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pagne. Partout où Philippe II voulait rétablir la vieille croyance, elle se donna la mission de maintenir la nouvelle, et cette mission elle l'accomplit à l'aide d'une puissance moins forte que la sienne, mais avec plus d'habileté et de bonheur que lui, puisqu'elle fit triompher le protestantisme en Angleterre, en Ecosse, en Hollande, et qu'elle l'empêcha de succomber en France. Comme la politique de Philippe II, la politique d'Élisabeth fut entachée de fourberie et souillée de cruauté; seulement, de Philippe II data la décadence de l'Espagne, et sous Élisabeth commença la grandeur de l'Angleterre.

Telle fut la vraie issue de la lutte longue et inégale des deux religions dans la Grande-Bretagne. Marie Stuart succomba avec l'ancienne; Élisabeth s'affermit avec la nouvelle. En soutenant une cause pour ainsi dire perdue, Marie Stuart ne fut ni heureuse pendant sa vie, ni vengée après sa mort. La position où elle se trouva placée dès son retour de France en Écosse, et la croyance qu'elle ambitionna d'y rétablir, contribuèrent à ses infortunes au moins autant que ses passions et ses fautes.

L'Écosse avait été de tous les temps difficile à défendre et à gouverner. Cinq rois de la maison de Stuart avaient péri pour avoir tenté d'en assurer l'indépendance vis-à-vis de l'Angleterre et d'y constituer l'autorité publique contre la noblesse féodale. Le dernier qui avait été accablé sous le poids de cette tâche était Jacques V, le père infortuné de la plus infortunée Marie Stuart. En mourant à l'âge de trente ans, et en laissant pour régner après lui une fille âgée de six jours, il annonça avec une mélancolique prévoyance le sort de son pays et de sa race. Une guerre s'engagea autour du berceau de sa triste héritière pour savoir si elle entrerait dans la maison des Valois ou dans celle des Tudor; si elle épouserait le petit-fils de François Ier, ou serait mariée au fils de Henri VIII; si l'Écosse resterait indépendante sous le protectorat de la France, ou si elle se confondrait avec l'Angleterre par une incorporation depuis longtemps recherchée. Le parti de l'indépendance l'emporta sur le parti de l'union, et Marie, encore enfant, fut conduite en France. C'est là que s'écoulèrent ses plus douces et ses plus charmantes années. Pendant ce temps grossissait en Écosse la tempête qui devait troubler tout le reste de sa vie. Gouvernée tour à tour par un régent du parti français, le duc de Châtellerault, ou par une régente d'origine française, Marguerite de Lorraine, sœur des Guise, l'Écosse, en lutte avec l'Angleterre, alliée avec la France, s'enfonça de plus en plus dans ses divisions. Aux causes toujours subsistantes et en ce moment ranimées des anciennes querelles s'en ajoutèrent d'autres la réformation religieuse vint fortifier l'indépendance féo

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dale et mêler l'ardeur des nouvelles croyances à l'énergie des vieux intérêts. Elle donna la démocratie presbytérienne pour alliée à l'aristocratie baroniale. Ce grand événement s'était accompli durant l'absence de Marie Stuart, qui, en retournant, à l'automne de 1561, sur le trône de ses ancêtres, se trouva en butte à des dangers bien plus redoutables que ceux auxquels n'avaient pu résister tant d'autres rois avant elle.

Pour commander en reine à une noblesse toute-puissante, sans provoquer ses soulèvements; pour pratiquer le culte catholique, sans exciter la défiance agressive des protestants; pour conserver la plénitude de son autorité souveraine vis-à-vis de l'Angleterre, sans s'exposer aux menées et aux attaques de l'inquiète Élisabeth, qu'apportait Marie Stuart en Écosse? Elle ne connaissait pas les usages du pays qu'elle était appelée à régir, elle en détestait la barbarie, elle en condamnait la religion. Sortant de la cour brillante et raffinée où elle s'était formée aux arts de I'Italie, à l'esprit et à la galanterie de la France, elle revenait, pleine de regrets et de dégoûts, au milieu des montagnes sauvages et des habitants incultes de l'Écosse. Plus aimable qu'habile, très-ardente et nullement circonspecte, elle y revenait avec une grâce déplacée, une beauté dangereuse, une intelligence vive mais mobile, une âme généreuse mais emportée, le goût des arts, l'amour des aventures, toutes les passions d'une femme jointes à l'extrême liberté d'une veuve. Bien qu'elle eût un grand courage. elle ne s'en servit que pour précipiter ses malheurs, et elle employa son esprit à mieux faire les fautes vers lesquelles l'entraînaient sa situation et son caractère. Elle n'en évita aucune. Elle eut l'imprudence de se présenter comme l'héritière légitime de la couronne d'Angleterre, et de devenir ainsi la rivale d'Élisabeth; elle servit d'appui et d'espérance au catholicisme vaincu dans l'île, et encourut par là l'implacable inimitié du parti réformé, qui voulait sauver à tout prix la révolution religieuse qu'il avait faite.

