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1791, M. Quatremère s'y montra un des plus courageux partisans de la royauté constitutionnelle, ne craignant pas d'affronter, pour la défense de ses principes, les cris et les sifflets des tribunes; prenant en main les causes les plus impopulaires, quand il les croyait justes, celles, par exemple, des ministres Bertrand de Molleville, Terrier de Monciel et Duport Dutertre; faisant décréter une fête publique en l'honneur du maire de la ville d'Étampes, assassiné dans une émeute; se prononçant, dans la séance du 8 août 1792, pour le général Lafayette, qu'on voulait décréter d'accusation, et insulté par des furieux à la sortie et sur les marches de l'Assemblee.

Cette franche et libre manifestation de ses pensées lui valut, en 1793, un emprisonnement de 13 mois; en 1795, une condamnation à mort par contumace; en 1797, un arrêt de déportation, auquel il eut le bonheur d'échapper.

Au milieu de ces agitations et de ces périls, était-il permis de croire que M. Quatremère conservât assez de liberté d'esprit pour continuer et étendre ses études d'archéologie et d'esthétique? C'est ce qu'il ne cessa pas de faire, cependant. En 1790, il publia d'ingénieuses observations sur l'état où se trouvaient en France les arts du dessin, suivies d'un projet d'école publique et d'un système d'encouragement. En 1796, entre deux proscriptions, il publia une lettre pleine de justesse sur le préjudice qu'occasionnerait aux arts et à la science le déplacement des chefsd'œuvre de l'Italie. Cet opuscule reposait sur une idée vraie, à laquelle il donna de nouveaux développements, en 1815, dans ses Considérations morales sur la destination des ouvrages de l'art, et qu'il a reprise encore avec plus de bonheur et d'à-propos, en 1818, dans sa Lettre à Canova, à l'occasion de l'enlèvement des marbres du Parthenon par lord Elgiu.

Ce n'est pas ici, a ajouté M. Magnin, le lieu d'énumérer, même sommairement, tous les écrits ingénieux et solides que, pendant les époques les plus favorables de l'Empire et de la Restauration, M. Quatremère a composés sur l'histoire des arts dans l'antiquité, ou sur la vie et les œuvres des grands artistes de la renaissance. Personne de vous, Messieurs, n'a oublié tant de dissertations dont il a enrichi le recueil de vos Mémoires ou le Journal des Savants, ni tant de notices exquises qu'il lisait annuellement, comme organe officiel de l'Académie des beaux-arts; tous livres ou morceaux achevés, qui ont fondé, parmi nous, tout à la fois la science et la langue de la critique, ou ce qu'on a appelé, après lui, la philosophie de l'art. Je prononcerai, cependant, pour le deposer comme une couronne sur cette tombe, le titre du principal et indestructible monument élevé par M. Quatremère de Quincy à l'histoire de la sculpture antique, le Jupiter olympien, le plus bel ouvrage d'archéologie qui ait paru en Europe depuis le commencement du siècle.

Tant et de si beaux titres à l'admiration, une vie politique si vaillante, une vie littéraire si glorieusement remplie, assurent à l'homme illustre que nous regrettons une renommée imperissable, et qui ne peut manquer de s'accroître, comme tout ce qui porte en soi le caractère de la force, de l'originalité et de la grandeur. »

Après le discours de M. Magnin, M. Raoul-Rochette, secrétaire perpétuel de l'Académie des beaux-arts, a exprimé, en peu de mots, les regrets de cette Académie.

ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.

Dans sa seance du 19 janvier, l'Académie des beaux-arts a élu M. Robert-Fleury a la place vacante, dans la section de peinture, par la mort de M. Granet.

LIVRES NOUVEAUX.

FRANCE.

