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avant de gagner le chemin qui devait le conduire au but de son voyage. Mais, si cette ville avait été située près de l'Euphrate, deux hommes marchant à pied n'auraient pu, en un jour, gagner la rive du Tigre.

D'après un passage de Diodore, cité par M. Hofer, Darius, marchant contre Alexandre, partit de Babylone, à la tête de ses troupes, ⚫ ayant le Tigre à sa droite et l'Euphrate à sa gauche. Il désirait combattre son ennemi dans les plaines qui avoisinent Ninive, et qui offraient un immense avantage pour le déploiement de ses nombreuses forces. M. Hofer conclut de ce passage que la ville de Ninive était située dans la Mésopotamie, et que, si elle se trouvait placée sur le Tigre, elle devait occuper un terrain sur la rive droite ou occidentale du fleuve; mais le texte ne favorise pas cette conclusion. Les plaines dont il s'agit, et qui environnaient Ninive, étaient sur la rive gauche du fleuve, puisque Darius, sans qu'aucune circonstance eût modifié ses projets, se trouva bientôt campé près de Gaugamèle. Dans un passage d'Arrien, qui se rapporte à la même expédition', on lit qu'Alexandre, après avoir passé le Tigre, s'avança dans l'Assyrie, ayant le fleuve à sa droite. Il est visible qu'ici le mot Assyrie répond à l'Aturie de Strabon, et désigne la contrée qui bordait le Tigre du côté de l'orient.

Dans un passage de Pline2, l'auteur a cru trouver une preuve que la ville de Ninive était placée sur le Tigre, non pas au delà, mais en deçà du fleuve, c'est-à-dire sur la rive droite occidentale; mais Pline, si je ne me trompe, ne dit pas ce qu'on lui fait dire; le passage est conçu en ces termes : «fuit Ninus imposita Tigri ad solis occasum spectans. » Rien, dans cet endroit, n'indique sur quelle rive du fleuve était placée la capitale des Assyriens; on voit seulement que la principale partie de cette cité regardait l'occident, ce qui ne s'oppose pas à ce qu'elle ait été située sur le bord oriental du Tigre.

D'ailleurs, je ne conçois pas bien, en examinant le mémoire de M. Hofer, quelle est réellement son opinion, relativement à la situation de Ninive; d'abord il cite un passage de Diodore, qui place cette ville sur la rive de l'Euphrate; puis, d'après les indications contenues dans la prophétie de Nahum, il reconnaît qu'elle a pu être située dans l'espace intermédiaire qui s'étend depuis l'Euphrate jusqu'au Tigre. Enfin il suppose qu'elle pouvait se trouver sur la rive occidentale de ce dernier fleuve. Pour moi, j'avoue que je ne vois aucune objection solide qui empêche d'admettre que cette capitale était située sur la rive orientale du Tigre, vis-à-vis Mosul. Je ne répéterai point ce que j'ai dit sur

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Lib. III, cap. vII, p. 195. — * Historia naturalis, lib. XI, cap. xv.

ce sujet dans mon premier mémoire; j'ai expliqué comment une ville aussi considérable avait pu être anéantie, sans laisser ces vestiges immenses que l'on s'attendrait à rencontrer.

Quant à ce passage de Lucien où on lit que Ninive avait disparu, qu'il n'en restait plus aucune trace, et qu'on ne pouvait même désigner l'endroit où elle avait existé, ces expressions, sous la plume d'un écrivain satirique, n'ont pas l'importance que leur donnerait le témoignage d'un historien. Elles indiquent seulement qu'une capitale aussi vaste, aussi importante, avait dû éprouver d'une manière épouvantable les ravages du temps, la fureur dévastatrice des ennemis; puisqu'elle n'avait laissé que de faibles traces, qui laissaient à peine discerner le terrain que recouvrait jadis la capitale des Assyriens. Mais doit-on tirer de là, à l'exemple de l'auteur, cette conclusion rigoureuse : « Les anciens << nous laissent dans le doute et dans l'incertitude, relativement à la situa«tion de l'antique Ninive. Pourquoi? C'est que déjà, à une époque fort « reculée, il ne restait plus de preuves, c'est-à dire de vestiges de la ca«pitale des rois assyriens. » J'ose ne pas admettre cette assertion. Les témoignages historiques sont, en général, d'accord pour placer Ninive sur la rive orientale du Tigre. Le seul passage de Diodore qui contredit cette assertion n'a point une autorité réelle, et semble indiquer seulement une inadvertance de l'abréviateur. Enfin, les détails que nous donne M. Botta sur la mauvaise qualité des briques crues dont se composaient les édifices de cette partie de l'Assyrie expliquent assez bien la disparition presque complète des vestiges de ces édifices.

