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feront pas; et par conséquent je me dois rire d'eux si, quoi qu'ils fassent dire en leur absence, ils s'imaginent d'être écoutés dans le conseil. Je suis trop long, SIRE, j'abuse de votre loisir. Mais si les plus foibles passions sont rebelles à la raison, il ne faut pas penser que les fortes demeurent dans l'obéissance. Je m'en vais finir, après que j'aurai dit à V. M. une chose que peut-être elle n'entendra pas sans étonnement. Mon pauvre fils ayant été tué à quatre lieucs d'Aix, y fut apporté, pour, selon son désir, être inhumé en l'église des Minimes, qui est au bout de l'un des faubourgs. Le peuple ne sut pas sitôt que le corps étoit arrivé, qu'il y courut en telle abondance qu'il ne demeura au logis que les malades. Comme il fut question de le mettre en terre, ils dirent tous que résolument ils le vouloient voir encore une fois. Les religieux en firent quelque difficulté, mais il fallut qu'ils cédassent. La bière fut ouverte, le drap décousu, et le peuple satisfait de ce qu'il avoit désiré. Quelles bénédictions furent alors données au pauvre défunt, et quelles imprécations faites contre les meurtriers! c'est chose vue et attestée de trop de gens pour m'y arrêter. Il suffit, SIRE, que je supplie très-humblement V. M. de considérer quelles étoient les mœurs d'un homme que toute une ville a regretté de cette façon. Ce n'est rien de nouveau de plaire à cinq ou six personnes; mais de plaire à tout un peuple, et lui plaire jusques à si haut point, il est malaisé que ce soit que par le moyen d'une vertu bien reconnue, et dont les témoignages aient une bien claire et bien générale approbation. Aussi ne douté-je point, SIRE, que V. M., qui a une aversion de toute sorte de crimes, ne trouve en cette circonstance extraordinaire de quoi faire sentir à mes parties un extraor dinaire courroux. Tuer qui que ce soit est toujours un mauvais acte; mais tuer un homme de bien, et le tuer poltronnement et traîtrement, c'est mettre le crime si hant qu'il ne puisse aller plus avant. J'ai certes de la peine à croire

qu'il y ait homme qui osât parler pour ceux qui ont commis cettuy-cy. Toutefois pour ce qu'il y a des esprits bossus et boiteux aussi bien que des corps, s'il avenoit à quelque effronté d'en prendre la hardiesse, souvenez-vous, Sire, que ceux qui vous prient d'une injustice vous tiennent capable de la faire; et là-dessus jugez quelle opinion vous devez avoir des personnes qui l'ont si mauvaise de V. M. Pour moi, qui ai accoutumé de nommer les choses par leur nom, je ne saurois dire sinon que je les tiens pour gens sans conscience, et à qui le succès de vos affaires bon ou mauvais est indifférent. Qu'on examine vos prospérités comme on voudra, il ne s'en trouvera point d'autre cause que la sainteté de votre vie. Je n'ôte rien à la gloire de votre épée. Vos mains avoient bien à peine la force de la mettre hors du fourreau, que V. M. en fit des choses qui furent admirées de toute l'Europe. Je n'ôte rien non plus aux soins incomparables qu'apporte M. le cardinal de Richelieu à la direction de vos affaires, aux profusions excessives qu'il fait de son bien pour votre service, ni aux assiduités infatigables qu'il y rend avec un péril extrême de sa santé. Au contraire, j'estime ce très-grand prélat jusque-là que je ne le vois jamais tant soit peu indisposé que je ne soupçonne quelque grande indignation de Dieu contre l'État. Mais, SIRE, qu'en cette occasion de l'île de Ré, la mer se soit humiliée devant vous; que, de si revêche qu'elle est, elle soit devenue si complaisante, c'est, pour en parler comme il faut, une affaire où il y a quelque chose plus que de l'homme. Je sais bien les dévotions qu'a faites pour vous la Reine votre mère : Reine aussi grande qu'elle est bonne mère; mère aussi bonne qu'elle est grande Reine; et telle en toutes ses qualités, que c'est ne savoir que c'est de perfection que de croire qu'il y ait rien à désirer. Je n'ignore pas aussi celles que la Reine y a contribuées : Reine si belle et si vertueuse que, hors l'honneur qu'elle a eu d'épouser V. M., le monde ne

lui pouvoit donner de mari qui la méritât. Mais quelque ardeur de prière qu'elles y eussent apportée l'une et l'autre, eussent-elles obtenu pour un prince de piété commune ce qu'elles ont obtenu pour vous? Non, non, SIRE; il n'y a personne qui raisonnablement se puisse plaindre, quand je dirai que V. M. n'a mis ses affaires au bon état où elles sont que par le soin de plaire à Dieu et la crainte de l'offenser. Continuez, SIRE, de marcher dans un chemin si assuré. Haïssez toujours le mal: Dieu vous fera toujours du bien. Je ne crois pas qu'il y ait chose au monde que vous désiriez, et qui vous soit si désirable comme d'être père. Vous le serez, SIRE, par beaucoup de raisons; mais ce n'en sera pas une des moindres que la compassion que vous aurez eue d'un père affligé comme je le suis; et dans peu de jours, V. M. remettra tellement les rebelles dans leur devoir que ce que j'ai dit sera véritable :

Enfin mon Roi les a mis bas,

Ces murs qui de tant de combats
Furent les tragiques matières.

La Rochelle est en poudre, et ses champs désertés,

N'ont face que de cimetières

Où gisent les Titans qui les ont habités.

C'est là, SIRE, que tendent les vœux de tous les gens de bien, et, autant que de nul autre, ceux de votre très-humble, très-obéissant et très-affectionné sujet et serviteur,

MALHERBE.

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