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admettre l'idée d'espèces perdues, parce qu'elle répugne, dit-il, à la providence divine1.

Mais, dans un autre mémoire, publié en 17882, Camper, passant en revue les os fossiles de plusieurs grands quadrupèdes, d'éléphants, de cerfs, de buffles gigantesques, etc., reconnaît enfin que plusieurs espèces de ces animaux sont aujourd'hui perdues 3.

Je n'avais pas pas d'abord osé croire, dit-il, qu'il pût y avoir des espèces perdues, cela me paraissant répugner à la providence divine. Mais aujourd'hui, au milieu de tant de témoignages de races éteintes, que j'ai réunis dans ma collection, des méditations plus sérieuses m'ont persuadé qu'il ne répugnait point à la sagesse divine de prescrire des termes marqués aux espèces vivantes, comme à toutes les autres choses, à mesure que ces choses et ces espèces ont pleinement satisfait à ses vues 4

Nous touchons au moment où une lumière toute nouvelle va se répandre sur ces grands sujets.

Dans son beau mémoire sur les éléphants vivants et fossiles 5, lù à l'Institut en l'an IV (1796), M. Cuvier distingue d'abord, d'une manière définitive, l'espèce fossile des espèces vivantes; il prouve ensuite, et toujours d'une manière définitive, que l'espèce fossile est une espèce perdue; et puis il écrit cette phrase si remarquable: «Qu'on se de<«< mande pourquoi on trouve tant de dépouilles d'animaux inconnus, << tandis qu'on n'en trouve presque aucune dont on puisse dire qu'elle «<appartient aux espèces que nous connaissons, et l'on verra combien «il est probable qu'elles ont appartenu à des êtres d'un monde anté

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In dentibus molaribus fossilibus elephantorum semper notabilis obser«vatur diversitas; quid ergo? Num perditam atque extinctam statuere ideo liceret speciem, quia similem non novimus? Id sane credibile non videtur, quia providentiæ divinæ repugnat. » Ibid., p. 202. Complementa varia, etc., ad clar. ac celeb. Pallas. Nov. act. Acad. sci. imp. Petrop., 1788, p. 250.« Adserere..... « audeo mammouteum animal extinctum esse..... etiam elephantos et hippopotamos olim giganteos fuisse, quemadmodum bubalos alcesque, ursosque, giganteos re« vera extitisse..... evidentissime, hoc momento, demonstrare queo. » Ibid., p. 251. ...... Diversa et ad cervos magis accedens species mihi videtur et extincta. » Ibid., 259.—a De cranio rhinocerotis disserens, credere nondum ausus sum, animalium diversorum extinctionem, seu annihilationem, tanquam divinæ providentia repugnantem. Hodio vero quam plurima extinctorum specimina, in museo meo reperiunda, et meditationes magis seria persuaserunt mihi, sapientiæ divinæ non repugnare legem qua res illas, vel animalia illa desinere jubeat, simul ac scopo primario, nobis incognito, satisfecerunt penitus. Ibid., p. 251. Mémoire sur les espèces d'éléphants vivantes et fossiles, lu le 1a pluviôse an iv; Mém. de l'Inst. nat. des sc. et arts, an vII, p. 1.

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«rieur au nôtre, à des êtres détruits par quelques révolutions de «ce globe; êtres dont ceux qui existent aujourd'hui ont rempli la place, «pour se voir peut-être un jour également détruits et remplacés par d'autres. »

3 fait. Des ossements fossiles découverts par M. Cuvier dans les carrières des environs de Paris. Lorsque M. Cuvier écrivait la phrase que je viens de citer, il ne connaissait pas encore les ossements fossiles des environs de Paris; «Il ne se doutait pas, comme il le dit lui-même, << qu'il marchait sur un sol rempli de dépouilles plus extraordinaires « que toutes celles qu'il avait vues jusque-là 1. »

Et cependant il concevait déjà clairement que les ossements fossiles, appelés d'abord ossements fossiles du Nord, et depuis retrouvés partout, appartenaient à des êtres d'un monde antérieur au nôtre, à des êtres détruits par quelque révolution du globe.

Lorsqu'il connut les ossements fossiles des environs de Paris, il vit qu'une population, plus ancienne encore, avait précédé la population des ossements du Nord, vieille par rapport à nous, jeune par rapport à la population des ossements des environs de Paris2.