Quant à ce qui concerne la ville appelée Ninus, en syriaque Ninoueh,

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, et en arabe Nouniah, que l'on regarde comme ayant occupé une partie de l'emplacement sur lequel s'était jadis élevée la capitale de l'empire assyrien, M. Hofer s'exprime en ces termes : « Il y avait donc, « à une époque assez récente, une ville, peut-être même plusieurs villes «ou villages qui portaient le nom de l'ancienne capitale des Assy«riens..... Ces villes du même nom étaient presque toujours situées « dans des endroits différents, car le terrain d'une cité détruite était « sacré ou maudit. » Mais je ne saurais admettre cette conclusion. Il me paraît plus naturel de supposer qu'une nouvelle ville, bien différente de la splendeur de l'ancienne capitale, ne tarda pas à s'élever sur le terrain qu'avait occupé cette immense cité. Peut-être des Assyriens, échappés à la dévastation de leur patrie, étaient-ils venus relever, sur les débris informes de cette métropole, un simulacre de ville auquel ils avaient donné un nom qui leur rappelait l'existence de l'antique cité dont ils déploraient la chute effroyable. On conçoit qu'une si petite

place, occupant une si faible partie du sol de Ninive, n'avait pu exciter chez les vainqueurs un sentiment de crainte ou d'ombrage, et qu'ils ne pouvaient s'opposer à cet acte patriotique d'une population vaincue et malheureuse. On sait avec quel zèle patriotique les anciens aimaient à reproduire tout ce qui pouvait rappeler à leur souvenir et à celui de la postérité le nom et le souvenir de la ville où ils avaient pris naissance. Condamnés à l'exil, il fondaient sur une terre étrangère une cité à laquelle ils donnaient le nom de leur patrie. C'est ainsi que les Troyens compagnons de la captivité d'Hélénus s'étaient empressés d'élever, dans cette contrée ennemie, dans l'Épire, une petite ville qu'ils avaient décorée du nom de Troie, et qui offrait une faible image de leur antique demeure. parvam Trojam, simulataque magnis

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Pergama.

C'est ainsi que Teucer, exilé par son père, avait fondé dans l'ile de Chypre une nouvelle Salamine. Mais, en supposant que l'existence de cette nouvelle Ninive ne remontât pas à une époque si reculée, on peut toujours admettre que les fondateurs, guidés par une tradition qui devait s'être conservée sur les lieux sans presque aucune altération, avaient dû choisir, pour établir leur nouvelle habitation, le terrain même sur lequel avait existé jadis l'antique capitale dont ils se proposaient de reproduire le nom, sinon la gloire. Or la catastrophe terrible et totale d'une ville telle que Ninive n'avait pu manquer de laisser dans la mémoire des peuples du voisinage des traces ineffaçables qui se transmettaient de génération en génération; et, sans doute, après même un espace de plusieurs siècles, les habitants de cette portion de l'Assyrie pouvaient indiquer d'une manière certaine et infaillible quel terrain couvrait les débris de la capitale de la contrée. C'est ainsi que, depuis la ruine entière de Babylone, une petite ville appelée encore Babel, s'éleva sur les ruines de la métropole des Chaldéens, et subsista durant tout le moyen âge.

Avant que je termine ce qui concerne la ville de Ninive, qu'il me soit permis de dire quelques mots sur un fait qui appartient à l'histoire littéraire de l'Orient. Si l'on en croit l'historien arménien, Moïse de Chorène 1, Arsace, roi des Parthes, avait tué le roi Antiochus, près de Ninive. Le fait pourrait être véritable sans qu'il fut nécessaire d'en conclure que le prince dont il est question régnât à Ninive. A l'époque où les Parthes se révoltèrent contre les Séleucides, il n'est guère à croire que les Assyriens eussent un roi de leur nation, et que Ninive fût, en si 1 Historia Armeniaca,

P. 21.

peu de temps, redevenue la capitale d'un nouvel empire. Si l'on en croit l'écrivain arménien, Valarsace, roi d'Arménie et frère d'Arsace, éprouvant un vif désir de connaître à fond l'histoire du pays qu'il gouvernait, députa vers Arsace un Syrien nommé Mar-Abbas-Katina, pour le prier d'ouvrir à cet ambassadeur les archives royales. Arsace, empressé de faire plaisir à son frère, mit à la disposition de Mar-Abbas les archives royales de Ninive; il s'y trouvait un ouvrage historique écrit en caractères grecs, et qui, suivant l'inscription, avait été traduit du chaldéen en grec par ordre d'Alexandre le Grand.

