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duc de Luynes le choix le plus complet, rendu avec le plus de fidélité1; et les autres monuments d'antiquité grecque et romaine, qui représentent le même groupe, avaient été réunis et expliqués par M. Lajard, dans un travail particulier 2. Ces représentations acquièrent maintenant toute leur valeur par la découverte des sculptures assyriennes de Ninive, où nous voyons le groupe du lion, tantôt monté sur le taureau3, tantôt le mordant à la poitrine, tantôt le saisissant par la corne3, qui sont autant d'expressions variées de la même image symbolique, relative à la lutte des deux principes par où s'entretient et se renouvelle la vie de la nature. Mais le type le plus significatif à cet égard que nous aient offert ces sculptures de Ninive, c'est certainement celui du groupe du lion déchirant le taureau, répété de chaque côté de la figure d'un dieu, représenté véta et pourvu de quatre ailes, tenant de chaque main une des pattes de devant da lion image la plus expressive qu'il fût possible de concevoir de cette lutte des deux principes, subordonnée à l'action du dieu suprême. Quant à l'opposition du lion et du taureau, qui exprime la même idée, mais dans une situation tranquille, et dont nous avions acquis déjà la connaissance par des monuments grecs et asiatiques, tels que les monnaies primitives de Samos, qui ont pour type des têtes opposées de lion et de taureau"; les médailles de Selgé, de Pisidies, d'Aradus, de Phénicie, de Damascus, de Colé-Syriel0, qui offrent le taureau et le lion, tantôt sur des socles opposés, tantôt en face l'un de l'autre; et par des monuments, d'un autre genre, tels que le tombeau de roi à Persépolis11, où des rangées de taureaux sont superposées à des rangées de lions, comme les mêmes animaux alternaient dans la décoration du bûcher d'Héphæstion12, et comme ils se montrent encore dans l'entablement du temple du Soleil à Baalbeck13, cette image nous est surtout rendue sensible par deux amulettes asiatiques, l'un de style babylonien 14, l'autre de travail sassanide 15, qui nous montrent des parties antérieures de lion opposées à des parties anté1 Essai sur la Numismatique des Satrapies et de la Phénicie, pl. III, IV, V, VII, VIII, IX, XV, XVI.—2 Mém. sur une urne cinéraire du mus. de Rouen (Extrait du t. XV, 2o part. des Mém. de l'Acad.), p. 1-67, pl. 1-1. Layard, The Monuments of Nineveh, pl. 45. Ibid., pl. 46. Ibid., pl. 48. — Ibid., pl. 9. - Lajard, Recherches, etc., pl. xv, 7. Ibid., pl. 11, n. 2. — • Îbid., pl. 11, n. 4. 10 Ibid., pl. 1, n. 5. Sur cette médaille, le lion est remplacé par le cheval, qui est aussi un animal solaire; voy. mon Mém. sur l'Hercule assyrien, pl. 11, n. 13, pl. vi, n. 15, p. 138-141.-"Chardin, Voyage en Perse, pl. LXIII, LXIV; Le Bruyn, Voyage par la Moscovie, etc., t. II, pl. 153; Niebuhr, Voyage d'Arabie, t. II, pl. XXIX, XXX; Ker Porter, Travels, etc., t. I, pl. 49, 50.-"Diodor. Sic. 1. XVII, c. cxv. Voy. mon Mémoire sur l'Hercule assyrien, p. 389, 5).— 13 Cassas, Voyage pittor. de la Syrie, t. II, pl. 16, 17.-"Lajard, Rech. sur le culte de Vénus, pl. xiv ▲, n° 7, 7 a, 7 b.— 15 Ibid., pl. vii, n. 5.

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rieures de taureau; sans compter les dariques de Phénicie, à l'exergue desquelles on voit le lion et le taureau s'élancer en sens contraire 1.

