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prime pas? Que signifient donc ces mots de la manière suivante, et quel est l'objet des articles qui suivent? N'ai-je pas dit nettement dans plusieurs de ces articles que la notification est au roi, et la résolution, l'approbation, l'improbation, à l'Assemblée nationale? Ne résulte-t-il pas évidemment de chacun de mes articles, que le roi ne pourra jamais entreprendre la guerre, même la continuer, sans la décision du Corps législatif? Où est le piége?

Je ne connais qu'un seul piége dans cette discussion : c'est d'avoir affecté de ne donner au Corps législatif que la décision de la guerre et de la paix, et cependant d'avoir, par le fait, au moyen d'une réticence, d'une déception de mots, exclu entièrement le roi de toute participation, de toute influence à l'exercice du droit de la paix et de la guerre.

Je ne connais qu'un seul piége dans cette affaire; mais ici un peu de maladresse vous a dévoilé c'est, en désignant la déclaration de la guerre dans l'exercice du droit comme un acte de pure volonté, de l'avoir en conséquence attribué au Corps législatif seul, comme si le Corps législatif, qui n'est pas le pouvoir législatif, avait, sans nul concours du monarque, l'attribution exclusive de la volonté.

Troisième article. Nous sommes d'accord.

Quatrième article. Vous avez prétendu que je n'avais exigé la notification que dans le cas d'hostilité; que j'avais supposé que toute hostilité était une guerre, et qu'ainsi je laissais faire la guerre sans le concours du Corps législatif. Quelle insigne mauvaise foi! J'ai exigé la notification dans le cas d'hostilités imminentes ou commencées, d'un allié à soutenir, d'un droit à conserver par la force des armes : ai-je, ou non, compris tous les cas? Où est le piége?

J'ai dit, dans mon discours, que souvent les hostilités précéderaient toute délibération; j'ai dit que ces hostilités pourraient être telles, que l'état de guerre fût commencé qu'avez-vous répondu? Qu'il n'y avait guerre que par la déclaration de guerre. Mais disputons-nous sur les choses ou sur les mots? Vous avez dit sérieusement ce que M. de Bougainville disait au combat de Grenade, dans un moment de gaîté héroïque; les boulets roulaient sur son bord; il cria à ses officiers: Ce qu'il y a d'aimable, Messieurs, c'est que nous ne sommes point en guerre; et en effet, elle n'était pas déclarée.

Vous vous êtes longuement étendu sur le cas actuel de l'Espagne. Une hostilité existe; l'assemblée nationale d'Espagne n'aurait-elle pas à délibérer? Oui, sans doute, et je l'ai dit; et mon décret a formellement prévu ce cas: ce sont des hostilités commencées, un droit à conserver, une guerre imminente. Donc, avez-vous conclu, l'hostilité ne constitue pas l'état de guerre. Mais si, au lieu de deux navires pris et relâchés dans le Nootkasound, il y avait eu un combat entre deux vaisseaux de guerre; si, pour les soutenir, deux escadres s'étaient mêlées de la querelle; si un général entreprenant eût poursuivi le vaincu jusque dans ses ports; si une île importante avait été enlevée, n'y aurait-il pas alors état de guerre? Ce sera tout ce que vous voudrez; mais, puisque ni votre décret ni le mien ne présentent le moyen de faire devancer de pareilles agressions par la délibération du Corps législatif, vous conviendrez que ce n'est pas là la question : mais où est le piége?

pas

Cinquième article. J'ai voulu parler d'un fait possible, et que vous ne prévoyez pas dans votre décret. Dans le cas d'une hostilité reçue et repoussée, il peut exister une agression coupable; la nation doit avoir le droit d'en poursuivre l'auteur et de le punir il ne suffit pas alors de ne pas faire la guerre, il faut réprimer celui qui, par une démarche imprudente ou perfide, aurait couru le risque ou tenté de nous y engager. J'en indique le moyen, est-ce là un piége? Mais, dites-vous, je suppose donc que le pouvoir exécutif a le droit de commencer les hostilités, de commettre une agression. Non, je ne lui donne pas ce droit, puisque je le lui ôte formellement; je ne permets l'agression, puisque je propose de la punir. Que fais-je donc ? Je raisonne sur un fait possible, et que ni vous ni moi ne pouvons prévenir. Je ne puis pas faire que le dépositaire suprême de toutes les forces nationales n'ait pas de grands moyens et les occasions d'en abuser; mais cet inconvénient ne se trouve | t-il pas dans tous les systèmes? Ce sera, si vous le voulez, le mal de la royauté; mais prétendez-vous que des institutions humaines, qu'un gouvernement fait par des hommes, pour des hommes, soit exempt d'inconvénients? Prétendez-vous, parce que la royauté a des dangers, nous faire renoncer aux avantages de la royauté? Dites-le nettement; alors ce sera à nous de déterminer si, parce que le feu brûle, nous devons nous priver de la chaleur, de la lumière que nous empruntons de lui. Tout peut se

soutenir, excepté l'inconséquence dites-nous qu'il ne faut pas de roi; ne nous dites pas qu'il ne faut qu'un roi impuissant, inutile.

