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Galien, d'Hérode Atticus, de Lucien, d'Aristide l'orateur, Théon paraît avoir terminé sa carrière pendant que Ptolémée, à Alexandrie, forma le plan et rassembla les matériaux de son grand ouvrage d'astronomie. Tout ce que nous savons de sa vie privée se réduit à fort peu de chose. On peut conjecturer seulement qu'il appartenait à une famille au-dessus du vulgaire, et que, par conséquent, il se sentait trop d'activité dans l'esprit pour que les jouissances que donne la fortune et les douceurs de la vie domestique pussent lui suffire; car il est certain qu'il avait un fils assez riche pour parvenir à un de ces sacerdoces dont les villes grecques n'investissaient guère que les citoyens les plus opulents et les plus considérés. Comme M. Henri Martin le rappelle (p. 12), le hasard a voulu que le portrait authentique du philosophe de Smyrne, prouvé par une inscription, soit parvenu jusqu'à nous. Sur le socle d'un buste qui appartenait jadis au surintendant des finances Fouquet, et qui se trouve aujourd'hui à Rome dans le musée du Capitole, on lit les mots : OEONA TɅATONIΚΟΝ ΦΙΛΟΣΟΦΟΝ Ο ΙΕΡΕΥΣ ΘΕΩΝ ΤΟΝ ΠΑΤΕΡΑ; Le prétre Théon (consacre aux dieux l'image de) Théon, philosophe platonicien, son père'. Il est permis d'espérer que le monument littéraire élevé par le nouvel éditeur à la mémoire du philosophe durera autant que ce buste qui, consacré par la piété filiale, a survécu aux vicissitudes de tant d'empires.

Théon fut auteur d'un ouvrage assez étendu, qui portait le titre : Tà κατὰ τὸ μαθηματικὸν χρήσιμα εἰς τὴν τοῦ Πλάτωνος ἀνάγνωσιν, Ce qui, dans les mathématiques, peut servir d'introduction à la lecture des écrits de Platon et en faciliter l'intelligence. Ces branches de mathématiques, suivant l'opinion du philosophe grec, sont au nombre de cinq: l'arithmétique, la géométrie, la science qui traite de la mesure des solides, l'astronomie, la musique; et M. Henri Martin prouve qu'en effet l'ouvrage de Théon était divisé, non pas en quatre sections comme on l'avait cru jusqu'à présent, mais en cinq, intitulées : Ta wepì apilμntixñs, tà wepi γεωμετρίας, τὰ περὶ στερεομετρίας, τὰ περὶ ἀστρολογίας 3, τὰ περὶ τῆς ἐν

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Voy. Visconti, Iconographie grecque, part. I, ch. iv, p. 178, pl. xix, n° 3 et 4.. C'est la leçon donnée par sept manuscrits de la Bibliothèque nationale. Un seul porte xarà μanuaτixv, leçon adoptée, à tort, par Ismael Bouillaud, et, d'après lui, par les hellénistes et les bibliographes. 3 On sait que, dans les auteurs classiques grecs, ἀστρολογία designe rarement l'astrologie judiciaire, τὴν ἀποτελεσ patinny c'est presque toujours l'astronomie. La même confusion règne dans les écri vains latins et a quelquefois trompé les traducteurs. Eudoxe, qui combattait l'astrologie judiciaire, est appelé par Cicéron in astrologia facile princeps (De divinatione, II, S 87), et l'on chercherait en vain le mot astronomus dans les auteurs du temps de la république et du haut empire. Le premier qui l'emploie est Firmicus Maternus, vivant au siècle de Constantin.

κόσμῳ μουσικῆς. Τrois de ces parties ou sections sont perdues aujourd'hui, savoir: la deuxième, ayant pour objet la géométrie, la troisième, où il était question de la mesure des corps solides; enfin la cinquième, qui traitait de l'harmonie du monde. La première section, sur l'arithmétique, conservée dans un grand nombre de manuscrits, fut publiée par Ismaël Bouillaud vers le milieu du xvII° siècle et reproduite en partie par Van Gelder, il y a une vingtaine d'années 2. Il restait le quatrième livre, sur l'astronomie; c'est celui que M. Henri Martin fait connaître aujourd'hui d'après un manuscrit du xvr siècle. Après avoir successivement appartenu à l'archevêque de Toulouse, Charles de Montchal, et au surintendant des finances Fouquet, ce volume se trouve aujourd'hui à la bibliothèque nationale de Paris où il porte le n° 1821. Il fut prêté en 1645 à Ismaël Bouillaud, qui en publia un petit nombre de passages; et une copie de ce même manuscrit, faite à ce qu'il paraît au siècle dernier, existe à Leyde. Un second exemplaire ancien du Traité astronomique de Théon est conservé à la bibliothèque Ambroisienne de Milan où, avant 1 644, Isaac Vossius put le consulter et en copier les fragments du poëte Alexandre d'Éphèse, dont nous parlerons plus loin. Autant qu'on en peut juger par ces extraits, le manuscrit de Milan, que M. Henri Martin n'a pu avoir à sa disposition, est aussi fautif que celui de Paris dont le savant éditeur donne une description fort détaillée et fort exacte. Il en résulte que ce dernier semble être une copie de celui de Milan, à moins que l'un et l'autre ne dérivent d'un même original tout aussi rempli de fautes que les deux transcriptions qui en ont été faites 3. Ainsi, dans le Traité dont il s'agit, une grande incorrection de texte se joignait à l'obscurité du sujet. Avant d'expliquer et d'apprécier les doctrines du philosophe de Smyrne il fallait, pour ainsi dire, en refaire chaque phrase; il fallait songer moins à publier ce qui était dans le manuscrit, qu'à suppléer ce qui aurait dû y être. De pareilles difficultés auraient pu effrayer des critiques. moins exercés, et probablement elles sont cause que ce Traité, dont on possédait une copie à Leyde, n'y a pas trouvé d'éditeur; mais elles n'ont point arrêté M. Henri Martin. Grâce à sa sagacité et à sa courageuse