Religions de l'antiquité, considérées principalement dans leurs formes symboliques et mythologiques; ouvrage traduit de l'allemand, du docteur Frédéric Creuzer, refondu en partie, complété et développé par J. D. Guigniaut, membre de l'Institut, professeur à la faculté des lettres de Paris, secrétaire général du conseil de l'Université de France, Paris, imprimerie et librairie de Firmin Didot, 1849, t. II, III partie (ou partie, 2° section); in-8°, de vi-534 pages (de la page 819 à la page 1352)-Ce volume est depuis longtemps promis : il avait été annoncé par l'au teur, en 1841, dans l'avertissement de la partie de son travail qui parut cette année, et par nous-même, en 1842, dans une note consacrée à cette publication. (Voyez le Journal des Savants, cahier de mars 1842, p. 190.) Le nombre et l'importance des questions qui y sont traitées, les recherches, les études dont témoignent tant de dissertations savantes sur des points pour la plupart fort difficiles et fort controversés, expliquent, justifient ce long délai. Il a pour nous cet avantage, que l'ouvrage, dans son lent développement, reproduit non-seulement le monument original de M. Creuzer, mais les changements, les additions, par lesquels il l'a depuis modifié, particulièrement dans sa troisième édition; ajoutons tout le mouvement de la science, sur l'important sujet de la religion des anciens, et à l'étranger et chez nous-mêmes. Rapporteur exact et juge éclairé de toutes les opinions, M. Guigniaut ajoute beaucoup à ce riche répertoire par ses vues personnelles; et c'est un éloge qu'il faut étendre à deux habiles archéologues qu'il s'est récemment donnés pour collaborateurs dans quelques détails d'une œuvre si considérable, MM. A. Maury et E. Vinet. Grâce à leurs efforts réunis, le nouveau volume contient des notes, des éclaircissements historiques, mythologiques, archéologiques, sur ce qui fait le sujet des livres IV, V, VI de l'ouvrage, c'est-à-dire sur les religions de l'Asie occidentale et de l'Asie Mineure, sur les premières époques des religions de la Grèce et de l'Italie, notamment sur la civilisation religieuse des Étrusques et sur les grandes divinités de la Grèce et de Rome. Dans le nombre ne sont point compris Bacchus, Cérès et Proserpine, objet, avec leurs mystères, des livres VII et VIII. Les compléments de ces deux livres et le livre IX, dans lequel doit être résumé l'ouvrage entier, formeront, sous le titre de troisième partie, ou seconde partie, deuxième section, du tome troisième, une dernière livraison, que M. Guigniaut annonce comme prochaine et dont la moitié est déjà imprimée. En même temps paraîtront les deux Discours qui doivent prendre place et en tête du premier tome et au-devant de l'explication des planches, qui compose, avec les planches elles-mêmes, le tome quatrième. Ainsi s'achèvera cette grande entreprise poursuivie, depuis 1825, avec tant de persévérance et de succès, et qui occupera une place importante parmi les meilleurs travaux de la science contemporaine.

ALLEMAGNE.

Keltische studien. Abhandlung über die Wohnsitze der Kelten........ Études celtiques. Dissertation sur le pays habité par les Celtes, sur l'affinité de leur langue avec les

peuples indo-germaniques, et sur l'influence qu'a eue leur mythologie dans la for-
mation des légendes du moyen âge; par Fr. Körner. Halle, 1849, in-4° de 32 pages.
Ansichten über die Keltischen Alterthümer..... Considérations sur les antiquités cel-

tiques, sur les Celtes en général, principalement sur les Celtes dans l'Allemagne et

sur l'origine celtique de la ville de Halle; par Chr. Keferstein. Halle, 1849, 2 vol.

-

De Gallorum oratorio ingenio, rhetoribus et rhetorica Romanorum tempore scholis;

scripsit C. Monnard. Bonnæ, in-8° de 102 pages. — M. Monnard, membre de l'an-
cien gouvernement du canton de Vaud, aujourd'hui professeur à Bonn, cherche à
établir, par cette dissertation, que la supériorité des Français sur tous les autres
peuples modernes dans l'art de la parole, supériorité qu'il regarde comme incon-
testable, est innée dans le sang gaulois, et existait déjà dans l'antiquité.

De continuato Fredegarii scholastici chronico scripsit. Theod. Breysig. Berolini,
sumptibus W. Hertzii, 1849, in-8° de 72 pages. On sait que la continuation de
l'histoire des Francs, de Grégoire de Tours, par Frédégaire, s'arrête à l'an 641
(au xc chapitre de l'ouvrage), et qu'elle a été elle-même continuée par divers
chroniqueurs. Dom Ruinart avait cru pouvoir établir que la suite de l'ouvrage était
de quatre mains distinctes, dont la première aurait composé les chapitres xcr et
suivants, jusqu'à la fin du xcvio; un second chroniqueur aurait écrit les chapitres
XCXVII à CIX, jusqu'aux mots regnum Francorum, vers le milieu, un troisième au-
rait achevé le chapitre cix et écrit les chapitres cx-CXVII; le dernier, les chapitres
CVIII et suivants jusqu'au cxxxvII, qui termine la chronique. M. Breysig croit avoir
trouvé dans l'étude de ce texte la preuve que les divisions adoptées par le savant
bénédictin sont erronées. Il reconnaît aussi quatre continuateurs de Frédégaire,
mais il propose de leur attribuer les parties suivantes de l'ouvrage : Au premier, les
chapitres XCXI à Cix, jusqu'aux mots regnum Francorum; au second, de cix à cx,
jusqu'aux mots sepultusque est Parisius, in basilica S. Dionysii martyris; au troisième,
CXI à CXVII; au quatrième, cxvIII à cxxxvii.

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DES SAVANTS.

FÉVRIER 1850.

