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comprend-il que les plus importants. Dans le nombre, sont deux vastes encyclopédies dont nous possédons à Paris des exemplaires, et qui embrassent toutes les parties de l'agriculture, ainsi que de l'horticulture chinoises. On y a rassemblé, tout ce que l'expérience de tant de siècles a pu apprendre sur ces objets. Le premier de ces traités date de l'année 1607. Il se compose de soixante kiven, ou livres. L'auteur était un lettré célèbre, qui avait rempli pendant longtemps des emplois supérieurs à la cour de Pékin, et qui avait vécu dans l'intimité du savant missionnaire jésuite Mathieu Ricci, auquel il a dû de pouvoir insérer dans son ouvrage beaucoup de détails sur les pompes hydrauliques, et sur les machines d'irrigation, empruntées à la science européenne. L'autre encyclopédie, d'une date plus récente, est encore plus étendue et plus complète. Elle a été publiée en 1739 par l'ordre, et sous les auspices, de l'empereur Kien-long. On l'appelle le Chéou-chi-thong-khao. C'est de là que M. Stanislas Julien a tiré le traité spécial sur la culture du mùrier, et l'éducation des vers à soie, qu'il a publié en 1837, et qui a été traduit presque aussitôt dans toutes les langues de l'Europe. Cela peut faire juger de l'importance que doit avoir l'ensemble. M. d'Hervey s'était résolument dévoué à la pénible tâche de traduire ce vaste ouvrage en totalité. Mais, quoique, dans l'état où s'est élevé maintenant chez nous l'enseignement du chinois, le fonds des idées, et l'interprétation générale du langage, n'offrissent pas de difficultés qu'on ne pût vaincre, il s'est trouvé bientôt arrêté par un obstacle du même genre, et plus ardu encore, que celui queje signalais tout à l'heure à l'occasion des Pent-Tsao. Car ici, la nature du sujet n'amène pas seulement des noms de plantes isolés; ces noms se trouvent engagés et enchevêtrés dans un tissu de détails techniques, dont la signification précise ne peut se deviner qu'au moyen d'un travail philologique très-difficile, lequel encore doit être, à chaque instant, guidé par la connaissance matérielle, ou le sen timent pratique, des objets décrits. M. d'Hervey n'a pas tardé à voir, qu'une pareille entreprise exigeait plus de temps, et de préparation, qu'il ne l'avait cru. C'est pourquoi, sans se décourager, sans y renoncer aucunement pour l'avenir, il l'a pour le moment restreinte à ce qu'elle avait d'accessible; et il s'est borné à donner l'analyse détaillée de chacun des soixante et dix-huit livres, qui composent l'ouvrage chinois. Il a fait là une œuvre laborieuse, qui sera déjà très-utile. En effet, par ce qu'on en peut ainsi voir, les huit sections entre lesquelles ces livres sont répartis, embrassent l'universalité des sujets qui constituent la science agricole; et chacun d'eux y est traité avec une généralité d'exposition, comme avec une richesse de faits pratiques, dont l'ensemble ne laisse rien à désirer. Ni l'Europe, ni l'Amérique, ces portions du globe occupées par les peuples

que nous appelons exclusivement civilisés, ne possèdent un traité d'agriculture qui approche de celui-là, pour l'étendue et la valeur. Le parallèle serait celui d'un géant à un nain. Eh bien! rien n'aurait été plus facile que d'en faire jouir notre France. Après la sensation qu'avait faite en 1837, la section relative à l'industrie de la soie, que M. Stanislas Julien avait traduite, on pouvait bien voir quelle importance il y aurait à connaître les autres. On n'avait qu'à les demander au même philologue; il les aurait mises de même à notre usage, et nous en jouirions aujourd'hui. J'entends toutefois, qu'on ne les lui aurait pas demandées à titre gratuit; car c'est, chez nous une coutume, aujourd'hui trop ordinaire, de réclamer à tout propos, les services particuliers des savants, comme une dette qui est suffisamment payée par quelque fumée de remercîment ministériel. Il fallait l'y attacher administrativement, comme à une grande œuvre utile au pays. Cela aurait mieux valu, que d'envoyer à grands frais en Chine, chercher des curiosités vulgaires, ou recueillir des patois. J'ajoute, comme Français, que cela eût été plus glorieux; et, en qualité de contribuable, que cela aurait coûté moins.