Theonis Smyrnai Platonici eorum quæ in mathematicis ad Platonis lectionem utilia sunt expositio. Opus nunc primum editum... ab Ismaele Bullialdo Juliodunensi, Lutetiæ, Paris, 1644, in-4°. 2 Theonis Sm. Platonici Expositio eorum quæ in arithmeticis ad Pl. lectionem utilia sunt. Bullialdi interpretationem latinam, lectionis diversitatem suamque annotationem addidit J. J. de Gelder. Lugd. Batavorum, 1827, in-8°. — 3Voici le jugement que M. Henri Martin, p. 34, porte sur la valeur de ces deux manuscrits : «Eundem ambo textum exhibent, et sive hoc illius, sive ambo unius ejusdemque pessimi codicis sunt apographa. »

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patience, la quatrième partie de l'ouvrage de Théon, inédite et fort obscure jusqu'à présent, est devenue aujourd'hui intelligible d'un bout à l'autre. Les doctrines métaphysiques de l'auteur ont été expliquées, ses erreurs rectifiées par des faits positifs et par des témoignages irrécusables; les fautes nombreuses des copistes ont été habilement corrigées, les lacunes remplies; de sorte que, s'il reste encore de l'incertitude sur quelques mots isolés, du moins, il n'y en a point quant au sens des phrases, aux déductions, aux hypothèses, aux système général du philosophe grec1. Mais quelles sont les notions nouvelles que ce texte, presque inconnu jusqu'à présent, heureusement rétabli aujourd'hui, ajoute à la masse de nos connaissances? Telle est la question que M. Henri Martin se fait; et c'est dans la seconde partie de sa dissertation qu'il y répond, après avoir rendu un compte très-détaillé et trèsfidèle des travaux de ceux qui se sont occupés avant lui de l'auteur dont il publie l'ouvrage.

Cette seconde partie (page 40-132) se divise en quatre chapitres comme la première. Le savant éditeur cherche d'abord à déterminer le rang que Théon doit occuper parmi les philosophes. Il pense qu'il faut le mettre au nombre de ceux qui, loin d'être exclusifs, désiraient concilier le platonisme, sondant les profondeurs les plus abstraites et peut-être les plus insolubles de la métaphysique, avec la rigueur plus scientifique de l'école d'Aristote. Et, en effet, dans ce que dit Théon du mouvement des corps célestes et du principe qui les fait mouvoir, on s'aperçoit qu'il adopte plutôt les opinions du péripatéticien Adraste d'Aphrodisias, presque son contemporain, que celles du platonicien Dercyllidès, qui vécut un siècle auparavant. M. Henri Martin convient (p. 9) que Théon n'a point fait lui-même des observations; sous le point de vue scientifique, son ouvrage n'a que la valeur qu'on peut exiger d'un traité élémentaire d'astronomie du second siècle de notre ère. Toutefois ce traité est précieux à différents égards. Sans doute, il n'offre pas des vérités nouvelles à nos savants, pas plus que n'en offre l'Almageste de Ptolémée; cependant il s'en faut bien qu'on doive aujourd'hui négliger l'étude de ces écrits, car il sera toujours curieux de connaître les efforts faits il y a tant de siècles par des esprits cultivés, subtils ou puissants, pour atteindre, dans ces spéculations élevées, les bornes au

