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Où je puisse, à midi, rêvant au bruit des eaux,
Mêler ma poésie aux rimes des oiseaux;
A droite, une rizière où le bengali chante;
D'un vieil arbre à mon seuil l'attitude penchante,
Où, tous les ans, viendront les martins au bec d'or
Suspendre leurs doux nids et couver leur trésor;
Un jardin clos d'un mur où rampe la raquette;
Une ruche, et des fleurs dont l'oiseau vert becquette
La poudreuse étamine et l'odorant émail;

Des buissons d'orangine aux perles de corail;
Un parterre où toujours j'aurai de préférence
Des roses du Bengale et des muguets de France;
Une verte tonnelle à l'ombre des lilas,

Dont la fleur m'est si douce et meurt si vite, hélas !
Des livres, une femme, heureuse et jeune épouse,
Avec deux beaux enfants jouant sur la pelouse;
Et, fermant de mes jours le cercle fortuné,
Le bonheur de mourir aux lieux où je suis né!

M. LACAUSSADE

XVIII.

LA tombe dit à la rose:

-Des pleurs dont l'aube t'arrose

Que fais-tu, fleur des amours?
La rose dit à la tombe:

-Que fais-tu de ce qui tombe
Dans ton gouffre ouvert toujours ?

La rose dit:-Tombeau sombre,
De ces pleurs je fais dans l'ombre
Un parfum d'ambre et de miel.
La tombe dit:-Fleur plaintive,
De chaque âme qui m'arrive

Je fais un ange du ciel!

V. HUGO (Les Voix intérieures).

XIX.

LA pauvre fleur disait au papillon céleste :
-Ne fuis pas !

Vois comme nos destins sont différents: Je reste,
Tu t'en vas!

Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les hommes
Et loin d'eux,

Et nous nous ressemblons, et l'on dit que nous sommes
Fleurs tous deux!

Mais, hélas! l'air t'emporte et la terre m'enchaîne;
Sort cruel!

Je voudrais embaumer ton vol de mon haleine

Mais

non,

Dans le ciel !

tu vas trop loin!--Parmi des fleurs sans nombre Vous fuyez,

Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre

A mes pieds!

Tu fuis, puis tu reviens, puis tu t'en vas encore
Luire ailleurs.

Aussi me trouves-tu toujours à chaque aurore
Toute en pleurs!

Oh! pour que notre amour coule des jours fidèles,
O mon roi,

Prends comme moi racine, ou donne-moi des ailes

Comme à toi!

V. HUGO (Chants du Crépuscule, 1835).

XX.

HYMNE DE L'ENFANT À SON RÉVEIL.

O PÈRE qu'adore mon père!
Toi qu'on ne nomme qu'à genoux!
Toi, dont le nom terrible et doux
Fait courber le front de ma mère !

On dit que ce brillant soleil
N'est qu'un jouet de ta puissance;
Que sous tes pieds il se balance
Comme we lampe de vermeil.

On dit que c'est toi qui fais naître
Les petits oiseaux, dans les champs,
Et qui donne aux petits enfants
Une âme aussi pour te connaître!

On dit que c'est toi qui produis Les fleurs dont le jardin se pare; Et que, sans toi, toujours avare, Le verger n'aurait point de fruits.

Aux dons que ta bonté mesure
Tout l'univers est convié;
Nul insecte n'est oublié

A ce festin de la nature.

L'agneau broute le serpolet;
La chèvre s'attache au cytise;
La mouche, au bord du vase, puise
Les blanches gouttes de mon lait;

L'alouette a la graine amère
Que laisse envoler le glaneur,
Le passereau suit le vanneur,
Et l'enfant s'attache à sa mère.

Et pour obtenir chaque don,
Que chaque jour tu fais éclore,
A midi, le soir, à l'aurore,
Que faut-il? prononcer ton nom!

O Dieu! ma bouche balbutie
Ce nom, des anges redouté.
Un enfant même est écouté,
Dans le chœur qui te glorifie!

Ah! puisqu'il entend de si loin
Les vœux que notre bouche adresse,
Je veux lui demander sans cesse
Ce dont les autres ont besoin.

Mon Dieu, donne l'onde aux fontaines,
Donne la plume aux passereaux,

Et la laine aux petits agneaux,
Et l'ombre et la rosée aux plaines.

Donne au malade la santé,
Au mendiant le pain qu'il pleure,
A l'orphelin une demeure,
Au prisonnier la liberté.

Donne une famille nombreuse
Au père qui craint le Seigneur ;
Donne à moi sagesse et bonheur,
Pour que ma mère soit heureuse!

A. DE LAMARTINE (Harmonies poétiques, 1830).

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