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ves, royaumes deçà l'Afrique, seigneur de la Guinée, conquêtes, navigation et commerce de l'Éthiopie, Arabie, Perse et des In

des.

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Qu'est-ce que tout cela? dit le roi ; qui parle donc

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ainsi? Le duc de Bragance, roi de Portugal, couronné il y a déjà une il y a quelque temps, sire, par un homme appelé Pinto. A peine remonté sur le trône, il tend la main à la Catalogne révoltée. La Catalogne se révolte aussi ! Le roi Philippe IV n'a donc plus pour premier ministre le comte-duc? Au contraire, sire, c'est parce qu'il l'a encore. Voici la déclaration des états généraux catalans à S. M. catholique, contenant que tout le pays prend les armes contre ses troupes sacriléges et excommuniées. Le roi de Portugal. . . . . - Dites le duc de Bragance, reprit Louis je ne reconnais pas un révolté. Le duc de Bragance donc, sire, dit froidement le conseiller d'État, envoie à la principauté de Catalogne son neveu D. Ignace de Mascarennas, pour s'emparer de la protection de ce pays (et de sa souveraineté peut-être), qu'il voudrait ajouter à celle qu'il vient de reconquérir. Or, les troupes de Votre Majesté sont devant Perpignan.Eh bien! qu'importe? dit Louis. - Les Catalans ont le cœur plus français que portugais, sire, et il est encore temps d'enlever cette tutelle au roi de . . . . au duc de Portugal. Moi soutenir des rebelles! vous osez! . . . .-C'était le projet de Son Eminence, poursuivit le conseiller d'État; l'Espagne et la France sont en pleine guerre d'ailleurs, et M. d'Olivarès n'a pas hésité à tendre la main de Sa Majesté catholique à nos huguenots. - C'est bon, j'y penserai, dit le roi; laissez-moi. — Sire, les états généraux de Catalogne sont pressés, les troupes d'Aragon marchent contre eux.

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Je me déciderai dans un quart d'heure, répon

Le petit secrétaire d'État sortit avec un air mécontent et découragé. A sa place, Chavigny se présenta, tenant un portefeuille aux armes britanniques.

Sire, dit-il, je demande à Votre Majesté des ordres pour les affaires d'Angleterre. Les parlementaires, sous le commandement du comte d'Essex, viennent de faire lever le siége de Glocester; le prince Rupert a livré à Newburg une bataille désastreuse et peu profitable à S. M. britannique. Le parlement se prolonge, et il a pour lui les grandes villes, les ports et toute la population presbytérienne; le roi Charles Ier demande des secours, que la reine ne trouve plus en Hollande. Il faut envoyer des troupes à mon frère

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d'Angleterre, dit Louis. Mais il voulut voir les papiers précédents, et, en parcourant les notes du cardinal, il trouva que, sur une première demande du roi d'Angleterre, il avait écrit de sa main :

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<«<< Faut réfléchir longtemps et attendre: les communes sont fortes; le roi Charles compte sur les Écossais ils le vendront. >> Faut prendre garde. Il y a là un homme de guerre qui est venu.voir Vincennes, et a dit qu'on ne devait jamais frapper les princes qu'à la tête. REMARQUABLE, ajoutait le cardinal. Puis il avait rayé ce mot, y substituant redoutable. »

Et plus bas :

« Cet homme domine Fairfax, il fait l'inspiré : ce sera un grand homme. Secours refusé; argent perdu. »

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Le roi dit alors: Non, non, ne précipitez rien, j'attendrai. Mais, sire, dit Chavigny, les événements sont rapides; si le courrier retarde d'une heure, la perte du roi peut s'avancer d'un an.En sont-ils là?' demanda Louis. Dans le camp des Indépendants, on prêche la république la Bible à la main; dans celui des royalistes, on se dispute le pas, et l'on rit. Mais un moment de bonheur peut tout sauver! Les Stuart ne sont pas heureux, sire, reprit Chavigny respectueusement, mais sur un ton qui laissait beaucoup à penser. Laissez-moi, dit le roi d'un ton d'humeur. Le secrétaire d'État sortit lentement.