Il est plus que temps de terminer ces longs débats. Désormais j'espère que l'on ne dissimulera plus le vrai point de la difficulté. Je veux le concours du pouvoir exécutif à l'expression de la volonté générale en fait de paix et de guerre, comme la Constitution le lui a attribué dans toutes les parties déjà fixées de notre système social. . . . Mes adversaires ne le veulent pas. Je veux que la surveillance de l'un des délégués du peuple ne l'abandonne pas dans les opérations les plus importantes de la politique; et mes adversaires veulent que l'un des délégués possède exclusivement la faculté du droit de la guerre, comme si, lors même que le pouvoir exécutif serait étranger à la confection de la volonté générale, nous avions à délibérer sur le seul fait de la déclaration de la guerre, et que l'exercice du droit n'entraînât pas une série d'opérations mixtes où l'action et la volonté se pressent et se confondent.

Voilà la ligne qui nous sépare. Si je me trompe, encore une fois, que mon adversaire m'arrête, ou plutôt qu'il substitue dans ⚫ son décret à ces mots : le Corps législatif, ceux-ci: le pouvoir législatif, c'est-à-dire un acte émané des représentants de la nation et sanctionné par le roi; et nous sommes parfaitement d'accord, sinon dans la pratique, du moins dans la théorie; et nous verrons alors si mon décret ne réalise pas mieux que tout autre cette théorie.

On vous a proposé de juger la question par le parallèle de ceux qui soutiennent l'affirmative et la négative. On vous a dit que vous verriez, d'un côté, des hommes qui espèrent s'avancer dans les armées ou parvenir à gérer les affaires étrangères, des hommes qui sont liés avec les ministres et leurs agents; de l'autre, <«<le citoyen paisible, vertueux, ignoré, sans ambition, qui trouve >> son bonheur et son existence dans l'existence et le bonheur

» commun. »

Je ne suivrai pas cet exemple. Je ne crois pas qu'il soit plus conforme aux convenances de la politique qu'aux principes de la morale, d'affiler le poignard dont on ne saurait blesser ses rivaux sans en ressentir bientôt sur son propre sein les atteintes. Je ne crois pas que des hommes qui doivent servir la cause publique en véritables frères d'armes, aient bonne grâce à se

combattre en vils gladiateurs, à lutter d'imputations et d'intrigues, et non de lumières et de talent; à chercher dans la ruine et la dépression les uns des autres de coupables succès, des trophées d'un jour, nuisibles à tout et même à la gloire. Mais je vous dirai Parmi ceux qui soutiennent ma doctrine vous compterez tous les hommes modérés qui ne croient pas que la sagesse soit dans les extrêmes, ni que le courage de démolir ne doive jamais faire place à celui de reconstruire; vous compterez la plupart de ces énergiques citoyens qui, au commencement des états-généraux (c'est ainsi que s'appelait alors cette convention nationale, encore garrottée dans les langes de la liberté), foulèrent aux pieds tant de préjugés, bravèrent tant de périls, déjouèrent tant de résistances pour passer au sein des communes, à qui ce dévouement donna les encouragements et la force qui ont vraiment opéré votre révolution glorieuse; vous y verrez ces tribuns du peuple que la nation comptera longtemps encore, malgré les glapissements de l'envieuse médiocrité, au nombre des libérateurs de la patrie; vous y verrez des hommes dont le nom désarme la calomnie, et dont les libellistes les plus effrénés n'ont pas essayé de ternir la réputation ni d'hommes privés, ni d'hommes publics; des hommes enfin qui, sans tache, sans intérêt et sans crainte, s'honoreront jusqu'au tombeau de leurs amis et de leurs ennemis.

DISCOURS DE MIRABEAU

SUR LA MORT DE FRANKLIN.

MESSIEURS, Franklin est mort . . . Il est retourné au sein de la Divinité, le génie qui affranchit l'Amérique et versa sur l'Europe des torrents de lumière.

Le sage que deux mondes réclament, l'homme que se disputent l'histoire des sciences et l'histoire des empires, tenait sans doute un rang élevé dans l'espèce humaine.

Assez longtemps les cabinets politiques ont notifié la mort de ceux qui ne furent grands que dans leur éloge funèbre; assez longtemps l'étiquette des cours a proclamé des deuils hypocrites. Les nations ne doivent porter que le deuil de leurs bienfaiteurs; les représentants des nations ne doivent recommander à leur hommage que les héros de l'humanité.

Le Congrès a ordonné dans les quatorze États de la confédération un deuil de deux mois pour la mort de Franklin, et l'Amérique acquitte en ce moment ce tribut de vénération pour l'un des pères de sa constitution.

Ne serait-il pas digne de nous, Messieurs, de nous unir à cet acte religieux, de participer à cet hommage rendu, à la face de l'univers, et aux droits de l'homme, et au philosophe qui a le plus contribué à en propager la conquête sur toute la terre? L'antiquité eût élevé des autels à ce vaste et puissant génie qui, au profit des mortels, embrassant dans sa pensée le ciel et la terre, sut dompter la foudre et les tyrans. La France, éclairée et libre, doit du moins un témoignage de souvenir et de regret à l'un des plus grands des hommes qui aient jamais servi la philosophie et la liberté.

Je propose qu'il soit décrété que l'Assemblée nationale portera pendant trois jours le deuil de Benjamin Franklin.

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