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vers les alliés 1, se préparant ainsi, avec un cynisme raisonné, à sacrifier les sentiments de fils à ce qu'il disait être les devoirs de roi. Cette tiédeur dénaturée commençait à être connue du peuple, qui murmurait sur son passage lorsqu'il sortait du palais 2.

Jacques VI livra donc sa mère en confiant sa défense au maître de Gray. Ennemi déclaré de Marie, agent pervers d'Élisabeth, celui-ci ne trouvait plus sa sûreté que dans la mort de la reine qu'il avait trahie. Il avait déjà écrit à Walsingham qu'il valait mieux la tuer par le poison que de l'exécuter publiquement 3. Arrivé à Londres au moment où Bellièvre allait en partir, il parut s'intéresser en public à Marie, qu'il abandonna en secret, et ne songea qu'à conserver à son jeune maître la succession d'Angleterre. De concert avec Robert Melvil, dont les efforts en faveur de son ancienne souveraine furent honnêtes mais inutiles, il demanda que le droit à cette succession fût reconnu au fils par la démission de la mère. «Comment cela serait-il possible? lui dit Élisabeth, elle a été déclarée inhabile et elle ne saurait rien trans« mettre. — Si elle n'a pas de droits, répliqua le maître de Gray, Votre Majesté ne doit pas la craindre; et, si elle a des droits, que Votre Ma"jesté permette alors qu'elle les transmette à son fils, qui possédera « ainsi le titre complet de successeur de Votre Altesse. » Aucune proposition n'était plus capable d'exciter la jalouse défiance et de provoquer les emportements d'Elisabeth; aussi, dit-elle d'une voix courroucée : Comment! être délivrée de l'une et à sa place en trouver un autre qui est pire? oui, je me mettrais par là dans une position plus misé«rable que celle où j'étais. Par la passion de Dieu ! cela vaudrait autant << que de me couper la gorge moi-même; et, pour un duché ou pour un «< comté, vous, ou ceux qui sont comme vous, n'hésiteriez pas à charger << quelques-uns de vos coquins désespérés de me tuer; non, par Dieu! << votre maître ne sera jamais à cette place *. » Elle les quitta brusquement sans vouloir leur accorder le moindre délai pour l'exécution de la reine d'Écosse 5.

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Plus courroucée qu'intimidée par les représentations des deux rois, Élisabeth s'arrêta néanmoins un moment devant elles. Mais bientôt elle vit avec son coup d'œil pénétrant qu'elle n'avait rien à craindre des deux princes faibles dont les peuples étaient divisés, et qui, ne voulant pas compromettre, l'un son héritage, l'autre sa sûreté, toléreraient,

2

'Extrait de la lettre du sieur de Courcelles au sieur d'Esneval; Ibid., et dans Egerton, p. 96.- Ibid. — 3 Lettre de Courcelles à Henri III, du 31 décembre; dans Egerton, p. 97. - Robertson, appendix n° L. Memorial of the Master of Gray, 12 january 1586-7.- Ibid., et Tytler, t. VIII, p. 383-384.

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après qu'elle serait accomplie, l'exécution qu'ils cherchaient à empêcher avant qu'elle le fût. Pour mieux arriver à ses fins, elle avait saisi, avec une crédulité artificieuse et une terreur affectée, l'apparence d'une nouvelle conspiration contre sa vie qu'avaient dénoncée, en y enveloppant l'ambassadeur de France, ceux mêmes qui avaient eu l'insigne audace de la lui proposer1. Les dépêches de Châteauneuf furent interceptées, l'un de ses secrétaires, Destrappes, fut jeté en prison, lui-même fut interrogé par les ministres d'Élisabeth, et l'on ferma les ports de l'Angleterre, qui resta pendant un mois sans communication avec le continent. Au milieu de l'émotion causée par la découverte de ce complot chimérique, et lorsque se répandaient les bruits les plus alarmants, tantôt d'une descente des Espagnols, tantôt d'une entreprise sur Fotheringay, tantôt d'une insurrection des comtés du Nord2, le Conseil privé se réunit plusieurs fois pour presser la reine de faire exécuter sa prisonnière.