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Ce fut alors que Louis XIII se vit tout entier et s'effraya du néant qu'il trouvait en lui-même. Il promena d'abord sa vue sur l'amas de papiers qui l'entourait, passant de l'un à l'autre, trouvant partout des dangers et ne les trouvant jamais plus grands que dans les ressources mêmes qu'il inventait. Il se leva, et, changeant de place, se courba ou plutôt se jeta sur une carte géographique de l'Europe: il y trouva toutes ses terreurs ensemble, au nord, au midi, au centre de son royaume; les révolutions lui apparaissaient comme des Euménides; sous chaque contrée il crut voir fumer un volcan3; il lui semblait entendre les cris de détresse des rois qui l'appelaient et les cris de fureur des peuples; il crut sentir la terre de France craquer et se fendre sous ses pieds: sa vue faible et fatiguée se troubla, sa tête malade fut saisie d'un vertige qui refoula le sang vers son cœur. Richelieu! cria-t-il d'une voix étouffée, en agitant une sonnette; qu'on appelle le cardinal!

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Et il tomba évanoui dans un fauteuil.

Lorsque le roi rouvrit les yeux, ranimé par les odeurs fortes et les sels qu'on lui avait mis sur les lèvres et les tempes, il vit

un instant des pages, qui se retirèrent sitôt qu'il eut entr'ouvert ses paupières, et se retrouva seul avec le cardinal. L'impassible ministre avait fait poser sa chaise longue contre le fauteuil du roi, comme le siége d'un médecin près du lit de son malade, et fixait ses yeux étincelants et scrutateurs sur le visage pâle de Louis. Sitôt qu'il put l'entendre, il reprit d'une voix sombre son terrible dialogue. Vous m'avez rappelé, dit-il, que me voulez-vous? Louis, renversé sur l'oreiller, entr'ouvrit les yeux et le regarda, puis se hâta de les refermer. Cette tête décharnée, armée de deux yeux flamboyants et terminée par une barbe aiguë et blanchâtre, cette calotte et ces vêtements de la couleur du sang et des flammes, tout lui représentait un esprit infernal. - Régnez, dit-il d'une voix faible. — Mais. . . . me livrez-vous Cinq-Mars et de Thou? poursuivit l'implacable ministre en s'approchant pour lire dans les yeux éteints du prince, comme un avide héritier poursuit jusque dans la tombe les dernières lueurs de la volonté d'un mourant. - Régnez, répéta le roi en détournant la tête. - Signez donc, reprit Richelieu; ce papier porte: « Ceci est ma volonté de les prendre morts ou vifs. » Louis, toujours la tête renversée sur le dossier du fauteuil, laissa tomber sa main sur le papier fatal, et signa. Laissez-moi, par pitié! je meurs, dit-il. - Ce n'est pas tout encore, continua celui qu'on appelle le grand politique; je ne suis pas sûr de vous il me faut dorénavant des garanties et des gages. Signez encore ceci, et je vous quitte :

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<«< Quand le roi ira voir le cardinal, les gardes de celui-ci ne quitteront pas les armes; et quand le cardinal ira chez le roi, ses gardes partageront le poste avec ceux de Sa Majesté. »>

De plus:

« Sa Majesté s'engage à remettre les deux princes ses fils en otage entre les mains du cardinal, comme garantie de la bonne foi de son attachement. >>

Mes enfants! s'écria Louis, relevant la tête; vous osez! Aimez-vous mieux que je me retire? dit Richelieu.— Le roi signa. Est-ce donc fini? dit-il avec un profond gémissement.

Ce n'était pas fini: une autre douleur lui était réservée. La porte s'ouvrit brusquement, et l'on vit paraître Cinq-Mars.

M. A. DE VIGNY.

INTRODUCTION

DES MÉMOIRES DU CHEVALIER DE GRAMMONT.

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COMME Ceux qui ne lisent que pour se divertir me paraissent plus raisonnables que ceux qui n'ouvrent un livre que pour y chercher des défauts, je déclare que, sans me mettre en peine de la sévère érudition de ces derniers, je n'écris que pour l'amusement des

autres.

Je déclare de plus que l'ordre des temps, ou la disposition des faits, qui coûtent plus à l'écrivain qu'ils ne divertissent le lecteur, ne m'embarrasseront guère dans l'arrangement de ces mémoires.

