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DESCARTES

CONSIDÉRÉ

COMME PHYSIOLOGISTE ET COMME MÉDECIN

PROLEGOMÈNES

RÉNOVATION DES SCIENCES MÉDICALES AU XVI SIÈCLE JUSQU'A LA DÉCOUVERTE

DE LA CIRCULATION DU SANG INCLUSIVEMENT.

Le seizième siècle, à quelque point de vue qu'on l'envisage, est assurément une des phases mémorables de la vie de l'humanité, moins peut-être par ce qu'il a produit hors du domaine des arts, que par ce qu'il a préparé : c'est une éclosion, un réveil. La terre alors semble tressaillir sous l'effort de l'homme. Tout s'émeut et fermente; tout est remis en question, débattu, contesté, repris ou commencé.

Devenu maître du monde par la découverte de l'Amérique et des Indes orientales; ayant en sa puissance deux nouveaux moyens d'action, la boussole qui lui ouvre les mers, et l'imprimerie qui multiplie et perpétue l'expression de sa pensée, l'homme

regarde autour de lui et en lui; il veut connaître sa demeure et se connaître lui-même. En contemplant la nature, il s'éprend d'amour pour elle et pénètre ses secrets; par le retour qu'il fait sur lui-même, il acquiert la conscience de ses forces et devient jaloux de son indépendance. Cette prise de possession de la nature et de lui-même par l'homme est le trait caractéristique du seizième siècle.

Sauf de rares exceptions, l'histoire naturelle, durant le moyen âge, tient peu de place dans les études des savants. Les subtilités de la scolastique en font presque tous les frais. La nature, considérée alors comme une séduction, était en discrédit; la science des corps était suspecte. On se contentait à cet égard des notions fournies par les écrits très-altérés d'Aristote et de Théophraste, d'Hippocrate et de Galien: on n'allait pas au delà (1). Pour rencontrer chez les nations chrétiennes quelque tentative d'expérimentation, pour voir une pièce anatomique, un squelette, il fallait descendre dans l'antre des sorciers. Mais au grand jour, à la face du soleil, point de laboratoire,

(1) Il ne s'agit ici que de l'absence des œuvres originales et des études expérimentales, car M. le docteur Daremberg, qui a fait des recherches vraiment immenses sur l'état des sciences médicales au moyen âge, a bien prouvé, dans l'excellent cours qu'il fait au Collége de France, que la tradition médicale avait été maintenue sans interruption jusqu'à la Renaissance par les copistes des ordres religieux, par l'école de Salerne, par les Arabes, et par les clercs de tous les pays latins.

point de jardin botanique, point de cabinet de zoologie, point d'amphithéâtre d'anatomie. On ne vit paraître tout cela qu'au seizième siècle à la suite des lettres et des arts qui agrandirent notre horizon plus que n'avait fait la découverte du nouveau monde.

Comment, en effet, ne pas chercher à connaître, non-seulement dans ses formes extérieures, mais aussi dans sa structure intime, ce que l'on admire, ce que l'on aime, ce dont on veut perpétuer l'image par la sculpture et la peinture? Les arts du dessin conduisent inévitablement à l'étude de l'anatomie. Les plus grands artistes de ce temps: Léonard de Vinci, Albert Durer, Michel-Ange, Titien et Raphaël, préparent les voies où s'engagent les Bérengerde Carpi, les Sylvius, les Vésale, les Fallope.

Parmi les dépouilles de la Grèce dont Constantinople avait été le dernier boulevard, on retrouve les écrits d'Hippocrate, ceux de Platon et d'Aristote. Ils sont reproduits dans leur intégrité première par les presses célèbres de Venise, de Padoue et de Rome, et de là ils se répandent dans toute l'Europe. Cette résurrection de l'antiquité savante agit en sens divers sur les esprits aux uns elle inspire une admiration sans réserve pour des auteurs qui semblent avoir atteint les dernières limites du vrai et du beau, et elle réduit les efforts de leurs trop complaisants ad

mirateurs à d'infructueuses compilations; mais au plus grand nombre heureusement elle communique une noble émulation, et la science des anciens sert de point de départ et de stimulant à de nouveaux progrès. Après avoir interprété et commenté leurs écrits, on s'avise de les contrôler par l'examen direct des faits. La constitution de la terre, la structure des plantes et celle des animaux deviennent l'objet des plus ardentes investigations. Le naturalisme triomphe de l'érudition. Les destinées de la science sont assurées.

SI

Deux hommes extraordinaires, bizarres si l'on veut, qui se présentent à nous dès le début du seizième siècle, tous deux médecins, tous deux frondeurs des idées régnantes, et doués l'un et l'autre d'une puissante imagination, Paracelse et Rabelais, caractérisent assez bien, non pas le mouvement scientifique proprement dit, mais la tendance de cette époque féconde à exalter, à diviniser, en quelque sorte, les forces de la nature.

Né à Chinon en 1483, François Rabelais, après avoir traversé dans sa jeunesse les ombres du cloître, quitta la théologie pour la médecine et obtint à Montpellier le grade de docteur. La partie spéculative de la médecine l'avait séduit; les difficultés de

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