Élisabeth ne se rendit point aux instances de Leicester, de Burghley et de Walsingham, mais elle devint distraite et sombre. Elle négligeait ses amusements accoutumés, recherchait la solitude, et murmurait souvent toute seule de terribles paroles. On l'entendit prononcer cette sentence latine qui peignait bien ses anxiétés: «Il faut frapper « pour n'être pas frappé; si tu ne frappes, tu seras frappé 3. » Elle aurait voulu qu'on la débarrassât, par un meurtre secret, de la responsabilité d'une exécution légale. Elle insinuait à ses ministres qu'ils devraient mettre à mort Marie en lui épargnant la cruauté d'en donner l'ordre, et leur reprochait d'avoir beaucoup promis en prêtant le fameux serment de l'association, et de ne rien faire pour sa défense. Mais la responsabilité qu'elle hésitait à prendre, ses ministres se refusaient à l'encourir, et ils la connaissaient trop bien pour n'être pas assurés qu'elle les désavouerait le lendemain du jour où ils l'auraient servie selon sa passion, et les punirait même, afin de rejeter sur eux tout l'odieux d'une mort dont elle voulait le profit sans le blâme. Ils furent donc sourds à ses insinuations, et la reine se vit réduite à agir directement elle-même.

er

Le 1 février, le secrétaire Davison, qu'elle avait fait prévenir par le lord amiral Howard, se présenta chez elle à dix heures du matin

1

Châteauneuf à Henri III, le 23 janvier 1587; Ms. de la Bibl. nat., n° 9513, Collect. de Mesmes, t. III, p. 427, et mémoire annexé à sa dépêche, ibid., ainsi que dans Egerton, p. 112 à 114; lettre d'Élisabeth à son ambassadeur en France; Ms. State Pap. Off. Tytler, t. VIII, p. 385; Camden, dans Kennet, vol. II, p. 533; Ellis's letters, 2° série, vol. III, p. 106 et 109. 3 Aut fer aut feri; ne feriare, feri. Tytler, t. VIII, p. 386.

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avec le warrant d'exécution qu'avait rédigé d'avance le grand trésorier Burghley. Elle le prit de ses mains, le lut, demanda une plume et le signa résolument, prescrivant à Davison d'y faire apposer le sceau de l'État par le chancelier. Elle recommanda de le tenir secret autant que possible, et elle ajouta en forme de plaisanterie : « Montrez-le néan« moins à Walsingham; je crains que le coup ne le tue sur l'heure 1. » Elle défendit de rendre publique l'exécution qui devrait avoir lieu dans la grande salle et non dans la cour du château, et elle renvoya Davison en défendant de lui parler encore d'une chose dont elle ne voulait plus être importunée, ayant fait tout ce qu'exigeaient d'elle la loi et la raison 2.

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Au moment où Davison allait partir, Élisabeth le retint et se plaignit d'Amyas Paulet et de ceux qui auraient pu la soulager de ce fardeau. Elle ajouta qu'il y avait moyen de l'en décharger encore, si lui et Walsingham écrivaient à sir Amyas pour le sonder à ce sujet3. Soit défaut de scrupule, soit excès d'obéissance, Davison ne repoussa point cette effroyable proposition qu'il communiqua aussitôt à Walsingham en lui montrant l'acte signé par la reine. Le jour même ils écrivirent à Fotheringay; et, dans ce siècle où l'assassinat n'était désavoué par aucune secte, ne répugnait à aucune politique, deux ministres d'une puissante souveraine osèrent inviter en son nom les gardiens d'une prisonnière à la faire périr clandestinement. Voici l'insidieuse et abominable lettre qu'ils adressèrent en commun à Paulet et à Drury:

Après nos cordiales salutations, nous trouvons dans des paroles pro«noncées dernièrement par Sa Majesté qu'elle remarque en vous un dé«faut de soins et de zèle.... pour n'avoir trouvé de vous-même (sans « autre provocation) un moyen quelconque d'ôter la vie à cette reine, « en vue du grand danger auquel Sa Majesté est exposée à toute heure, << aussi longtemps que vivra ladite reine. Sans parler du manque d'a«mour envers elle, Sa Majesté remarque encore que vous ne songez « pas à votre propre sûreté, ou plutôt à la conservation de la religion, « du bien public et de la prospérité de votre pays, ainsi que la raison

« et la politique le commandent. Votre conscience serait tranquille vis-à<< vis de Dieu et votre réputation intacte vis-à-vis du monde, puisque vous « avez prêté le serment solennel de l'association, et que, de plus, les faits « mis à la charge de cette reine ont été clairement prouvés contre elle. «Par ce motif, Sa Majesté ressent un grand déplaisir de ce que des << hommes qui professent de l'attachement pour elle, comme vous le 'Davison's defence, Drawn up by himself, in Caligula, c. ix, fol. 470; Tytler, t. VIII, p. 387. - Ibid. - Ibid.

« faites, manquent ainsi à leurs devoirs et cherchent à mettre sur elle ie « poids de cette affaire, sachant bien sa répugnance à verser le sang, << surtout celui d'une personne de ce sexe et de ce rang, et d'une aussi << proche parente.

