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» aux nations qu'Anne de Gonzague se soit convertie pour avoir vu un aveugle, une poule et un chien en songe, et qu'elle soit morte entre les mains d'un directeur. >> Ce que Bossuet a voulu rendre immortel, ce n'est pas Anne de Gonzague, mais le souvenir d'une merveille de la grâce divine; et peut-être un tel souvenir importe plus aux nations que celui des batailles du grand Condé. Que n'est l'histoire de tous les princes, de tous les peuples, de tous les hommes, semblable à celle que raconte ici Bossuet! Que ne sont, au même titre, toutes les destinées humaines également ennuyeuses et obscures! Ne doutons pas, au surplus, que Voltaire n'ait rangé, ou plutôt n'ait trouvé tout le monde du parti de ses dédains. L'esprit d'alors, cet esprit dont les préventions irréligieuses ont les caractères de l'hydrophobie, cet esprit qui, portant la bigoterie dans l'impiété, obligeait le traducteur des Nuits d'Young à reléguer dans des notes, comme de viles rognures, les passages les plus sublimes de son original, a jeté un voile sur les plus touchantes beautés de l'éloge d'Anne de Gonzague. Ces beautés, j'en conviens, appartiennent plus au sermon qu'à l'oraison funèbre telle que le 17e siècle et Bossuet l'avaient faite; mais c'était rentrer, par un détour, dans le vrai génie de la chaire chrétienne, et la ressaisir de tous ses avantages. Bossuet n'est ni tout entier ni de tout son cœur dans le genre mixte, et peut-être faux, du panégyrique. « L'opinion des gens du monde, » dit M. de Barante, fait souvent des oraisons funèbres de Bossuet son premier, son plus glorieux >> titre à l'éloquence. Sans doute le langage en est admirable; mais ce qui leur a valu ce » succès classique, c'est précisément un mérite littéraire et une habileté de panégyriste' » qui, lorsqu'on y réfléchit sérieusement, ne sont pas en complète harmonie avec la » chaire de vérité. Peut-être lui-même en jugeait-il ainsi.... Son génie se trouve dans » seş sermons plus peut-être qu'en aucune autre production. » Cette dernière observation me semble aussi vraie qu'elle est nouvelle.

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Il y a, dans cette même oraison funèbre, des familiarités de récit et de style qui prêtent à la dérision des esprits profanes. Ce n'est pas que les détails familiers ne leur plaisent quelquefois. Ils pourront célébrer en choeur avec le cardinal Maury, dans un hymne de quinze pages, trois petits mots où Bossuet rappelle délicatement le don d'une bague; mais le récit fidèle des songes touchants qui amenèrent l'éveil de la princesse palatine à la véritable vie, n'appelle sur leurs lèvres que le sourire du mépris. « C'est donc là, » s'écrie Voltaire, « ce que rapporte cet illustre Bossuet, qui s'élevait dans le même temps » avec un acharnement si impitoyable contre les visions de l'élégant et sensible archevêque de Cambrai ! O Démosthène et Sophocle! ô Cicéron et Virgile! qu'eussiez-vous dit si, dans votre temps, des hommes, d'ailleurs éloquents, avaient débité sérieusement » de pareilles pauvretés? » Démosthène n'est pas ici une fort heureuse rencontre : lui qui, dans une de ses Philippiques, a tiré un de ses plus heureux effets d'éloquence de l'histoire imaginaire d'un âne. — Il est d'ailleurs superflu de discuter cette critique : les superstitions littéraires du 18e siècle sont mortes; l'antique et la nature ont cessé de nous étonner, et nous n'en sommes plus à ne trouver de noblesse que dans les réticences, de poésie que dans la périphrase.

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DISCOURS DE MIRABEAU

SUR L'EXERCICE DU DROIT DE LA PAIX ET DE LA GUERRE.

