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On dirait, à lire ces récits, que l'ordre religieux et civil était réglé, dans le Iv° siè cle, comme du temps de Louis XIV, que les hommes vivaient de même façon, et qu'un martyr des premiers temps ressemblait à un évêque de cour. Mais, dans la réalité, que de différences séparent ces époques! que de tableaux singuliers el nouveaux naîtraient d'une vue impartiale jetée sur ces temps antiques! j'entends cette impartialité de l'imagination, non moins que du jugement, qui consiste, en cherchant la vérité dans les faits, à ne pas teindre le récit des couleurs d'une autre époque.

Souvent, j'ai passé de longues veilles à feuilleter les recueils de la doctrine et de l'éloquence des premiers siècles chrétiens; il me semblait que je devenais spectateur de la plus grande révolution qui se soit opérée dans le monde. Lecteur profane, je cherchais dans ces bibliothèques théologiques les mœurs et le génie des peuples. La vive imagination des orateurs du christianisme, leurs combats, leur ardeur, faisaient revivre sous mes yeux un monde qui n'est plus, et que leurs paroles expressives et passionnées semblent nous avoir transmis, bien mieux que ne l'a fait l'histoire. Les questions les plus abstraites se personnifiaient par la chaleur de la discussion et la vérité du langage : tout prenait de l'intérêt et de la vie, parce que tout était sincère. De grandes vertus, des convictions ardentes, des caractères fortement originaux animaient ce tableau d'un siècle extraordinaire, tout passionné de métaphy sique et de théologie, et pour qui le merveilleux et l'incompréhensible étaient devenus l'ordre naturel et la réalité.

A cette existence toute rêveuse et tout idéale venaient se mêler, par un contraste perpétuel, les incidents de la vie commune, les passions, les vices ordinaires de notre nature. Le mélange des civilisations et des peuples que rapprochait une religion cosmopolite augmente encore la singulière originalité de ce spectacle. Le christianisme agissait diversement, était reçu à divers degrés chez des nations courbées également par le joug romain, mais distinctes d'origines, de mœurs et de climats. Leur caractère primitif reparaissait à la faveur de l'enthousiasme religieux qui les affranchissait des liens terrestres. Le Syrien, le Grec, l'Africain, le Latin, le Gaulois, l'Espagnol, portaient dans leur christianisme les nuances de leurs caractères et souvent les hérésies, alors si nombreuses, étaient plus nationales que théologiques.

Les écrits des Pères sont une image de toutes ces variétés. Au milieu des controverses et des subtilités mystiques, on y surprend tous les détails de l'histoire des peuples, tous les progrès d'une longue révolution morale, le déclin et l'obstination des anciens usages, l'influence des lettres prolongeant celle des croyances, les croyances nouvelles commençant par le peuple, et s'étayant à leur tour du savoir et de l'éloquence, les orateurs remplaçant les apôtres, et le christianisme formant au milieu de l'ancien monde un âge de civilisation qui semble séparé de l'empire romain, et qui meurt cependant avec lui.....

A ce beau programme, d'une élégance si animée, où les vues, les plans du critique se cachent sous les libres mouvements d'une imagi. nation émue, succède la revue des villes fameuses qui furent, au IVe siècle, les grands théâtres de l'éloquence chrétienne. Athènes, Antioche, Alexandrie, Constantinople, Rome, avec leurs populations variées, avec leurs mœurs, plus ou moins mêlées d'idolâtrie, de philosophie et de christianisme, revivent en traits frappants empruntés à

ces saints orateurs qui les ont édifiées et charmées. Eux-mêmes nous y sont quelquefois montrés d'avance, comme dans le prologue d'un drame. Au milieu de la jeunesse bruyante et studieuse que l'amour des ́lettres et des arts fait affluer, de toutes les contrées de l'Europe et de l'Asie, vers la docte, la splendide Athènes, se rencontrent sans se connaître ou sans se chercher, et ce Julien qui, sous les dehors suspects d'une foi imposée, médite déjà le dessein d'une restauration poétique et philosophique de l'ancien culte, et ce Grégoire de Nazianze, ce Basile, inséparables amis, nobles émules dès leurs plus tendres années, que les exercices de la littérature et de l'éloquence profanes, où ils excellent également, préparent de loin à une gloire commune dans les travaux de la parole apostolique. Ailleurs, parmi les fêtes de la magnifique, de la molle Antioche, l'école païenne du sophiste Libanius voit croître l'éloquence qui bientôt animera ses sanctuaires chrétiens, l'éloquence de Chrysostome. Cependant l'auteur, dans cette espèce de voyage à travers le monde conquis au christianisme, marque en passant les caractères généraux qui déjà séparent, au sein de la religion nouvelle, le génie de l'Orient et celui de l'Occident; à l'un il attribue ce libre mouvement de l'imagination, qui produit, avec la hardiesse des doctrines et la dissidence des sectes, les éclats de l'éloquence et de la poésie; l'autre lui paraît posséder plutôt cette prudence, cette suite, cette autorité, cet esprit de gouvernement, qui maintiennent l'unité, fondent la tradition, constituent l'Église universelle. Le rôle de Rome, dans l'ordre nouveau de ses destinées, est resté le même :

Tu regere imperio populos, Romane, memento.