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Cette narration présente, à vrai dire, tous les caractères de la fable: d'abord, il est fort douteux que, du temps d'Arsace, la ville de Ninive, en supposant qu'elle existât, ait renfermé des archives royales; en second lieu, Alexandre, durant sa courte carrière, n'eut ni le temps, ni probablement la volonté de faire traduire du chaldéen en grec un monument historique; 3° le nom Mar-Abbas-Katina n'appartient probablement pas à l'époque d'Arsace; les mots dont il se compose ne figurent chez les Syriens que depuis l'époque du christianisme. Mar, 0, comme on sait, signifie seigneur; Abbas est le nom Iba, assez commun chez les Syriens chrétiens; le mot katina, comme l'avait soupçonné Lacroze est le terme syriaque, qui signifie subtil. On peut donc croire que toute cette histoire repose sur une imposture; que le prétendu livre, traduit en grec par ordre d'Alexandre, était peut-être un exemplaire de l'histoire de Bérose. Qu'un chrétien de Syrie, ayant eu à sa disposition ce monument littéraire, et en ayant tiré des renseignements historiques, aura voulu relever la gloire de cet ouvrage, en lui attribuant l'honneur d'avoir fixé l'attention d'un prince aussi éclairé qu'Alexandre; que cette fable, qui flattait l'orgueil des Orientaux aura été accueillie avec transport par Moïse de Chorène, et, à son exemple, par tous les historiens de l'Arménie. QUATREMÈRE.

(La suite à un prochain cahier.)

HISTOIRE DE LA CONQUÊTE DE NAPLES, par Charles d'Anjou, frère de saint Louis, par le comte Alexis de Saint-Priest, Paris, Amyot, sans date (1848), 4 vol. in-8°.

DEUXIÈME ARTICLE'.

Trois points capitaux dominent toute cette histoire; d'abord la con

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quête de Charles d'Anjou et les relations du pape avec ce prince, auquel le saint-père, en qualité de suzerain, avait donné l'investiture; ensuite, la lutte du feudataire de l'Église avec l'Empire, terminée par la catastrophe tragique du fils de Conrad; enfin, le gouvernement de Charles d'Anjou, dont l'extermination qu'on a nommée les Vêpres siciliennes fut la conséquence et le châtiment.

Dans un premier article, nous avons conduit l'histoire de la conquête de Naples jusqu'au moment où Conradin entre en scène; maintenant les deux compétiteurs sont en présence, et la victoire va décider entre eux; l'un ceindra la couronne, l'autre perdra la tête sur l'échafaud; ici l'histoire a tout l'intérêt du drame.

L'Italie, qui avait si longtemps imposé à l'univers son orgueilleuse et suprême puissance, subissait depuis longtemps déjà la peine du talion; les nations qu'elle avait tenues asservies sous un même joug se disputaient maintenant à qui lui donnerait des maîtres, et il semblait qu'il suffit d'être Italien pour se voir exclu de toute souveraineté en Italie. Après la domination des barbares, les nations modernes continuaient l'invasion; Allemands, Français, Espagnols, c'était à qui mettrait la main sur quelque portion démembrée de ce territoire, où fut jadis le peuple roi et la ville éternelle. L'héritier des prétentions de la maison des Hohenstauffen, le fils de Conrad, jeune enfant élevé pour le trône des Deux-Siciles, reçut une éducation tout allemande, et on lui interdit obstinément jusqu'à la connaissance du langage des peuples qu'il devait gouverner 1, tant on redoutait des idées et des sympathies italiennes dans le représentant de la race germanique en Italie. Mainfroy, le frère naturel de Conrad, s'était vu abandonné de tous ceux dont il aurait pu espérer l'appui, moins encore peut-être à cause de

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Ce fait est d'autant plus remarquable, que l'éducation de cet enfant avait été soignée. Dans une vie terminée lorsqu'il commençait à peine l'adolescence, il n'a pu montrer, des qualités d'un roi, qu'une âme élevée et un cœur héroïque; mais son esprit cultivé avait déjà produit quelques fruits; on lui attribue, non sans vraisemblance, des chansons ou ballades conservées dans les manuscrits de vieilles poésies allemandes, et aussi imprimées dans le recueil de Rudger Maness, sénateur de Zurich: Sammlung von Minnesingern, etc., 1758-1759. Un manuscrit de ces poésies, précieux par son ancienneté, non moins que par le sujet, est l'ouvrage d'un contemporain, Henri de Klingenberg, évêque de Constance; il appartient à notre Bibliothèque nationale sous le n° 7266. On trouve des détails intéressants à ce sujet dans un mémoire de Zurlauben, inséré par extrait dans l'Histoire de l'Académie des inscriptions, tome XL, page 154. M. de Saint-Priest, qui a cité le texte et la traduction de l'un des deux ou trois petits poemes attribués à Conradin, montre les raisons qu'il y a de croire à leur authenticité, t. III, appendice K.

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