Deux systèmes, qui vont s'exposer d'eux-mêmes dans les pages suivantes, furent soutenus tour à tour dans une mémorable discussion, où les deux plus célèbres orateurs de l'Assemblée constituante, Barnave et Mirabeau, mesurèrent l'un contre l'autre des forces qui passaient alors pour s'égaler mutuellement. Le talent de Barnave et la popularité de son opinion lui valurent un triomphe dont Mirabeau ne le laissa pas jouir longtemps. Ce puissant orateur vint, le lendemain même, défendre son projet de décret, et l'arracha, déchiré il est vrai, des mains de son habile adversaire. Nous avons cru devoir donner, ne fût-ce que comme introduction, le discours de Barnave'.

<< Messieurs,» dit Barnave,« jamais objet plus important n'a fixé les regards de cette assemblée. La question qui s'agite aujourd'hui intéresse essentiellement votre Constitution; c'est d'elle que dépend son salut. Il ne vous reste plus à constituer que la force publique; il faut le faire de manière qu'elle s'emploie avec succès pour repousser les étrangers et arrêter les invasions, mais qu'elle ne puisse jamais être tournée contre le pays. Au point où nous sommes arrivés, il ne s'agit plus de disputer sur les principes et sur les faits historiques, ou sur toute autre considération: il faut réduire la question à ses termes les plus simples, en chercher les difficultés, et tâcher de les résoudre. Je laisse de côté tous les projets de décret qui attribuent au roi le droit de faire la guerre ils sont incompatibles avec la liberté; ils n'ont pas besoin d'être approfondis ; la contestation existe entre les décrets puisés dans le système 2 général de notre Constitution. Plusieurs opinants, MM. Pétion, de St-Fargeau, de Menou, ont présenté des décrets qui, avec des différences de rédaction, arrivent au même but. M. de Mirabeau en a offert un autre qui, destiné, je le crois, à remplir le même objet, ne paraît pas répondre suffisamment aux intentions annoncées; c'est celui-là que je vais discuter. L'examen que j'en ferai est tellement lié à la question principale, que lorsque j'aurai examiné toutes les parties de ce projet, j'arriverai immédiatement à la conclusion.

>> M. de Mirabeau propose que le pouvoir de déclarer la guerre soit exercé concurremment par le roi et par les représentants du peuple. Cette concurrence ne me semble autre chose qu'une confusion de pouvoirs politiques, une anarchie constitutionnelle. Toutefois, ce défaut d'une rédaction vague et sans

1) Voir, sur cette discussion et sur son résultat, l'Histoire de l'Assemblée consti tuante par A. Lameth, T. II, p. 96 et suiv.

limites précises ne serait rien si le résultat du décret ne l'interprétait point. Le vice radical du projet de M. de Mirabeau est que, par une confusion d'idées, il donne de fait au roi, exclusivement, le droit de faire la guerre.

» Il est universellement reconnu que le roi doit pourvoir à la défense des frontières et à la conservation des possessions nationales; il est reconnu que, sans la volonté du roi, il peut exister des différends entre les individus de la nation et les individus étrangers. M. de Mirabeau a paru penser que c'était là que commençait la guerre; qu'en conséquence, le commencement de la guerre étant spontané, le droit de déclarer la guerre ne pouvait appartenir au Corps législatif. En partant de cette erreur, en donnant une grande latitude aux hostilités, en les portant jusqu'à la nécessité de défendre les droits nationaux, M. de Mirabeau a attribué au roi le droit de faire toute espèce de guerre, même les guerres injustes, et laissé à la nation la frivole ressource, le moyen impuissant, d'arrêter la guerre quand la cessation devient impossible. Cependant il est universellement reconnu par les militaires, par les marins, par tous ceux qui connaissent le droit des gens, il est établi par l'autorité de Montesquieu et de Mably, que des hostilités ne sont nullement une déclaration de guerre; que les hostilités premières ne sont que des duels de particulier à particulier, mais que l'approbation et la protection que donne la nation à ces hostilités, constituent seules la déclaration de la guerre.