Dans le dessein de donner une idée de celui pour qui j'écris les choses qui le distinguent auront place dans ces fragments selon qu'elles s'offriront à mon imagination, sans égard à leur rang.

Qu'importe, après tout, par où l'on commence un portrait, pourvu que l'assemblage des parties forme un tout qui rende parfaitement l'original? Le fameux Plutarque, qui traite ses héros comme ses lecteurs, commence la vie des uns comme bon lui semble, et promène l'attention des autres sur de curieuses antiquités ou d'agréables traités d'érudition, qui n'ont pas toujours rapport à son sujet.

7.

Démétrius le Preneur de villes n'était pas à beaucoup près si grand que son père Antigonus, à ce qu'il nous dit. En récompense il nous apprend que son père Antigonus n'était que son oncle; mais tout cela n'est qu'après avoir commencé sa vie par un abrégé de sa mort, par un sommaire de ses divers exploits, de ses bonnes et de ses mauvaises qualités, où il fait entrer le pauvre Marc-Antoine, par compassion pour toutes ses faiblesses.

Dans la vie de Numa Pompilius, il entre en matière par une dissertation sur son précepteur Pythagore; et comme il croit qu'on est fort en peine de savoir si c'est l'ancien philosophe, ou bien un certain Pythagore qui, après avoir gagné le prix de la course aux jeux Olympiques, vint à toutes jambes trouver Numa pour lui enseigner la philosophie et lui aider à gouverner son royaume, il se tourmente beaucoup pour éclaircir cette difficulté, qu'il laisse enfin là. Ce que j'en dis n'est pas pour reprocher quelque chose à l'historien de toute l'antiquité, auquel on doit le plus c'est seulement

pour autoriser la manière dont j'écris une vie plus extraordinaire que toutes celles qu'il nous a laissées.

Il est question de représenter un homme dont le caractère inimitable efface des défauts qu'on ne prétend point déguiser; un homme illustre par un mélange de vices et de vertus qui semblent se soutenir dans un enchaînement nécessaire, rares dans leur parfait accord, brillantes par leurs oppositions.

C'est ce relief incompréhensible qui, dans la guerre, l'amour, le jeu et les divers états d'une longue vie, a rendu le comte de Grammont l'admiration de son siècle. C'est par là qu'il a fait les délices de tous les pays où il a promené ses agréments et son inconstance; de ceux où la vivacité de son esprit a répandu de ces mots heureux qu'une approbation universelle transmet à la postérité; de tous les endroits enrichis des profusions de sa magnificence, et de ceux enfin où il a conservé la liberté de son jugement dans les périls les plus pressants, tandis que le badinage de son humeur au milieu des dangers les plus sérieux de la guerre, marquait une fermeté qui n'appartient pas à tout le monde.

C'est lui-même qu'il faut écouter dans ces récits agréables de siéges et de batailles où il s'est distingué à la suite d'un autre héros; et c'est lui qu'il faut croire dans des événements moins glorieux. Je ne fais que tenir la plume à mesure qu'il me dicte les particularités les plus singulières et les moins connues de sa vie.

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En ce temps-là il n'en allait pas en France comme à présent. Louis XIII régnait encore, et le cardinal de Richelieu gouvernait le royaume. De grands hommes commandaient de petites armées, et ces armées faisaient de grandes choses. La fortune des grands de la cour dépendait de la faveur du ministre; les établissements n'y étaient solides qu'à mesure qu'on lui était dévoué. De vastes projets jetaient au cœur des États voisins les fondements de cette grandeur redoutable où l'on voit celui-ci. La police était un peu négligée les grands chemins étaient impraticables de jour, et les rues durant la nuit; mais on volait encore plus impunément ailleurs. La jeunesse, en entrant dans le monde, prenait le parti que bon lui semblait : qui voulait, se faisait chevalier; abbé, qui pouvait : j'entends abbé à bénéfice. L'habit ne distinguait point le chevalier de l'abbé, et je crois que le chevalier de Grammont était l'un et l'autre au siége de Trin. Ce fut sa première campagne, et il y porta ces dispositions heureuses qui préviennent favorablement, et qui font qu'on n'a besoin ni d'amis pour être introduit, ni de recommandations pour être agréablement reçu partout.

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