Ce n'est pas tout. Les périls auxquels l'exposaient l'exercice de son pouvoir, les prétentions de sa naissance, les ambitions de sa foi, elle les aggrava par les torts de sa conduite privée. Le goût soudain qu'elle ressentit pour Darnley; les familiarités excessives qu'elle eut avec Rizzio et la confiance inconsidérée qu'elle lui accorda; la passion effrénée qui l'entraîna vers Bothwell, lui furent également funestes. En élevant jusqu'à elle comme époux et comme roi un jeune gentilhomme dépourvu de tout, hors des agréments de la personne, et dont elle se dégoûta si vite; en faisant son secrétaire et son favori d'un étranger et d'un catholique; en consentant à devenir la femme du meurtrier de son mari, elle anéantit elle-même son autorité. Après avoir perdu la couronne par ses

passions, elle perdit la liberté par son imprudence et la vie par ses complots. Elle chercha un asile, sans être assurée de l'y recevoir, dans le royaume même de son ennemie, et, après s'être mise à la merci d'Élisabeth, elle conspira contre elle sans aucune chance de la renverser. Elle ne devait pas se confier avec cette légèreté à une aussi terrible rivale, et, une fois entre ses mains, elle devait calmer ses défiances loin de la menacer par d'incessantes conjurations. Elle n'en fit rien. Du fond de la prison où elle avait été iniquement jetée et où elle était iniquement retenue, elle crut pouvoir, de concert avec le parti catholique, préparer sa délivrance, tandis qu'elle ne travaillait qu'à sa perte. Ce parti était trop faible dans l'île, trop désuni sur le continent, pour s'insurger ou pour intervenir utilement en sa faveur. Les trames qu'il ourdit, les soulèvements qu'il tenta en Angleterre depuis 1569 jusqu'en 1586, achevèrent de le ruïner, en causant la mort ou la fuite de ses chefs les plus entreprenants. La croisade maritime discutée à Rome, à Madrid, à Bruxelles, dès 1570 et convenue en 1586, pour abattre Élisabeth et relever Marie Stuart, loin de placer sur le trône de la Grande-Bretagne la reine des catholiques, la fit monter sur l'échafaud.

L'échafaud, tel fut donc le terme de cette vie ouverte par l'expatriation, semée de traverses, remplie de fautes, souillée même de vices, mais ornée de tant de charmes, touchante par tant d'infortunes, épurée par d'aussi longues expiations, finie avec tant de grandeur. Si Marie Stuart ne fut pas habile comme reine, se montra plus que légère comme femme, ne fit point paraître les sentiments d'une mère, elle eut, comme prisonnière, un inaltérable courage et elle mourut en héroïque martyre. Victime de la vieille féodalité écossaise et de la nouvelle révolution religieuse, elle emporta avec elle les espérances du pouvoir absolu et du catholicisme. Toutefois, ses descendants, parvenus à la couronne d'Angleterre, seize années après sa mort, la suivirent dans la voie funeste où plusieurs de ses ancêtres l'avaient précédée. Son petit-fils, Charles I, en voulant établir la monarchie absolue, fut décapité comme elle, et son arrière petit-fils, Jacques II, en essayant comme elle de restaurer le catholicisme, fut jeté du trône dans l'exil. Après lui s'éteignit sur la terre étrangère cette race des Stuarts, que son esprit inconsidéré, son caractère aventureux et la fatalité de son rôle ont rendue l'une des plus tragiques de l'histoire.

Les documents nouveaux que renferme la précieuse collection du prince Labanoff et ceux que j'ai insérés dans ces nombreux articles serviront, je l'espère, à faire plus complétement et mieux juger encore Marie Stuart.

MIGNET.

POETE BUCOLICI ET DIDACTICI. Theocritus, Bion, Moschus, recognovit et præfatione critica instruxit C. Fr. Ameis.—Nicander, Oppianus, Marcellus Sideta De piscibus, poeta De herbis, recognovit F. S. Lehrs. Præfatus est K. Lehrs. Phile iambi De proprietate animalium, ex codicibus emendarunt F. S. Lehrs et Fr. Dubner. Græce et latine cum scholiis et indice locupletissimo. Paris, Didot, 1846; grand in-8°, p. xxx et 86, XIV et 174, III et 48.

