mourant ce souvenir de vous, si mes prières ne peuvent vous fléchir. Viens, mon frère, petit enfant trop faible pour me secourir, viens supplier ton père avec tes larmes; dis-lui de ne pas faire mourir ta sœur ; l'enfant même qui ne sait point encore parler, sent déjà la pitié. Voyez-le, mon père : il vous implore dans son silence. Ayez donc pitié de moi, et épargnez ma vie ; voyez vos deux chers enfants qui vous en supplient en pressant vos joues : l'un est encore à la mamelle, l'autre est dans la fleur de la jeunesse. Je me borne à une seule chose; elle est plus forte que tous mes discours: Il est doux aux hommes de voir la lumière du jour; il n'y a point de lumière au-dessous de nous; c'est un insensé que celui qui désire la mort, et vivre obscur vaut mieux que mourir dans la gloire. Homère, Iliade, L. I, v. 152. Racine, Iphigénie, A. IV, S. 6. ACHILLE à AGAMEMNON. Bien qu'aux braves Troyens j'aille porter la guerre, SCÈNES DE PHÈDRE. L'idéal de Racine se trouve ici tout entier, comme l'idéal de Corneille est empreint dans l'héroïsme des Horaces. Le poète nous représente une âme aux prises avec une passion funeste, dont elle rougit encore, mais qu'elle ne sait plus combattre; c'est le délire d'un amour d'autant plus effréné qu'il est plus illégitime; les cris de la passion se confondent avec ceux du remords; c'est une étrange harmonie des gémissements de la conscience et de ceux d'un amour sans espoir. Phèdre est tout entière dans ces deux vers : « Hélas! du crime affreux dont la honte me suit, » Jamais mon triste cœur n'a recueilli le fruit. » Un habile critique allemand (M. Schlegel) n'a pas eu le bonheur de saisir cette admirable conception. Il n'a pas vu que le sujet de Phèdre, c'est Phèdre même; que c'est sur elle que le poète a voulu attirer notre intérêt; qu'Hippolyte n'est ici qu'un personnage secondaire, auquel l'auteur a donné aussi peu de saillie qu'il était possible. Ce point reconnu, les critiques de M. Schlegel deviennent des éloges ; l'espèce de nullité d'Hippolyte est plus que rachetée par l'importance du personnage de Phèdre; les rapports changent nécessairement avec le sujet; et quant au sujet lui-même, il est permis de croire qu'il est plus beau chez Racine que chez Euripide. Intéresse à un innocent persécuté, c'est quelque chose; mais inspirer de l'intérêt pour le persécuteur, et un intérêt si pur que le sentiment moral le plus délicat n'en est point blessé, c'est, ce nous semble, mieux encore. Elle n'appartient qu'au christianisme, cette pitié supérieure, cette pitié sublime qui s'attache à la personne du criminel par cela même qu'il est criminel. Faire du péché le plus déplorable des malheurs, c'est une idée uniquement chrétienne; et la religion seule qui a inventé une telle infortune pouvait inventer une telle compassion. C'est en considérant Phèdre de ce point de vue que nous concevons qu'elle ait obtenu, quoique tout imprégnée d'amour, l'approbation du pieux Arnauld, qui croyait y voir un vivant tableau de l'âme abandonnée à elle-même et privée des influences de la grâce. N'ALLONS point plus avant. Demeurons, chère OEnone. (Elle s'assied.) OENONE. Dieux tout-puissants, que nos pleurs vous apaisent! PHÈDRE. Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent! OENONE. Comme on voit tous ses vœux l'un l'autre se détruire!' PHÈDRE. Noble et brillant auteur d'une triste famille, OENONE. Quoi! vous ne perdrez point cette cruelle envie ! PHÈDRE. Dieux, que ne suis-je assise à l'ombre des forêts! Quoi, madame ! OENONE. PHÈDRE. Insensée! où suis-je, et qu'ai-je dit? OENONE. Ah! s'il vous faut rougir, rougissez d'un silence Rebelle à tous nos soins, sourde à tous nos discours, 29 Et rendra l'espérance au fils de l'étrangère, Ce fils qu'une Amazone a porté dans son flanc, PHÈDRE. Ah dieux ! OENONE. Ce reproche vous touche? PHÈDRE. Malheureuse, quel nom est sorti de ta bouche! OENONE. Hé bien, votre colère éclate avec raison. Commande au plus beau sang de la Grèce et des dieux. PHÈDRE. J'en ai trop prolongé la coupable durée. OENONE. Quoi! de quelques remords êtes-vous déchirée ? Grâces au ciel, mes mains ne sont point criminelles. OENONE. Et quel affreux projet avez-vous enfanté, Dont votre cœur encor doive être épouvanté ? PHÈDRE. Je t'en ai dit assez. Épargne-moi le reste. Je meurs, pour ne point faire un aveu si funeste. OENONE. Mourez donc, et gardez un silence inhumain. Mais, pour fermer vos yeux, cherchez une autre main. Quoiqu'il vous reste à peine une faible lumière, PHÈDRE. Quel fruit espères-tu de tant de violence? OENONE. Et que me direz-vous qui ne cède, grands dieux, PHÈDRE. Quand tu sauras mon crime, et le sort qui m'accable, OENONE. Madame, au nom des pleurs que pour vous j'ai versés, Par vos faibles genoux que je tiens embrassés, Délivrez mon esprit de ce funeste doute. Tu le veux lève-toi. PHÈDRE. OENONE. Parlez, je vous écoute. PHÈDRE. Ciel ! que lui vais-je dire? et par où commencer? OENONE. Par de vaines frayeurs cessez de m'offenser. PHÈDRE. O baine de Vénus! ô fatale colère ! Dans quels égarements l'amour jeta ma mère ! OENONE. Oublions-les, madame; et qu'à tout l'avenir PHÈDRE. Ariane, ma sœur! de quel amour blessée, OENONE. Que faites-vous, madame? et quel mortel ennui |