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Ou que la prose journalière,
Avec moins d'étude et d'apprêts,
L'enlace, vive et familière,
Comme les bras d'un jeune lierre
Un orme géant des forêts;

Si la manière en est bannie
Et qu'un sens toujours de saison
S'y déploie avec harmonie,
Sans prêter les droits du génie
Aux débauches de la raison.

La parole est la voix de l'âme,
Elle vit par le sentiment;
Elle est comme une pure flamme
Que la nuit du néant réclame1
Quand elle manque d'aliment.

Elle part prompte et fugitive,
Comme la flèche qui fend l'air,
Et son trait vif, rapide et clair,
Va frapper la foule attentive
D'un jour plus brillant que l'éclair.

Si quelque gêne l'emprisonne,
Défiez-vous de son lien.

Tout effort est contraire au bien,
Et la parole en vain frissonne
Sitôt que le cœur ne dit rien.

Le simple, c'est le beau que j'aime,
Qui, sans frais, sans tours éclatants,
Fait le charme de tous les temps.
Je donnerais un long poème
Pour un cri du cœur que j'entends.

1) Je n'aime pas cette nuit du néant qui réclame une flamme; c'est la rime qui a donné cela. SAINTE-BEUVE.

2) Cette coulante doctrine de la facilité naturelle, cet épicuréisme de la diction, si bon à opposer en temps et lieu au stoïcisme guindé de l'art, a pourtant ses limites; et quand l'auteur dit qu'en style tout effort est contraire au bien, il n'entend parler que de l'effort qui se trahit, il oublie celui qui se dérobe. SAINTE-BEUVE.

En vain une muse fardée
S'enlumine d'or et d'azur :
Le naturel est bien plus sûr.
Le mot doit mûrir sur l'idée,

Et puis tomber comme un fruit mûr.

M. CH. NODIER.

QU'EST-CE QUE VIVRE ?

(VIIIme CONSOLATION de M. SAINTE-BEUVE.)

NAÎTRE, vivre et mourir dans la même maison;
N'avoir jamais changé de toit ni d'horizon ;
S'être lié tout jeune aux vœux du sanctuaire;
Vierge, voiler son front comme d'un blanc suaire,
Et confiner ses jours silencieux, obscurs,

A l'enclos d'un jardin fermé de tristes murs;
Ou dans un sort plus doux, mais non moins monotone,
Vieillir sans rien trouver dont notre âme s'étonne;
Ne pas quitter sa mère, et passer à l'époux
Qui vous avait tenue, enfant, sur ses genoux;
Aux yeux des grands parents élever sa famille ;
Voir les fils de ses fils sous la même charmille
Où jadis on avait joué devant l'aïeul !
Homme, vivre ignoré, modeste, pauvre et seul,
Sans voyager, sentir, ni respirer à l'aise,

Ni donner plein essor à ce cœur qui vous pèse;
Dans son quartier natal compter bien des saisons,
Sans voir jaunir les bois ou verdir les gazons;
Avec les mêmes goûts avoir sa même chambre,
Ses livres du collége et son poêle en décembre,
Sa fenêtre entr'ouverte en mai, se croire heureux
De regarder un lierre en un jardin pierreux;
Tout cela, puis mourir plus humblement encore,
Pleuré de quelques yeux, mais sans écho sonore,
Sans flambeau qui longtemps chasse l'oubli vaincu,
O mon cœur, toi qui sens, dis: est-ce avoir vécu ?
Pourquoi non? Et pour nous qu'est-ce donc que la vie?

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Quand aux jeux du foyer votre enfance ravie
Aurait franchi déjà bien des monts et des flots,
Et vu passer le monde en magiques tableaux ;
Quand, plus tard, vous auriez égaré vos voyages1,
Mêlé vos pleurs, vos cris au murmure des plages;
Semé de vous les mers, les cités, les chemins ;
Loin d'aujourd'hui, d'hier, jeté vos lendemains
En avant, au hasard, comme un coureur en nage
Lance un disque dans l'air, qu'il rattrape au passage;
Quand, sinistre, orageux, étourdi de vos bruits,
Vous auriez, sous le vent, veillé toutes vos nuits;
Vous n'auriez pas vécu pour cela plus peut-être
Que tel cœur inconnu qu'un village a vu naître,
Qu'un cloître saint ensuite a du monde enlevé,
Et qui pria vingt ans sur le même pavé.
Vous n'auriez pas senti plus de joie immortelle,
Plus d'amères douleurs; vous auriez eu plus qu'elle
Des récits seulement à raconter le soir.

Vivre, sachez-le bien, n'est ni voir ni savoir:

C'est sentir, c'est aimer: aimer, c'est là tout vivre;
Le reste semble peu pour qui lit à ce livre;
Sitôt que passe en nous un seul rayon d'amour,
L'âme entière est éclose, on la sait en un jour;
Et l'humble, l'ignorant, si le ciel le convie
A ce mystère immense, aura connu la vie.