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Nous transcrivons, en l'approuvant entièrement, un autre passage de l'introduction (p. 38): Vidimus non sine gaudio, quanquam obstantibus tot mendis «lacunisque, posse Theonis astronomicum opus certa et indubitata ratione a principio ad finem intelligi, menda corrigi et lacunas compleri, ita ut, si hic illic de « voce una aut altera, at certe nunquam de auctoris sententia dubitatio supersit. »

delà desquelles il est douteux que le génie de l'homme puisse jamais pénétrer, mais que sûrement il ne peut franchir qu'à l'aide du temps et d'une longue suite d'observations. En outre, nous l'avons déjà dit, le traité de Théon remplit une véritable lacune. Jusqu'à présent on avait de la peine à distinguer ce que Ptolémée, dans son Almageste, avait emprunté à ses devanciers et ce qu'il avait ajouté lui-même, de son propre fonds, à leurs découvertes1; car des nombreux ouvrages d'Hipparque, le plus grand astronome de l'antiquité, nous ne possédons que le moins important, ses Commentaires sur les phénomènes d'Aratus et d'Eudoxe. Il ne nous reste plus rien des écrits de Dosithée, de Posidonius, Théodose de Tripolis, Ménélas d'Alexandrie, qui vécurent depuis Hipparque jusqu'au règne des Antonins sous lesquels fleurit Ptolémée. Le seul astronome grec qui appartienne à ce long espace de temps, et dont les ouvrages nous soient parvenus, est Géminus de Rhode, contemporain de Sylla et de Cicéron et auteur d'un traité intitulé: Εἰσαγωγὴ εἰς τὰ φαινόμενα car M. Letronne nous semble avoir prouvé, dans ce journal même2, que Cléomède, sur l'époque duquel les opinions des savants ont été extrêmement partagées, n'a composé son traité sur la Théorie sphérique des corps célestes que postérieurement à l'an 186 et peut-être à l'an 300 de notre ère. Ainsi, vu la perte de tant d'ouvrages plus anciens, celui de Théon n'est pas sans importance, parce qu'il présente un tableau de l'état des connaissances astronomiques à l'époque où il fut composé, et qu'il peut nous aider à déterminer les progrès que Ptolémée fit faire à la science en publiant son Almageste quelques années plus tard.

Nous arrivons au troisième chapitre de l'introduction (page 46-82) où l'on trouve des éclaircissements sur les auteurs anciens cités par Théon, et au quatrième (page 82-131) qui forme à lui seul plus d'un tiers de la dissertation préliminaire. Doué d'une grande force de raisonnement et d'une vigueur d'esprit que, dans un sujet pareil, les démonstrations mathématiques seules peuvent satisfaire, M. Henri Martin y expose, en vingt-sept paragraphes, le système astronomique de son auteur. Il y développe et apprécie les hypothèses de celui-ci, concernant les planètes, les étoiles fixes, les nœuds, les occultations, la forme, la grandeur et la position de la terre dont, depuis longtemps, on connais

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Nous reproduisons ici encore l'observation de l'éditeur (p. 45): «Ita ut usque «< nunc non sit definitum, quid per sese ipse præstiterit Ptolemæus, quid Hipparcho aut aliis debeat: cui solvendæ quæstioni Theonis Astronomia multum affert Année 1821, p. 713, en rendant compte de l'édition de Cléomède donnée par M. Janus Bake, Leyde, 1820, in-8°.

« luminis. » —

sait la sphéricité, et que Théon, comme Hipparque et Ptolémée, place au milieu de l'univers. Ces détails, méthodiquement disposés, nous semblent former une des parties les plus remarquables de l'introduction, mais nous n'entreprendrons pas d'en parler ici. Un illustre collaborateur de notre journal nous fait espérer que, dans un des cahiers suivants, il en rendra un compte détaillé. Unissant à la gloire d'être un des premiers physiciens de notre siècle la gloire d'avoir fait lui-même reculer les limites de la connaissance des astres, il analysera, mieux que nous ne pourrions le faire, ces vingt-sept paragraphes où M. Henri Martin expose les hypothèses dont, au temps de Théon, on était convenu de se contenter; il saura déterminer, avec autant de savoir que de précision, quelle est la valeur scientifique des opinions du philosophe de Smyrne, et en quoi son système diffère de celui des astronomes ses devanciers ou ses contemporains. Nous laisserons au même savant le soin de juger, par des observations lumineuses et fécondes, la partie astronomique du traité grec placé après la dissertation préliminaire (page 133-343); et, dans un second article, nous examinerons le traité de Théon sous le point de vue philologique, en faisant également connaître les appendices que l'éditeur y a joints et qui augmentent l'importance de cette nouvelle publication.

HASE.

HISTOIRE DE LA CHIMIE depuis les temps les plus reculés jusqu'à notre époque, par le docteur, Ferd. Hoëfer. T. II; Paris, au bureau de la Revue scientifique, rue Jacob, no 30, 1843. NEUVIÈME ARTICLE 1.

Suite de l'examen du système de Van Helmont.

Exposons maintenant le système de Van Helmont, et montrons comment il envisage le monde visible d'après la méthode à priori. En même temps que, pour en comprendre les choses les plus générales, il déploya une vaste intelligence en s'aidant d'observations, souvent remarquables par l'exactitude ou par la finesse, il avança comme vérités des erreurs tellement grossières, qu'on ne pourrait en trouver la cause, si on ne savait pas les aberrations dont l'esprit de système est susceptible! Van Helmont, en présentant plusieurs de ces erreurs comme des résultats de ses propres expériences, a encouru des jugements si sé

1 Voir, pour le huitième article, le cahier de février.

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