évolutions régulières et des mouvements spontanés des corps vivants est ce qu'il appelle âme (2).

« L'âme, dit-il, est le principe de la génération de toutes choses (3). »

Mais il y a plusieurs sortes d'âmes. Il y a des

(1) Voir le Phédon, OEuvres compl., trad. de V. Cousin. (2) Voir les Lois, livre X.

(3) Ibid.

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