M. d'Hervey a déjà commencé de reprendre ce pénible travail, avec toute l'ardeur de la jeunesse, se confiant dans sa persévérance, et dans l'assistance de conseils bienveillants, qui n'ont jamais manqué à personne. Ce que j'ai dit du livre qu'il vient de publier, suffira pour en montrer le but, le plan, et le mérite propre. J'avais eu d'abord la pensée, de mettre sous les yeux de nos lecteurs quelques-uns des détails très-instructifs qu'on y trouve : entre autres, la comparaison de nos essais inconstants pour introduire chez nous l'arbre à thé, et les expériences habilement persévérantes, à la suite desquelles le Gouvernement anglais est parvenu à l'établir dans l'Inde, au pied de l'Himalaya; si judicieusement et si bien, que l'on commence à tirer de là du thé fabriqué, dont la bonne qualité a été reconnue, non-seulement par le commerce anglais, mais par les populations indigènes, qui l'achètent avec empressement, pour l'aller revendre au Thibet, et dans la Tartarie chinoise. Ceci peut être, pour la Chine, le présage d'une grande révolution commerciale, dans un temps peu éloigné. Mais je n'ai pas prétendu remplacer le livre de M. d'Hervey; je ne voulais que donner le désir de le lire; et je m'estimerai suffisamment heureux, si j'y ai réussi. L'âge, le nom et la position sociale de l'auteur rendent de pareils travaux particulièrement dignes d'attention. Il n'est pas inopportun de faire remarquer, que l'on commence à voir se produire chez nous, un nombre inusité d'exemples analogues, dans les diverses parties des sciences, et des lettres savantes. Si ce mouvement intellectuel des classes riches, se propage et persiste,

il deviendra peut être l'unique moyen qui reste, pour compenser l'abandon des classes professionnelles, qui ont presque seules cultivé ces études jusqu'à ce jour, et qui trouvent aujourd'hui tant de motifs de les quitter. J. B. BIOT.

UEBER DAS ERECHTHEUM AUF DER ACROPOLIS VON ATHEN,
Iste und IIte Abhandlungen, von Fr. Thiersch.
Sur l'Erechthéam de l'Acropole d'Athènes, deux dissertations de
Fr. Thiersch (extraites du recueil des Mémoires de l'Académie
royale des sciences de Munich, t. V et VI).

PREMIER ARTICLE.

Entre tous les monuments qui nous restent de l'antiquité grecque, il n'en est aucun qui ait excité au même degré l'intérêt des savants et des artistes, que l'Erechthéion ou le temple de Minerve Poliade, sur l'Acropole d'Athènes. Cet intérêt s'explique, indépendamment du haut mérite d'art qui distingue ce monument, par la nature même de l'édifice, dont le plan présente des dispositions encore sans exemple et des difficultés restées jusqu'ici sans solution. A tous ces motifs qui le recommandent si puissamment à l'étude des antiquaires, se joint encore une circonstance qui n'est pas moins particulière à cet édifice, entre tous ceux que nous connaissons de l'antiquité grecque. C'est de l'achèvement de sa construction, dans certaines parties de son ordonnance, qu'il était traité dans une belle et longue inscription grecque, gravée sur table de marbre, en la 4° année de la xcı' olympiade, la 23o de la guerre du Péloponnèse, 409 avant notre ère; laquelle inscription, trouvée vers le milieu du siècle dernier dans les ruines de l'Acropole, et transportée alors en Angleterre, où elle se voit aujourd'hui au Musée britannique, contient une foule de détails et de termes d'architecture grecque, qui en font le document original, concernant l'histoire de cet art, le plus authentique et le plus précieux que nous possédions. Le mérite de ce document inestimable s'est encore accru de nos jours par la découverte, opérée le 10 octobre 1836, dans la Pinacothèque des Propylées, de cinq autres inscriptions ou fragments d'inscriptions gravés pareillement sur tables de marbre et appartenant au même ensemble d'actes publics, relatifs à l'achèvement du même édifice, à une époque postérieure d'une ou de deux années, où il se

655 trouvait conséquemment dans un état de construction plus avancé. La découverte de ces précieuses inscriptions techniques coïncidait avec les travaux de déblayement et de réparation entrepris sur le site même de l'Erechtheion, pour en extraire les ruines qui l'encombraient, en retrouver le sol antique, et en remettre en place ce qui subsistait encore des matériaux des murs et des colonnes; travaux qui datent de 1835 et qui ont continué presque jusqu'à nos jours; en sorte que l'on acquérait à la fois deux moyens nouveaux et puissants de mieux connaître cet édifice problématique, par des textes originaux qui concernaient son architecture, et par des fouilles qui exhumaient ses restes. Le moment semble donc arrivé de résoudre cette grande énigme qui avait échappé jusqu'ici à toutes les combinaisons de la science, à tous les efforts de la critique; et tel est en effet l'objet du travail du savant antiquaire de Munich, que je me propose de faire connaître à nos lecteurs, avec tout le soin dont je suis capable, comme avec tout l'intérêt qu'il mérite.