» En effet, si le commencement des hostilités constituait les nations en état de guerre, ce ne serait plus ni le pouvoir législatif ni le pouvoir exécutif qui le déclarerait : ce serait le premier capitaine de vaisseau, le premier marchand, le premier officier qui, en attaquant un individu, ou en résistant à son attaque, s'emparerait du droit de déclarer la guerre. Il est bien vrai que ces hostilités deviennent souvent des principes de guerre, mais c'est toujours par la volonté de la nation que la guerre commence: on rapporte l'offense à ceux qui ont l'exercice du droit ; ils examinent s'il y a intérêt à soutenir l'offense, à demander une réparation. Si on la refuse, c'est alors que la guerre est ou repoussée ou entreprise par la volonté publique. Il s'en présente en ce moment un exemple frappant. Chacun sait ce qui s'est passé dans la mer du Sud entre l'Angleterre et l'Espagne. Eh bien! je demande s'il y a actuellement guerre entre ces deux nations; si le pouvoir qui dispose de ce droit l'a déclarée; si les choses ne sont pas encore entières. Qu'arriverait-il si l'Espagne avait une assemblée nationale? Les agents du pouvoir exécutif donneraient aux représentants de la nation espagnole connaissance des hostilités commencées; d'après ces rapports, l'assemblée examinerait s'il est de la justice, de l'intérêt de la nation, de continuer ces hostilités. Si la justice exigeait une réparation, elle l'accorderait; si au contraire elle trouvait juste de refuser cette réparation, elle déciderait la guerre, et chargerait le roi d'exécuter cette décision. Voilà le cas où se trouve la nation française. Des hostilités, de quelque nature qu'elles soient, seront toujours de simples hostilités, du

moment où la législature n'aura pas déclaré la guerre. Ainsi les hostilités peuvent conduire la nation à la guerre, mais ne peuvent jamais la priver de déclarer qu'elle préfère se soumettre aux plus grands sacrifices; donc, jamais un État ne peut être constitué en guerre sans l'approbation de ceux en qui réside le droit de la faire. Le raisonnement de M. de Mirabeau n'est donc qu'un moyen d'éluder la question, qu'un écart de la question. Il est indispensable de savoir le moment où la nation est en guerre, et à qui il appartient de la déclarer en son nom. Quoique le projet de M. de Mirabeau semble annoncer que le roi déclarera la guerre concurremment avec le Corps législatif, il est évident qu'il confie réellement ce droit au pouvoir exécutif, puisque, après que ces mesures auront précédé et peut-être déterminé l'agression, c'est encore lui qui décidera si les hostilités seront continuées. Je demande si la faculté qu'on laisse au Corps législatif de décider si la guerre cessera, n'est pas illusoire; si, lorsque la guerre sera commencée, lorsqu'elle aura excité les mouvements de puissances redoutables, le Corps législatif pourra déclarer qu'elle ne sera pas continuée. C'est donc au roi que le projet attribue constitutionnellement le droit de déclarer la guerre; c'est si bien là le système du préopinant, qu'il l'a appuyé de tous les raisonnements employés par les personnes qui soutiennent la même opinion que lui. Pour combattre ce système, je n'aurai donc qu'à examiner les propositions et les maximes déjà développées devant vous.