Je crois que nous pouvons maintenant regarder comme suffisamment établi, à l'aide de tant de monument fournis par les divers systèmes de croyance et d'art asiatiques, unanimes en ce point, le dogme fondamental de ces religions, consistant en ce que le lion et le taureau y représentaient les deux forces vitales de la nature. Pour achever de donner à cette grande image symbolique son caractère sacré, on y ajouta les ailes, qui étaient, dans le système idéographique des peuples sémitiques, l'indice d'une nature divine; le témoignage de la théogonie phénicienne de Sanchoniathon2, joint à tant de monuments d'art babyloniens et assyriens, qui nous montrent des figures ailées, certainement d'ordre divin, ne laisse aucun doute à cet égard. On peut croire que les ailes dont sont pourvus les taureaux et les lions à tête humaine de Ninive appartiennent à l'aigle, qui joua de toute antiquité un rôle principal dans la symbolique des peuples asiatiques, comme représentant du dieu suprême; à l'aigle, dont nous voyons l'idole, portée en cette qualité sur les épaules des guerriers assyriens, sujet d'un bas-relief d'un palais de Nimrod3, et dont nous savons que l'image, exécutée en or, formait l'enseigne royale des Perses. Ce pourraient être aussi des ailes d'épervier, d'après l'emploi qui se faisait de cet oiseau chez plusieurs peuples asiatiques 5, pour composer l'image du Dieu suprême. Mais, quoi qu'il en puisse être à cet égard, la manière dont sont traitées les ailes de nos animaux symboliques, et qui tient certainement à un système de convention propre à l'archéologie assyrienne, nous révèle un trait bien curieux d'analogie avec l'antiquité grecque, où les ailes données à Pégase, sur les monnaies primitives de Corinthe, et celles de plusieurs

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1 Rech. sur le culle de Vénus, pl. xvII, 5. Une de ces dariques est publiée dans mon Mém. sur l'Hercule assyrien, pl. 11, n. 6, p. 136. Deux taureaux, s'élançant en sens contraire, forment l'un des sujets habituels de l'étendard, sur plusieurs bas-reliefs de Nimrod, Layard, The Monuments, etc., pl. 14 et pl. 22; ce qui prouve bien que c'était là un type assyrien. - Sanchoniath. apud Euseb. Præp. ev., I, x, p. 45, ed. Heinichen. : Επὶ τῶν ὤμων περὰ τέσσαρα· δύο μὲν ὡς ἱπτάμενα, δύο δὲ ὡς ὑφειμένα. -Nineveh, etc., t. II, p. 462. L'aigle figure parmi les étendards, dans un bas-relief de Nimrod, représentant une scène de combat, ibid. pl. 14.—Xenoph. Cyropæd., VII, 1, 2; Anabas., IX, x, 8; Q. Curt. III, III.-On connaît, par le témoignage d'Eusèbe, Præp. ev., 1. I, c. x, p. 49, ed. Heinichen., l'image de Kneph à tête d'épervier. La même image, appropriée à Ormuzd, est connue par le Zend Avesta, t. I, 2° part., p. 101, 184,415; t. II, p. 387, 398; cf. Zoroastr. apud Euseb. Præp. cv., I, x, p. 49-50, ed. Heinich. Cette forme particulière des ailes du Pégase est celle que les numismatistes désignent ordinairement par le nom d'ailes recoquillées; voy. le dessin de celles

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figures, sur les vases peints du style le plus archaïque', sont exécutées
absolument dans le même goût; d'où il résulte la preuve positive que
ce symbole et son type figuré avaient été puisés à cette source asiatique.
Les lions et les taureaux ailés à tête humaine des palais de Ninive of
fraient donc une image symbolique de la puissance divine représentée
par les forces vitales de la nature, que personnifiaient le lion et le taureau,
et que
dominait l'intelligence suprême, exprimée par la tête de l'homme,
coiffée de la tiare sacerdotale. C'est, du moins, de cette manière, con-
forme à tous les témoignages de l'antiquité, que je m'explique ce grand
hieroglyphe, dont l'importance religieuse, d'accord' avec sa proportion
colossale, ressort de l'observation attentive de toutes nos sculptures
de Ninive. C'est ce que j'achèverai de montrer, en rendant compte de
celles de ces sculptures, de sujet religieux, qui toutes ont presque pour
unique objet cette lutte des deux principes, figurée par celle du lion
et du taureau et subordonnée à l'action du Dieu suprême, image sans
cesse reproduite sous les formes les plus variées et les plus expressives;
ce sera la matière de notre prochain article.

