Page images
PDF
EPUB

Te ronge; quelque chose a gémi dans ton cœur ;
Quelque amour t'est venu, comme on en voit sur lerre,
Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur.
Viens, chantons devant Dieu; chantons dans tes pensées,
Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées ;
Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu.
Éveillons au hasard les échos de ta vie,

Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie,
Et que ce soit un rêve, et le premier venu.
Inventons quelque part des lieux où l'on oublie ;
Partons, nous sommes seuls; l'univers est à nous.
Voilà la verte Écosse, et la brune Italie,

Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux;
Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes,
Et Messa la divine, agréable aux colombes;
Et le front chevelu du Pélion changeant ;
Et le bleu Titarèse, et le golfe d'argent

Qui montre dans les eaux où le cygne se mire
La blanche Oloossone à la blanche Camyre.
Dis-moi, quel songe d'or nos chants vont-ils bercer?
D'où vont venir les pleurs que nous allons verser ?
Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière,
Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet,
Secouait des lilas dans ta robe légère,

Et te contait tout bas les amours qu'il rêvait?
Chanterons-nous l'espoir, la tristesse ou la joie?
Tremperons-nous de sang les bataillons d'acier ?
Suspendrons-nous l'amant sur l'échelle de soie?
Jetterons-nous au vent l'écume du coursier?
Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre.
De la maison céleste, allume nuit et jour

L'huile sainte de vie et d'éternel amour?

Crierons-nous à Tarquin : « Il est temps, voici l'ombre » ? Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers?

Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers?

Montrerons-nous le ciel à la mélancolie?

Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés?
La biche le regarde; elle pleure et supplie;
Sa bruyère l'attend; ses faons sont nouveau-nés;
Il se baisse, il l'égorge, il jette à la curée

Sur les chiens en sueur son cœur encor vivant.
Peindrons-nous une vierge, à la joue empourprée,
S'en allant à la messe, un page la suivant?
Et d'un regard distrait, à côté de sa mère,
Sur sa lèvre entr'ouverte oubliant sa prière,
Elle écoute en tremblant, dans l'écho du pilier,
Résonner l'éperon d'un hardi cavalier.

Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France
De monter tout armés aux créneaux de leurs tours,
Et de ressusciter la naïve romance

Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours?
Vêtirons-nous de blanc une molle élégie?
L'homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie,
Et ce qu'il a fauché du troupeau des humains,
Avant que l'envoyé de la nuit éternelle

Vint sur son tertre vert l'abattre d'un coup d'aile,
Et sur son cœur de fer lui croiser les deux mains?
Clouerons-nous au poteau d'une satire altière
Le nom sept fois vendu d'un pâle pamphlétaire,
Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli,
S'en vient tout grelottant d'envie et d'impuissance,
Sur le front du génie insulter l'espérance,

Et mordre le laurier que son souffle a sali?

Prends ton luth! prends ton luth! je ne peux plus me taire.
Mon aile me soulève au souffle du printemps.

Le vent va m'emporter, je vais quitter la terre.
Une larme de toi! Dieu m'écoute; il est temps.

HII.

LE POÈTE.

S'il ne te faut, ma sœur chérie,
Qu'un baiser d'une lèvre amie,
Et qu'une larme de mes yeux,
Je te les donnerai sans peine ;
De nos amours qu'il te souvienne,
Si tu remontes dans les cieux.
Je ne chante ni l'espérance,
Ni la goire, ni le bonheur,
Hélas! pas même la souffrance!

38

La bouche garde le silence,

Pour écouter parler le cœur.

LA MUSE.

Crois-tu donc que je sois comme le vent d'automne,
Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau,
Et pour qui la douleur n'est qu'une goutte d'eau ?
O poète! un baiser, c'est moi qui te le donne;
L'herbe que je voulais arracher de ce lieu
C'est ton oisiveté; ta douleur est à Dieu.
Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,
Laisse-la s'élargir cette sainte blessure

Que les noirs séraphins t'ont faite au fond du cœur ;
Rien ne nous rend si grand qu'une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète!
Que ta voix ici-bas doive rester muette.

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au loin s'abattre sur les eaux ;
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie,
En secouant leur bec sur leur goître hideux.
Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.

Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;
En vain il a des mers fouillé la profondeur:
L'océan était vide, et la plage déserte;
Pour toute nourriture il apporte son cœur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur ;
Et regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,

Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et se frappant le cœur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort, se recommande à Dieu.
Poète, c'est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps;
Mais les festins humains qui servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées,
De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater le cœur.
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant,
Mais il y pend toujours une goutte de sang.

LE POÈTE.

O muse! ô spectre insatiable!
Ne m'en demande pas si long.
L'homme n'écrit pas sur le sable
A l'heure où passe l'aquilon.
J'ai vu le temps où ma jeunesse
Sur mes lèvres était sans cesse
Prête à chanter comme un oiseau;
Mais j'ai souffert un dur martyre,
Et le moins que j'en pourrais dire,
Si je l'essayais sur ma lyre,

La briserait comme un roseau.

ALFRED DE MUSSET.

1) Cette comparaison du pélican mériterait d'être appliquée à un plus auguste sujet. Dante, dans la Divine Comédie (chant XXV), appelle Jésus-Christ notre Pélican,

LE PASSÉ.

ARRÊTONS-nous sur la colline

A l'heure où, partageant les jours,
L'astre du matin qui décline
Semble précipiter son cours.
En avançant dans la carrière,
Plus faible il rejette en arrière
L'ombre terrestre qui le suit;
Et de l'horizon qu'il colore
Une moitié le voit encore,
L'autre se plonge dans la nuit.

A

C'est l'heure où, sous l'ombre inclinée,
Le laboureur dans le vallon
Suspend un moment sa journée,

Et s'assied au bord du sillon;
C'est l'heure où, près de la fontaine,
Le voyageur reprend haleine
Après sa course du matin;

Et c'est l'heure où l'âme qui pense
Se retourne, et voit l'espérance
Qui l'abandonne en son chemin.

Ainsi notre étoile pâlie,
Jetant de mourantes lueurs

Sur le midi de notre vie,

Brille à peine à travers nos pleurs.
De notre rapide existence

L'ombre de la mort qui s'avance
Obscurcit déjà la moitié;

Et près de ce terme funeste,
Comme à l'aurore, il ne nous reste
Que l'espérance et l'amitié.

Ami, qu'un même jour vit naître,
Compagnon depuis le berceau,
Et qu'un même jour doit peut-être
Endormir au même tombeau,

« PreviousContinue »