Ainsi donc, et sans compter cette population, la plus ancienne de toutes, de poissons, de crustacés, d'animaux marins, « qui, comme le dit «Buffon, semblent nous indiquer que leur existence a précédé, même « de fort loin, celle des animaux terrestres3; » sans compter même cette population de reptiles gigantesques qui est venue immédiatement après celle des premiers animaux marins, il y a eu deux populations de quadrupèdes, de mammifères terrestres, celle des ossements fossiles du Nord et celle des ossements fossiles des environs de Paris, ou, en d'autres termes, et comme nous disons aujourd'hui, celle des éléphants, des rhinocéros fossiles, des mastodontes, etc., qui répondent aux ossements fossiles du Nord, et celle des palæothériums, des anoplothériums, etc., qui répondent aux ossements fossiles des environs de Paris.

« Ce qui est certain, dit M. Cuvier, c'est que nous sommes mainte<«<nant au moins au milieu d'une quatrième succession d'animaux ter«restres, et qu'après l'âge des reptiles, après celui des palæothériums, après celui des mammouths, des mastodontes et des mégathériums, « est venu l'âge où l'espèce humaine, aidée de quelques animaux do<< mestiques, domine et féconde paisiblement la terre, et que ce n'est << que dans les terrains formés depuis cette époque, dans les alluvions, Mémoire sur les espèces d'éléphants vivantes et fossiles, p. 21. Voyez, pour plus de détails sur tout ceci, mon Histoire des travaux de G. Cuvier (seconde édition), 1845. Voyez ci-devant, p. 425. — Éléphants fossiles.

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« dans les tourbières, dans les concrétions récentes, que l'on trouve à «l'état fossile des os qui appartiennent tous à des animaux connus et « aujourd'hui vivants1. »

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M. Cuvier pose donc nettement l'idée des populations, des créations successives; mais, à peine l'a-t-il posée, que M. de Blainville vient la combattre. A l'idée des créations successives, M. de Blainville oppose l'idée d'une création unique et simultanée. Aurait-il raison? et cette idée, cette grande idée, des populations, des êtres qui se succèdent, des créations multiples et distinctes, soupçonnée par Leibnitz, conçue par Buffon, continuée par Camper, si lumineusement, si admirablement développée par M. Cuvier, doit-elle être abandonnée? C'est là ce que j'examinerai dans un troisième article.

FLOURENS.

ESSAI SUR L'HISTOIRE DES ARABES, avant l'islamisme, pendant l'époque de Mahomet, et jusqu'à la réduction de toutes les tribus sous la loi musulmane, par A.-P. Caussin de Perceval; Paris, 1847 et 1849.

TROISIÈME ARTICLE 2.

Une grande partie du premier volume de cet important ouvrage est consacrée à retracer les faits qui concernent la ville de la Mecque, l'histoire des différentes tribus qui ont occupé cette ville, des détails nombreux sur la tribu de Coraïsch, sur les ancêtres de Mahomet, et, enfin, le récit des événements qui remplirent les premières années de la vie du législateur des musulmans.

Les Arabes, comme on sait, font remonter leur origine jusqu'à Ismaël, fils d'Abraham; et, en cela, leurs prétentions sont parfaitement d'accord avec le récit de Moïse; mais elles en diffèrent sur un point essentiel. Mus par un sentiment exagéré de patriotisme, les Arabes ont attribué à leur père Ismaël des faits qui, suivant la narration de la Bible, ont eu rapport à Isaac. Suivant eux, ce fut Ismaël qu'Abraham, d'après l'ordre de Dieu, se disposait à immoler. Toute l'histoire de l'établissement d'Ismaël sur le territoire où s'éleva plus tard la ville de la

'Discours sur les révolutions de la surface du globe (édition de 1825). — Voir pour le deuxième article le cahier de mars.