La première notion, tant soit peu digne de foi, que reçut l'Europe savante, concernant l'Erechtheion, fut celle que notre antiquaire français, Jacques Spon, consigna dans son Voyage en Grèce1, vers l'année 1676. A cette époque, qui est celle où il visitait Athènes, le temple double dont il s'agit se reconnaissait à cette circonstance, justifiée par les mesures que donne le voyageur des deux parties de l'édifice, et par le puits célèbre d'eau salée, qui était la mer Erechtheide, Saraoσa ÉpexOnis, dont parlent les auteurs2, mais que ne vit pas Spon lui-même, attendu qu'elle se trouvait dans une partie de l'édifice alors convertie en harem et occupée par des femmes. Spon remarqua aussi, au midi de l'Erechthéion, des statues de femmes enclavées dans un mur, qu'il eut tort de prendre pour les trois Grâces de Socrate3, puisqu'elles formaient le tique méridional, vulgairement appelé le portique des Caryatides, mais pordésigné dans l'inscription attique sous son véritable nom, celui des Kora, Jeunes filles, en Tv Kópav. Du reste, la description de Spon, réduite à quelques indications générales, est complétement insuffisante;

1

3

2

Voyage en Grèce, t. II, p. 159-160 (éd. de Lyon, 1678, in-18). Pausan., 1, XXVI, 6: Υδωρ θαλάσσιον ἐν φρέατι. Cf. Apollodor., III, χιν, 1 : θάλασσαν, ἣν νῦν Ερεχθηίδα καλούσι. Épexonida naλovo. — Cette idée de Spon ne lui était sans doute pas particulière; elle appartenait, suivant toute apparence, aux savants d'Athènes du xvir° siècle; du moins la trouve-t-on consignée en ces termes sur le plan dressé par l'ingénieur vénitien Vernada, à l'occasion du siége de 1687: «Altro tempio.... le mura del quale sono sostenute da quatro statue di marmo quali rapresentano le gratie che Socrate fece far vestire per burlarsi di quelli che le hanno rapresentate nude. » Fanelli, Atene Attica, p. 308.

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et sans doute que l'état des bâtiments qui servaient alors d'habitation à un officier turc, et qui étaient entourés, comme il le dit, de masures et de maisons de soldats de la garnison, ne lui avait pas permis d'en voir et d'en apprendre plus qu'il n'en rapporte.

L'Erechtheion dut rester à peu près dans le même état, durant l'intervalle de presque un siècle qui s'écoula entre les temps de Spon et ceux de Stuart, si ce n'est que cet édifice, abandonné de ses hôtes turcs, se prêtait mieux à l'observation. Aussi, l'étude approfondie qu'en fit l'exact et savant architecte anglais1 est-elle restée jusqu'à nos jours la base la plus solide de toutes les recherches dont l'Erechtheion a été l'objet; et comme, depuis l'époque de Stuart, la destruction s'est encore appesantie sur ce monument, par l'effet des projectiles de guerre dirigés contre l'Acropole durant la guerre de l'indépendance, dont l'Erechtheion eut surtout à souffrir dans son portique septentrional et dans sa façade du couchant, aujourd'hui détruite, les dessins et les mesures de l'architecte anglais ont acquis encore une valeur plus grande, en ce qu'ils nous tiennent lieu des parties de l'édifice qui n'existent plus. Mais Stuart avait trouvé l'édifice encombré à l'intérieur d'une telle masse de ruines, qu'il ne lui fut pas possible d'en sonder la profondeur et d'en reconnaître le plan. Ces ruines n'étaient pas seulement celles du temple grec; c'étaient encore celles de l'église byzantine; car on ne peut douter que l'Erechthéion n'ait servi d'église dans les siècles du moyen âge 2. Le fragment de colonne en vert antique que le docteur Clarke en emporta 3, et qui se trouve aujourd'hui dans la bibliothèque de l'université de Cambridge, provenait indubitablement de cette construction byzantine; et je puis dire qu'à l'époque où je visitai moi-même l'Acropole, en 1838, les décombres encore entassées dans l'intérieur de l'Erechthéion m'offrirent plusieurs fragments de colonnes du même marbre vert, avec trois de pavonazzeto, qui, n'ayant pu, à aucun titre, faire partie de l'édifice hellénique, devaient nécessairement avoir appartenu à l'église chrétienne".

1

Antiquit. of Athens, t. II, c. 11, p. 16-22, pl. 1-xx (t. II, c. 11 de la trad. franç., p. 3339, pl. XVIII-XXXIV); il faut y joindre les observations du nouvel éditeur, dans la traduction allemande, die Alterthümer von Athen (Darmstadt, 1829, 8°) t. I, Th. 11, c. 11, p. 470-533.-M. Pittakis dit que l'Erechtheion a servi d'église en 1220, Antiquit. d'Athènes, p. 396; mais il ne donne aucune preuve à l'appui de cette assertion, qui, par elle-même, me paraîtrait de nulle valeur. D E. D. Clarke's, Travels, P. II, 3, p. 496; voy. aussi ses Greek marbles, 17, p. 39. Le doute que paraît conserver le nouvel éditeur allemand, t. I, Th. 11, c. 11, 37), p. 521, au sujet de ces colonnes de marbre vert, n'est réellement pas fondé, et j'en fais l'observation, parce que M. Thiersch lui-même ne semble pas encore convaincu que l'Erechtheéion ait

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