Scholia in Theocritum, auctiora edidit et annotatione critica instruxit Fr. Dubner. Scholia et paraphrases in Nicandrum et Oppianum, partim nunc edidit partim collatis mss. emendavit, annotatione critica instruxit et indices confecit U. Cats Bussemaker. Paris, Didot, 1849; grand in-8°, p. xiv et x, et 671.

PREMIER ARTICLE.

Le système du grand format et de l'impression serrée, adopté par M. Didot pour la collection des auteurs grecs, est très-avantageux lorsqu'il est appliqué aux écrivains qui nous ont laissé des ouvrages considérables. Rien de plus commode en effet que d'avoir un Xénophon, un Polybe, un Lucien en un seul volume, et un Plutarque en quatre au lieu de dix. Mais, quand il s'agit des auteurs dont il ne nous reste que des ouvrages d'une médiocre étendue, ce système ne laisse pas que de présenter quelques inconvénients. Les poëtes bucoliques, par exemple, n'occupant que quatre-vingt-six pages du volume que nous avons sous les yeux, on s'est trouvé dans l'obligation de leur adjoindre des poètes d'un autre genre, et on a choisi les didactiques, qui n'ont aucune espèce de rapport avec le Bounodiaσpòs de Théocrite. Nous ne nous rendons pas non plus bien compte du classement de ces écrivains l'ordre chronologique n'y entre certainement pour rien, car, sans parler des anciens poëtes didactiques Empédocle et Parménide, qui probablement ont été réservés pour un recueil des restes de l'ancienne philosophie, pour observer l'ordre chronologique il aurait fallu commencer par Aratus et Nicandre. Au lieu de cela, on a placé en tête les œuvres d'Oppien, composées du temps des Antonins et de Commode, ce qui semblerait indiquer qu'on a voulu établir un ordre par matières. Mais, dans ce cas encore, comment se fait-il qu'on ait séparé des Halieutiques et des Cynégétiques le poëme ou fragment de poëme De piscibus

et celui de Philé De animalibus? L'autre moitié du demi-volume, destinée à compléter cette collection de poëtes didactiques, viendra sans doute dissiper nos incertitudes à cet égard. Examinons, en attendant, la portion qui a été publiée.

Les poésies de Théocrite, depuis la Renaissance jusqu'à nos jours, ont eu une part assez large dans les études des savants philologues. Indépendamment de la beauté et de la perfection merveilleuse de ces poésies, il y avait à cette préférence plusieurs autres causes particulières.

En premier lieu, on ne possède aucun manuscrit correct de Théocrite : ils sont tous défigurés par de nombreuses corruptions qui arrêtent le lecteur presque à chaque pas. Il a donc fallu aux premiers éditeurs de grands efforts pour arriver à constituer un texte à peu près lisible. L'explication n'offrait pas des difficultés moindres: pour s'en convaincre, il suffit de parcourir les scholiastes, bien plus rapprochés de l'époque du poëte que les savants modernes, et de voir les efforts que les premiers ont faits sans obtenir la plupart du temps un résultat satisfaisant. On remarquait aussi de notables différences dans les idylles entre elles, sous le rapport du langage, du choix du sujet et de la manière dont il a été traité; circonstance qui n'a pas manqué de provoquer des recherches sur l'authenticité de plusieurs pièces; et on est allé jusqu'à attribuer l'idylle xxv à Panyasis, et la XXIX à Alcée.

Vint ensuite la question du dialecte. Comme Théocrite a écrit évidemment en dorien, on a introduit les formes doriques dans toutes ses poésies, sans être effrayé par les milliers de changements qu'un pareil système devait amener nécessairement. Cependant une critique plus circonspecte a fait voir que les pièces qui se rapprochent du genre épique offrent beaucoup moins de formes et de mots appartenant au dialecte dorien que celles du genre bucolique pur. Il s'agit donc, nonseulement, de déterminer le dorisme poétique de Théocrite (qui diffère, sur plusieurs points, de la prose dorienne), mais aussi d'indiquer les limites dans lesquelles le poëte a cru devoir se renfermer, du moins pour plusieurs pièces, en faisant un emploi modéré du dorisme. Tels sont, indépendamment du travail de critique et d'explication ordinaire et commun à tous les anciens auteurs tirés des manuscrits, tels sont, disons-nous, les principaux sujets de recherche particuliers aux poésies de Théocrite.

Le nouvel éditeur de ce poëte et des autres bucoliques, M. Ameis, que nous ne connaissons en France que par ce travail, est très-versé dans toutes les questions de ce genre. Riche d'une science toute spé

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