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Mecque, des visites d'Abraham à son fils, n'est appuyée que sur des traditions mensongères, qui n'ont aucun fondement historique. Partout où les Arabes s'écartent du simple récit de Moïse, ils se trompent ouvertement. Je n'en veux citer qu'un seul exemple. Nous lisons dans la Genèse qu'Agar, expulsée par Abraham, erra, avec son fils, dans le désert de Bersabée; que, l'eau qui était dans son outre se trouvant épuisée, elle allait périr de soif, aussi bien qu'Ismaël, lorsqu'un ange lui fit apercevoir une source, qui avait échappé à ses regards, et où la mère et le fils purent se désaltérer. Ismaël habita dans le désert de Pharan, et Agar lui donna pour épouse une égyptienne. Ce récit, comme l'on voit, présente tous les caractères de la vérité la plus parfaite. Abraham, à l'époque dont il est question, habitait sur le terrain où fut depuis fondée la ville d'Hébron, et, par conséquent, au midi de la Palestine. Agar, obligée de quitter la maison de son maître, et ne pouvant s'écarter à une grande distance, s'enfonça dans le désert de Bersabée, qui, en effet, s'étendait au sud de la Palestine. On sent que, dans une pareille circonstance, elle n'était nullement disposée à entreprendre un voyage immense, dans le désert, à contourner le golfe oriental de la mer Rouge, pour aller gagner les plaines du Hedjaz. Par conséquent, la source que l'ange découvrit aux yeux d'Agar n'avait rien de commun avec celle qui est renfermée dans l'enceinte du temple de la Mecque, et qui alimente le fameux puits de Zemzem. Suivant le récit de Moïse, Ismaël se fixa dans le désert de Pharan. Or ce désert, dont le nom subsiste encore de nos jours, s'étendait sur le rivage du golfe occidental de la mer Rouge, dans la péninsule du mont Sinai. Tout s'enchaîne parfaitement dans cette narration, et l'on conçoit comment Agar, se trouvant à une faible distance de l'Égypte, son pays natal, y alla chercher une épouse pour son fils. Il n'est donc nullement question, dans ces passages, du territoire de la Mecque. Et, à cette occasion, qu'il me soit permis de relever une petite faute qui a échappé à M. Caussin 3. Suivant lui, le jeune Ismaël, se voyant éloigné de sa mère, se mit à pleurer, et frappa la terre du pied, et, aussitôt, une source jaillit du sol. Mais dans le Tarikh-el-khamisi, dont M. Caussin invoque le témoignage, ce fut l'archange Gabriel, qui, frappant la terre de son talon, fit naître la source de Zemzem. Et telle est, en effet, la tradition la plus reçue chez les Arabes.

Le séjour d'Ismaël dans le canton de Pharan explique, d'une manière tout à fait naturelle, comment, à l'époque de la mort d'Abraham,

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ce même Ismaël se réunit à Isaac pour rendre à leur père commun les devoirs de la sépulture

M. Caussin rapporte ensuite les traditions arabes, suivant lesquelles ce fut Ismaël, qui, aidé de son père Abraham, fonda le temple de la Caba. On comprend que ces assertions sont tout à fait incertaines, ou, pour mieux dire, complétement fausses.

Au rapport d'Hérodote, cité par M. Caussin', les Arabes adoraient Bacchus et Vénus-Uranie. Ils désignaient le dieu par le nom de Ouratal, et la déesse, par celui d'Alilat, ou Alitta. L'auteur suppose que le mot de Ouratal nous représente les mots Allahou taalá (le Dieu trèshaut). J'oserai douter de cette étymologie. Quant au nom d'Alilat ou Alitta, c'est, si je ne me trompe, le mot Al-ilahah, ä (la déesse).

Il est très-naturel de croire, avec l'auteur, que, dans un passage de Diodore de Sicile, où il est fait mention d'un temple, qui était en trèsgrande vénération chez tous les Arabes, il faut entendre l'édifice de la Caba.

Du reste, dès le temps de Jacob, les descendants d'Ismaël tenaient, parmi les Arabes, un rang distingué. Les Madianites, qui allaient commercer en Égypte, et auxquels fut vendu Joseph, sont désignés par le nom d'Ismaélites. Il en est de même des Arabes qui accompagnaient l'armée des Madianites, et qui furent vaincus par Gédéon. Quant aux enfants de Kedar, qui, suivant la prédiction de Jérémie, devaient être domptés par Nabuchodonosor, et à ceux que vainquit Holopherne, ils occupaient probablement le grand désert, qui s'étend, à l'orient, de la Palestine et de la Syrie jusqu'aux rives de l'Euphrate.

M. Caussin entre ensuite dans de grands détails sur Adnan et son fils Maad, qui sont regardés par tous les Arabes comme les ancêtres avérés de Mahomet. Il fait connaître, surtout, la lignée de Modhar, la plus célèbre de toutes, et qui a principalement peuplé le Hedjaz et le Nadj. Elle se partage en deux grandes ramifications, désignées par les noms de Kaïs et de Khindif.

Or la postérité de Kinana se fixa particulièrement dans le Hedjaz. Nadhr, fils de Kinana, ou, suivant d'autres, son petit-fils Fihr, reçut le surnom de Koraïsch, et fut le père de cette tribu si célèbre.

M. Caussin parle de la tribu de Djorham ou Djorhom, qui, établie sur le territoire où s'éleva, depuis, la Mecque, jouissait d'une grande considération, comme intendante de la Caba. Il décrit la guerre des Djorhomites avec les Azdites, qui, contraints d'abandonner les envi

Histor. lib. I, cap. 131, lib. III, cap. 8.

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