Ainsi on est introduit à ces morceaux considérables qui sont l'ouvrage même, ceux où apparaissent dans leur ordre, d'une part les Pères grecs, de l'autre les Pères latins; où une critique habile à évoquer par l'érudition, la philosophie et l'éloquence, les grands souvenirs du passé, fait poser devant le lecteur, ici saint Athanase, saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse, saint Basile, saint Jean Chrysostome, Synésius; là saint Hilaire, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Paulin, saint Augustin; retraçant les vicissitudes de leurs vies héroïques, repassant la longue histoire de leurs travaux, analysant leurs livres et leurs discours, répétant en dignes accents leurs paroles, complétant par la vérité des tableaux de mœurs, où elle les encadre, celle de leurs portraits. La longue galerie se termine par la figure de Julien qui tente de relever les temples ruinés du paganisme, par celle de Symmaque qui défend contre saint Ambroise l'autel de la Victoire.

Dans cette rapide analyse, que j'ai resserrée à dessein pour rendre plus visible l'ensemble du livre, je n'ai pas compris deux chapitres entièrement nouveaux, l'un sur le diacre d'Edesse, saint Ephrem, l'autre sur saint Épiphane, évêque de Salamine. Ces écrivains, ces orateurs eurent un génie tout oriental; le premier même n'a point parlé, n'a point écrit dans cette langue grecque dont une légende lui fait accorder merveilleusement le don, comme aux apôtres, et qui a été simplement la langue de ses traducteurs; ils conduisent, par une transition habilement ménagée, à des représentants de l'Église latine qui, par certains côtés de leur génie, semblent appartenir à l'Orient, où quelques-uns sont nés, où d'autres ont vécu, notamment à saint Jérôme et à saint Augustin.

Ces chapitres d'un grand intérêt mériteraient une attention particulière; mais je me contente, en ce moment, d'en marquer la place êt l'effet dans l'ordonnance générale de la composition. Je consacrerai un second article, et à ces importantes additions, et aux développements par lesquels M. Villemain a tant ajouté, dans les parties antérieurement publiées, à la valeur de son œuvre, l'une des plus considérables de ces dernières années, l'une des plus propres à honorer ces hautes spéculations de la science, de la philosophie, de la littérature, dont les commotions politiques ne peuvent distraire entièrement les esprits d'élite.

PATIN.

LETTRES, INSTRUCTIONS et MÉMOIRES de Marie Stuart, reine d'Ecosse, publiés sur les originaux et les manuscrits du State Paper Office de Londres et des principales archives et bibliothèques de l'Europe, par le prince Alexandre Labanoff.

DIXIÈME ARTICLE1.

Après la découverte de tant de conspirations, le gouvernement d'Elisabeth, effrayé et irrité, avait plus durement emprisonné la reine d'Écosse. Il l'avait enlevée à la surveillance un peu relâchée du comte de Shrewsbury, pour la placer sous la garde assez sévère de sir Ralph

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Voir les cahiers de juillet, d'octobre et de novembre 1847, de mai et de novembre 1848, de janvier, d'avril, de mai et de décembre 1849.

Sadler et de Sommers. Le 13 janvier 1585, Marie Stuart avait été même transférée du manoir de Wingfield où elle était restée au delà de quatre mois, en quittant Sheffield, au château de Tutbury, qui appartenait à la couronne et tombait en ruines. La reine d'Écosse y fut plus incommodément établie que dans aucune des habitations où s'était écoulée jusque-là sa longue captivité. Il n'y avait pas d'écurie, et les seize chevaux qui servaient à son usage étaient restés à Sheffield 1, Sans eux, disait-elle à Burghley, je suis plus prisonnière que jamays2. Ses jambes, très-affaiblies par les rhumatismes et l'inaction, ne lui permettaient pas de faire le moindre exercice et de prendre l'air 3. Situé dans le comté de Stafford, ce château, dont les murailles étaient presque partout entr'ouvertes, qui était humide, froid, malsain, non meublé, était inhabitable pour elle comme pour ses serviteurs, réduits en nombre 5.