(La suite au prochain cahier.)

RAOUL-ROCHETTE.

DIPLOMATA, CHARTE, EPISTOLÆ, LEGES, aliaque instrumenta ad res gallo-francicas spectantia, prius collecta a VV. CC. de Bréquigny et La Porte du Theil; nunc nova ratione ordinata plurimumque aucta; jubente ac moderante Academia inscriptionum et humaniorum litterarum, edidit J. M. Pardessus, ejusdem Academiæ sodalis. Lutetiæ Parisior., ex Typographeo regio. Tom. I, 1843; tom. II, 1849.

Deux grandes collections entreprises au xvII° siècle, sous les auspices de ces médailles que Cousinéry regarde comme les plus anciennes, Recherches sur les monnaies de Corinthe, pl. 1, n° 1-7, p. 120.-'Je citerai entre autres exemples de figures, soit humaines, soit animales, pourvues d'ailes semblables, la coupe de Chachrylion, publiée dans les Monuments de l'Institut archéologique, pl. XVI-XVII, où le sanglier ailé, qui forme l'emblème du bouclier de Géryon, a les ailes ainsi figurées; le vase panathénaïque, publié dans les Monum. dell' Instit., t. I, tav. XXII, 12, où la Sirène du bouclier de Minerve a des ailes pareilles; la coupe archaïque de Vulci, ibid., t III, tav. L, où Vénus est pourvue d'ailes traitées de la même manière; le vase du Musée Blacas, pl. xxv, où les deux sphinx, femelles et ailés, de type certainement asiatique. et non égyptien, ont des ailes semblables, de même que les deux sphinx, tout pareils, de l'antélixe de Pella, publiée par Brönsted, Voyages et Recherches, etc., II, vign. XLI, p. 155. Je pourrais multiplier beaucoup ces exemples, mais ceux que je viens de citer suffisent pour l'objet que j'avais en vue.

du Gouvernement ou des congrégations religieuses, avaient ouvert et dirigé le cours des fortes études appliquées à notre histoire nationale. Le Recueil des historiens des Gaules et de la France présentait la série complète des faits; le Recueil des ordonnances de nos rois permettait d'apprécier les nombreuses transformations de notre gouvernement monarchique. Afin de mettre tous les instruments à la portée des savants ouvriers qui voudraient reconstruire le grand édifice de la société française, on conçut la pensée d'une troisième collection, celle de tous les actes qui, se rapportant à des intérêts particuliers, n'avaient pu trouver place ni dans les deux grands recueils que nous venons de citer, ni dans les Actes des conciles, dont on attendait une édition complète. L'Anglais Thomas Rymer avait donné, pour sa nation, l'exemple d'un ouvrage de la même nature: on espéra faire mieux encore, et, pour se préparer à cette grande entreprise, on proposa de rassembler dans un dépôt central la suite presque innombrable des diplômes et des chartes émanés des personnages qui, depuis l'origine de la monarchie, avaient eu part à l'administration publique dans chacune des provinces dont se compose aujourd'hui la France. On devait y joindre les bulles et brefs des papes, les lettres anecdotes des seigneurs laïques et ecclésiastiques, en un mot tous les documents historiques qui ne rentraient pas dans la série des recueils précédents.