UNE ANECDOTE RELATIVE A M. LAPLACE. Lu à l'Académie française, dans sa séance particulière du 5 février 1850, par M. J. B. Biot.

Messieurs,

Quand un homme d'ordre s'apprête à partir pour un grand voyage, il met ses affaires on règle, et prend soin d'acquitter toutes les dettes qu'il peut avoir contractées. Voilà pourquoi je vais vous raconter comment, il y a quelques cinquante ans, un de nos savants les plus illustres accueillit et encouragea un jeune débutant, qui était venu lui montrer ses premiers essais.

Ce jeune débutant, c'était moi, ne vous déplaise. Notez, pour excuser l'épithète, que ceci remonte au mois de brumaire an vir de la République française, 1 édition. Quelques mois plus tard, on me fit l'insigne honneur de me nommer associé de l'Institut national; mais, à cette date, et surtout à l'époque un peu antérieure où mon récit commence, je me trouvais complétement, inconnu. J'étais alors un tout petit professeur de mathématiques, à l'École centrale de Beauvais. Sorti nouvellement de l'École polytechnique, j'avais beaucoup de zèle et peu de science. Dans ce temps-là, on ne demandait guère aux jeunes gens que de l'ardeur. J'étais passionné pour la géométrie et pour beaucoup de choses. La fortune, plutôt que la raison, me préserva de céder à des goûts trop divers. Fixé, dès lors, par les nœuds les plus doux, à l'intérieur de la famille qui m'avait adopté, heureux du présent, comptant sur l'avenir, je ne songeais qu'à suivre, avec délices, les penchants de mon esprit vers toutes sortes d'études scientifiques; et à faire, par plaisir, ce que l'intérêt de ma carrière m'aurait prescrit comme un devoir. J'avais surtout une ambition démesurée de pénétrer dans les hautes

régions des mathématiques, où l'on découvre les lois du ciel. Mais ces grandes théories, encore éparses dans les collections académiques, n'étaient presque abordables que pour le petit nombre d'hommes supérieurs qui avaient concouru à les établir; et s'y lancer sans guide, sur leurs traces, c'était une entreprise où l'on avait toute chance de s'égarer pendant bien du temps avant de les rejoindre. Je savais que M. Laplace travaillait à réunir ce magnifique ensemble de découvertes, dans l'ouvrage qu'il a très-justement appelé : la Mécanique céleste. Le premier volume était sous presse; les autres suivraient, à de bien longs intervalles, au gré de mes désirs. Une démarche, qui pouvait paraître fort risquée, m'ouvrit un accès privilégié dans ce sanctuaire du génie. J'osai écrire directement à l'illustre auteur, pour le prier de permettre que son libraire m'envoyât les feuilles de son livre, à mesure qu'elles s'imprimaient. M. Laplace me répondit, avec autant de cérémonie que si j'eusse été un savant véritable. Toutefois, en fin de compte, il écartait ma demande, ne voulant pas, disait-il, que son ouvrage fùt présenté au public avant d'être terminé, afin qu'on le jugeât d'après son ensemble. Ce déclinatoire poli, était sans doute très-obligeant dans ses formes. Mais, au fond, il accommodait mal mon affaire. Je ne voulus pas l'accepter sans appel. Je récrivis immédiatement à M. Laplace, pour lui représenter qu'il me faisait beaucoup plus d'honneur que je n'en méritais, et que je n'en désirais. Je ne suis pas, lui disais-je, du public qui juge, mais du public qui étudie. J'ajoutais que, voulant suivre et refaire tous les calculs en entier pour mon instruction, je pourrais, s'il se rendait à ma prière, découvrir et signaler les fautes d'impression qui s'y seraient glissées. Ma respectueuse insistance désarma sa réserve. Il m'envoya toutes les feuilles déjà imprimées, en y joignant une lettre charmante, cette fois nullement cérémonieuse, mais remplie des plus vifs et des plus précieux encouragements. Je n'ai pas besoin de dire avec quelle ardeur je dévorai ce trésor. Je pouvais bien m'appliquer la maxime violenti rapiunt illud. Depuis, chaque fois que j'allais à Paris, j'apportais mon travail de révision typographique, et je le présentais personnellement à M. Laplace. Il l'accueillait toujours avec bonté, l'examinait, le discutait; et cela me donnait l'occasion de lui soumettre les difficultés qui arrêtaient trop souvent ma faiblesse. Sa condescendance à les lever était sans bornes. Mais lui-même ne pouvait pas toujours le faire, sans y donner une attention quelquefois assez longue. Cela arrivait d'ordinaire aux endroits, où, pour s'épargner des détails d'exposition trop étendus, il avait employé la formule expéditive: il est aisé de voir. La chose, en effet, avait paru, dans le moment, très-claire à ses yeux.

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