Aussi y était-elle constamment malade. Aux incommodités du lieu s'étaient ajoutées les rigueurs de la captivité, lorsqu'elle avait passé, au commencement de mai 1585, de la garde de Sadler et de Sommers sous celle d'Amyas Paulet. Quelque temps ambassadeur à Paris, celuici était un puritain sévère, attaché à Leicester, dévoué à Élisabeth, détestant les catholiques, incapable de condescendance comme de pitié pour sa prisonnière. Lorsque Marie Stuart obtenait la permission de se promener, il l'accompagnait avec une escorte de dix-huit hommes, le pistolet au poing. Il ne voulut pas souffrir qu'elle envoyât la moindre aumône aux pauvres du village situé au-dessous du château, et Marie Stuart déplora amèrement que cette consolation chrétienne lui fût refusée, n'y ayant, écrivait-elle, si pauvre, vil et abject criminel à qui elle soit jamais, par aulcune loy, desniée". Aussi le bruit que Marie Stuart avait tenté de s'évader s'étant répandu, Paulet écrivit au lord trésorier pour le rassurer, ces terribles paroles : « Marie ne peut s'échapper sans une grande négligence de ma part. Si je suis violemment attaqué je suis <«< bien assuré, par la grâce de Dieu, qu'elle mourra avant mois. »

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Sous cet inflexible gardien, Marie, dont les yeux furent un jour épouvantés par la vue d'un jeune prêtre catholique qu'on avait pendu aux murailles du château, ne put entretenir aucune correspondance secrète. Toutes les dépêches chiffrées qui lui étaient adressées de France

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Labanoff, t. VI, p. 91 et p. 99-104-116. — Ibid., p. 91. — Ibid., p. 91 el 93; sans cela je ne puis aller à pied, cinquante pas ensemble, lettre du 6 février à Mauvissière. Ibid., p. go et 166. 5 Ibid., p. 93. Ibid., p. 198 et 237. Ibid., p. 172-173. Lettre de sir Amyas Paulet à lord Burghley, du 12 juin 1585, State Paper Office, et Labanoff, t. VI, p. 176, note."

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restaient entre les mains de Castelnau de Mauvissière, et, après son départ, entre celles de son successeur, Laubespine de Châteauneuf1. Elle écrivait aux ministres d'Elisabeth pour qu'ils lui donnassent une autre prison, à Élisabeth elle-même pour qu'elle lui accordât sa liberté. Mais elle vit bien qu'on ne voulait pas la rendre libre, et elle disait avec perspicacité et douleur: «On allegue pour me retenir les vieilles ex<<cuses du temps passé, tantost un changement en Ecosse, tantost un « trouble en France, tantost la découverte d'une conspiration en ce << pays et en somme la moindre innovation qui puisse advenir en la <«< chrestienté; de façon qu'il vaudroit autant qu'on me remît, comme les << enfans disent, quand tout le monde sera d'accord et content. Dieu par << sa toute puissance me soit en ayde et protection et juge selon sa justice << ma cause entre moi et mes ennemys, comme j'espère qu'il sera tost ou <«< tard2. >> Après un an de séjour à Tutbury elle fut conduite, vers la fin de décembre 1585, au château de Chartley, dans le comté de Stafford, où, mieux établie, elle ne se trouva pas moins étroitement surveillée.

Mais, si elle ne pouvait pas conspirer, son parti conspira plus que jamais pour elle. Les complots se multiplièrent naturellement au milieu des circonstances extraordinaires où les deux grandes causes du catholicisme et du protestantisme en Europe se disputaient la France, les Pays-Bas, l'Angleterre et l'Écosse. Les réfugiés anglais, désireux de rentrer dans leur patrie, les prêtres proscrits, destinés à la conquête religieuse de l'île, crurent le moment favorable pour renverser Elisabeth du trône et y placer Marie Stuart. Philippe II, qui les avait tous à sa solde, qui donnait deux mille écus d'or par an au docteur Allen, recteur du séminaire de Reims 3, cent écus par mois au comte de Westmoreland, autant à lord Paget 5, quatre-vingts écus à Charles Arundel, qui pensionnait aussi Charles Paget, Thomas Throckmorton', et faisait toucher quarante écus par mois à Morgans dans la Bastille même, encouragea leurs trames sanguinaires, tandis qu'il reprit avec le duc de Guise l'ancien projet d'expédition contre l'Angleterre. Le meurtre d'Élisabeth dut se combiner cette fois avec l'invasion de son royaume.

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Le premier qui se chargea de le commettre fut un catholique

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série B, liasse 66, no 15. Ibid., S. B, L. 57, n° 309.

Ibid., S. A, L. 56, n°

56 et S. B,

53.

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L. 56, n° 57.

Ibid., S. F, L. 56, n° 53, et S. A, L. 56, n°

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