L'honneur d'avoir le premier senti l'intérêt d'une pareille collection revient à l'académicien Secousse; mais c'est à Moreau que l'on doit de l'avoir commencée. Il venait, en 1758, d'acquérir quelque réputation par ses Lettres de l'Observateur hollandais, qui supposaient une grande connaissance de notre droit public, et qui semblaient dictées par un véritable patriotisme, dans un temps où la mode était de courber la France sous l'ascendant de l'Angleterre. Moreau, en arrivant à Paris, fut chargé de rassembler dans un bureau du ministère des finances tous les anciens textes de lois et tous les règlements d'administration générale. Aux actes législatifs, on lui permit bientôt de joindre les documents qui pouvaient éclairer l'étude de notre droit public; telle fut l'origine, tels furent les commencements d'un établissement qui fait aujourd'hui tant d'honneur à la France, le Dépôt des archives nationales. Au temps dont nous parlons, il n'existait chez nous rien de pareil; le recueil connu sous le nom de Trésor des chartes était conservé dans l'hôtel du Procureur général; le Parlement avait ses Olim et le réperoire souvent interrompu, souvent mutilé de ses arrêts. La Chambre des comptes avait ses rôles, le chapitre de Notre-Dame et les grandes abbayes de l'Ile-de-France, leurs archives et leurs cartulaires. L'usage des

rois et des grands vassaux n'ayant pas été, durant plusieurs siècles, de garder ou l'original ou la copie des chartes, diplômes et lettres émanées de leur autorité, il fallait parcourir le chartrier de toutes les maisons religieuses, les archives de toutes les villes, les collections généalogiques de toutes les grandes familles, pour reconstituer sur des bases solides le véritable droit public de la France. En attendant qu'on avisât aux moyens d'obtenir les communications désirées, le bureau de légis lation fut transporté du ministère des finances à celui de la justice, sous le nom de Dépôt des chartes, et Moreau en demeura le conservateur. La tâche qu'il s'était imposée aurait effrayé, sans doute, tout autre que lui; mais l'espoir de réaliser un plan longuement préparé soutenait son courage. Il fallait d'abord acquérir tous les volumes imprimés qui renfermaient des actes législatifs, des chartes, des instruments de droit public: puis réunir à ces volumes l'original ou la copie de toutes les pièces analogues, éparses dans les collections provinciales et ecclésiastiques. Il fallait dresser de tous ces documents un inventaire complet, que l'on mettrait à la disposition de tous ceux qui, dans un intérêt historique plus ou moins restreint, croiraient avoir besoin de consulter la collection. Heureusement pour Moreau, l'utilité de l'inventaire des actes imprimés avait été déjà pressentie. Secousse, Sainte-Palaye et Bréquigny s'étaient occupés de le rédiger; et l'on en mit aussitôt sous presse les premiers volumes, attendus avec une extrême impatience par les savants collaborateurs de Moreau. A peine avait-on appris la formation d'un dépôt central des chartes, que les Bénédictins de la congrégation de Saint-Maur offrirent au ministre de parcourir eux-mêmes les archives de toutes les maisons religieuses de France, et d'y prendre copie de toutes les pièces inédites ou mal publiées qui pourraient offrir un intérêt historique ou paléographique. On profita de leur bonne volonté. Qui mieux, en effet, que les auteurs de toutes ces excellentes histoires de provinces, de l'Art de vérifier les dates, du recueil des Historiens des Gaules et de la grande Histoire littéraire de France, pouvait assurer le succès de pareilles investigations? D'ailleurs, si le Gouvernement n'accordait au dépôt des chartes qu'une faible somme d'argent, les Bénédictins ne réclamaient que les frais de copie les plus modestes. « Ce << qui, dit Moreau, en employant des savants isolés ou répandus dans « le monde, nous eût coûté mille écus par an, ne nous coûtait pas cinq « cents livres avec la congrégation de Saint-Maur. » Pendant que ces admirables religieux butinaient en France, La Porte du Theil, alors à Rome, était chargé d'y recueillir toutes les lettres inédites des papes qui, depuis l'origine de la monarchie, avaient trait aux affaires de

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