>> On s'est attaché à établir qu'il existait des inconvénients plus nombreux et plus graves à attribuer aux législateurs le droit de déclarer la guerre, qu'à le déléguer au pouvoir exécutif, et on a proposé différents moyens pour pallier les dangers attachés au dernier parti. On a dit que le droit de faire la guerre exigeait de l'unité, de la promptitude et du secret, et qu'on ne pouvait en supposer dans les délibérations du Corps législatif. En s'appuyant sur l'exemple des républiques, on n'a pas cessé de comparer notre Constitution avec la démocratie de la place publique d'Athènes, avec le sénat aristocratique de Rome, qui tâchait de distraire le peuple de la liberté par la gloire; on l'a confondue avec celle de Suède, où il existe quatre ordres différents, divisés en quatre chambres, le roi et le sénat, où les pouvoirs publics sont dispersés en six pouvoirs divers qui ne cessent de lutter entre eux, et qui, après avoir combattu la délibération, combattent encore l'exécution, ainsi que vous l'avez vu dans leurs derniers troubles; on l'a comparée avec celle de la Hollande; on n'a pas craint même de l'assimiler à celle de la Pologne, où des aristocrates rassemblés, exerçant individuellement un veto personnel, sont obligés de prendre à l'unanimité leurs délibérations, où les guerres extérieures doivent toujours être malheureuses, puisque la guerre intestine est, par cet impolitique veto, presque constitutionnelle dans ce pays.

» Il est donc impossible de tirer aucune conséquence de ces Constitutions pour les appliquer à la France, où les intérêts sont discutés par une assemblée

composée d'hommes qui n'existent pas par leurs droits, mais élus par le peuple, renouvelée tous les deux ans, assez mais non pas trop nombreuse pour parvenir à un résultat mûr. Examinons maintenant la nature même des choses.

» Est-il vrai qu'accorder aux législateurs le droit de faire la guerre, ce serait enlever la promptitude et le secret qu'on regarde comme absolument nécessaires? Quant à la promptitude, il me semble qu'en confiant au roi le droit de faire tous les préparatifs qu'exige pour le moment la sûreté de l'État, et les mesures nécessaires pour l'avenir, on a levé tous les inconvénients. Le roi fait mouvoir à son gré toutes les troupes de terre et de mer; il les dirige, comme il le juge convenable, vers les frontières et sur tous les points du royaume, lorsqu'il croit apercevoir dans les mouvements d'un empire voisin des dispositions contre lesquelles il semble prudent de se mettre en garde. Le Corps 'législatif s'assemble tous les ans pendant quatre mois. S'il est séparé, rien de plus facile que de le convoquer: ce rassemblement se fera pendant les préparatifs qui précèdent toujours une action. Le roi et ses agents auront tous les moyens de repousser une attaque subite et de prendre des mesures pour le danger à venir. Ainsi, la promptitude sera la même, et vous aurez pourvu à votre indépendance sans avoir à craindre pour votre liberté. Quant au secret, je demanderai d'abord si ce secret existe réellement. On a déjà prouvé le contraire; mais, s'il pouvait exister, serait-il utile? Je répondrai en m'appuyant de l'autorité bien imposante de l'abbé Mably. Il a constamment pensé que la politique de la nation française devait exister non dans le secret, mais dans la justice. Mably pensait que, pour la puissance dominante de l'Europe, il n'y avait d'autre politique à suivre que la loyauté et une fidélité constante; il a démontré que, de même que dans les finances la confiance double le crédit, de même il existe un crédit politique qui place en vous la confiance des nations, et qui double votre influence. Mais dans quel cas le secret serait-il nécessaire? C'est lorsqu'il s'agit de mesures provisoires, de négociations, d'opérations entre une nation et une autre ; tout cela doit être attribué au pouvoir exécutif: les avantages réels du secret sont donc conservés. Il n'y en aurait aucun à tenir caché ce qui fera l'objet de vos délibérations. L'acceptation définitive des articles d'un traité de paix, la résolution de déclarer la guerre, rien de tout cela ne peut être dissimulé. Tout ce que vous vous réservez ne peut et ne doit donc être fait qu'au grand jour. Dans toute constitution où le peuple a une influence quelconque, la faculté de délibérer oblige à la même publicité. Lorsque l'Angleterre délibèresur l'octroi des subsides, n'est-elle pas obligée de discuter en même temps si la guerre qui les rend nécessaires est juste et légitime?

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Après avoir écarté les principaux motifs par lesquels on a cherché à prouver que le droit de la guerre ne pouvait être attribué au Corps législatif,

il reste à examiner les inconvénients qui résulteraient de confier ce droit au 21

III.

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