O vous, dont le cœur pur, dans l'ombre s'échauffant,
Aime ardemment un père, un époux, un enfant,
Une tante, une sœur ; foule simple et bénie,

Qui savez où l'on va quand la vie est finie,
Qui savez comme on pleure, ou de joie ou de deuil,
Près d'un berceau vermeil ou sur un noir cercueil,
Et comme on aime Dieu même alors qu'il châtie,
Et comme la prière à l'âme repentie 2
Verse au pied de l'autel d'abondantes ferveurs3:
Oh! n'enviez jamais ces inquiets rêveurs
Dont la vie ennuyée avec orgueil s'étale,

Ou s'agite sans but, turbulente et fatale;

1) On peut égarer ses pas; mais l'idée de voyage semble exclure celle d'égarer. 2) Cette syntaxe du participe repenti n'est pas encore consacrée par l'usage. 3) Des ferveurs pour des prières ferventes semble quelque peu hasardé.

Seuls, ils croient tout sentir, délices et douleurs;
Seuls, ils croient dans la vie avoir le don des pleurs,
Avoir le sens caché de l'énigme divine,

Avoir goûté les fruits de l'arbre et sa racine1,

Et, fiers de tout connaître, ils raillent en sortant :
O vous, plus humbles qu'eux, vous en savez autant!
L'amour vous a tout dit dans sa langue sublime;
Il a dans vos lointains doré plus d'une cime,
Fait luire sous vos pieds plus d'un ciron d'azur,
Jeté plus d'une fleur aux bords de votre mur.
Au coucher du soleil, au lever de la lune,
Prêtant l'oreille aux bruits qu'on entend à la brune,
Ou l'œil sur vos tisons d'où la flamme jaillit,
Ou regardant, couché, le ciel de votre lit;
Ou, vierge du Seigneur, dans l'étroite cellule,
Sous la lampe de nuit dont la lueur ondule,
Adorant sainlement et la mère2 et le fils,
Et, pour remède aux maux, baisant le crucifix:
Vous avez agité bien des rêves de l'âme ;
Vous vous êtes donné ce que tout cœur réclame,
Des cœurs selon le vôtre, et vous avez pleuré
En remuant des morts le souvenir sacré.
O moi, si jusqu'ici j'ai tant gémi sur terre3,
Si j'ai tant vers le ciel lancé de plainte amère,
C'est moins de ce qu'esclave, à ma glèbe attaché,
Je n'ai pu faire place à mon destin caché;
C'est moins de n'avoir pas visité ces rivages
Que des noms éternels peuplent de leurs images,
Où l'orange est si mûre, où le ciel est si bleu :
C'est plutôt jusqu'ici d'avoir aimé trop peu!

1) Goûté la racine?

2) Dites plutôt le PÈRE!

3) Sur la terre.

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ROULE avec majesté tes ondes fugitives,
Seine ; j'aime à rêver sur tes paisibles rives,
En laissant comme toi la reine des cités.
Ah! lorsque la nature à mes yeux attristés,
Le front orné de fleurs, brille en vain renaissante;
Lorsque du renouveau l'haleine caressante
Rafraîchit l'univers, de jeunesse paré,

Sans ranimer mon front pâle et décoloré;
Du moins auprès de toi que je retrouve encore
Ce calme inspirateur que le poète implore,
Et la mélancolie errante au bord des eaux.
Jadis, il m'en souvient, du fond de leurs roseaux,
Tes nymphes répétaient le chant plaintif et tendre
Qu'aux échos de Passy ma voix faisait entendre.
Jours heureux! temps lointain, mais jamais oublié,
Où les arts consolants, où la douce amitié,
Et tout ce dont le charme intéresse à la vie,
Égayaient mes destins ignorés de l'envie.

Le soleil affaibli vient dorer ces vallons;
Je vois Auteuil sourire à ses derniers rayons.
Oh! que de fois j'errai dans tes belles retraites,
Auteuil! lieu favori, lieu saint pour les poètes!
Que de rivaux de gloire unis sous tes berceaux !
C'est là qu'au milieu d'eux l'élégant Despréaux,
Législateur du goût, au goût toujours fidèle,
Enseignait le bel art dont il offre un modèle.
Là, Molière, esquissant ses comiques portraits,
De Chrysalde ou d'Arnolphe a dessiné les traits.
Dans la forêt ombreuse, ou le long des prairies,
La Fontaine égarait ses douces rêveries;
Là, Racine évoquait Andromaque et Pyrrhus,
Contre Néron puissant faisait tonner Burrhus,
Peignait de Phèdre en pleurs le tragique délire.
Ces pleurs harmonieux que modulait sa lyre

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