« Nous voyons que ces considérations troublent beaucoup Sa Majesté, qui, nous vous l'assurons, a protesté, à diverses époques, que, si elle n'avait pas plus d'égard aux dangers que courent ses fidèles sujets et « ses bons serviteurs qu'aux siens propres, elle ne consentirait jamais à « ce que le sang de cette reine fût versé. Nous pensons qu'il est très-né« cessaire de vous instruire de ces discours prononcés il y a peu de « temps par Sa Majesté, et de les soumettre à vos bons jugements, et <«< ainsi nous vous recommandons à la protection du Tout-Puissant. Vos << bons amis 1. »

Cette lettre que Davison invitait Paulet à brûler après l'avoir lue, arriva à Fotheringay le 2 février vers le soir. Une heure après, Paulet, qui était un sombre fanatique, un geôlier brutal, mais non un ignoble meurtrier, répondit à Walsingham dans les termes d'une vive douleur et d'une indignation contenue : «Ayant reçu votre lettre d'hier, cejour«<d'hui à cinq heures de l'après-midi, je ne saurais manquer, suivant « vos directions, de vous faire parvenir une réponse avec toute la célé«<rité possible. Je vous la transmets dans toute l'amertume que mon <«< cœur ressent, de ce que je suis assez malheureux pour voir le jour, « où d'après les injonctions de ma très-gracieuse souveraine, je suis re<«< quis de faire un acte que Dieu et la loi défendent. Mes biens, ma place <«<et ma vie sont à la disposition de Sa Majesté, et je suis prêt à les abandonner demain, si c'est son bon plaisir, reconnaissant que je les tiens « de sa seule et gracieuse faveur, je ne désire en jouir qu'avec la bonne « volonté de Son Altesse. Mais Dieu me préserve de faire un aussi pitoya«ble naufrage de ma conscience, ou de laisser une aussi grande tache « à ma postérité, que de verser le sang sans l'autorisation de la loi et « sans un acte public. J'espère que Sa Majesté, selon sa clémence ac« coutumée, prendra en bonne part ma loyale réponse2. » La reine Élisabeth, lorsque Davison lui communiqua cette noble lettre, la lut avec les marques de la plus vive contrariété, et dit d'un accent passionné : «Je déteste ces beaux parleurs, ces gens pointilleux et raides, qui pro<< mettent tout, ne font rien, et mettent tout le fardeau sur mes épaules3. »>

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3

'Cette lettre, tirée des papiers de Paulet, a été imprimée dans Nicolas's life of Davison, p. 85, et dans Robert of Gloucester's Chronicle, par Hearne, vol. II, p. 674. 'Hearne's Robert of Gloucester, vol. II, p. 675, et Tytler, t. VIII, p. 390. Ibid., p. 391-392.

Il ne restait plus qu'à donner cours à l'exécution publique. L'acte qui en contenait l'ordre, et que la reine avait signé de sa main, revêtu du sceau de l'État par le chancelier, était revenu au Conseil privé, dont les membres, sans en entretenir de nouveau Élisabeth, prirent sur eux de le faire exécuter. Ils l'adressèrent, avec une lettre signée par Burghley, Leicester, Hunsdon, Knollys, Walsingham, Derby, Howard, Cobham, Hatton et Davison, aux comtes de Shrewsbury et de Kent, chargés d'assister au supplice de la reine condamnée1. Muni de ces deux pièces, Beale partit pour aller accomplir sa tragique mission à Fotheringay. MIGNET.

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Ellis's letters, 2° série, vol. III, p. 111-112.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT NATIONAL DE FRANCE.
ACADÉMIE FRANÇAISE.

M. de Féletz, membre de l'Académie française, est mort à Paris le 11 février.
ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.

M. Debret, membre de l'Académie des beaux-arts, section d'architecture, est décédé à Saint-Cloud le 19 février.

ACADÉMIE DES SCIENCES.

Dans sa séance du 25 février 1850, l'Académie des sciences a élu M. Bussy membre libre, en remplacement de M. Francœur, décédé.

LIVRES NOUVEAUX.

FRANCE.

pro

Morale sociale, ou devoirs de l'État et des citoyens en ce qui concerne la priété, la famille, l'éducation, la liberté et l'égalité, l'organisation du pouvoir, la sûreté intérieure et extérieure, par Adolphe Garnier, professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Paris. Paris, imprimerie de Crapelet, librairie de Hachette, 1850, in-8° de 396 pages.-L'auteur de ce livre traite avec un grand sens, en les éclairant par la philosophie, par la morale et par l'histoire, les questions sociales que la doctrine et l'expérience semblaient avoir résolues, et qui sont agitées aujourd'hui avec tant de passion. Il établit d'abord qu'il n'y a de réformes durables que

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