Malgré ses pleurs et ses remords,
Le jeune voyageur est conduit au supplice. "Hélas!" s'écriait-il, "que mon sort est cruel! Je lègue à ma famille une affreuse mémoire; Je meurs comme un vil criminel;
Et ne voulais pourtant dérober qu'une poire."
LES DEUX BUISSONS.
DANS un jardin, côte à côte plantés, Devisaient deux buissons d'espèces différentes. L'un offrait aux yeux enchantés Un feuillage charmant et des fleurs odorantes; L'autre, au bois dur et raboteux,
Quoique doué pourtant de qualités utiles, De ses rameaux à la taille indociles Jetait de tous côtés les grapins épineux.
"Comment fais-tu? disait-il à son frère, Chacun à ton aspect prend un air avenant, T'aborde avec plaisir, te caresse, te flaire, Te quitte avec regret et te revient souvent; Tandis qu'on me regarde à peine.
On me laisse en mon coin; on n'ose me toucher; On craint même de m'approcher.
D'où te vient tant d'amour? D'où me vient tant de haine ?”
L'autre répond: "Ami, soyons de bonne foi; Personne impunément ne passe auprès de toi. De ton bois hérissé l'inflexible rudesse Oppose à tout venant quelque dard qui le blesse ; Et tu n'es qu'un objet d'effroi ;
Tandis qu'à la main qui me presse, J'offre partout un feuillage moelleux; Et le doux parfum que j'y laisse,
Loin d'écarter les gens, est un attrait pour eux. Apprends à vivre seul, ou sois plus sociable.
Le monde rend ce qu'on lui fait:
Il fuit ce qui repousse, il cherche ce qui plaît; Et qui veut être aimé doit au moins être aimable." M. VIENNET (Fables, 1843).
SUR le bord de la mer des enfants s'amusaient. Rien n'altérait l'éclat de la voûte azurée; Mais contre les rochers en montant se brisaient Les flots houleux de la marée.
Les bambins entassaient, d'une main impuissante, Des digues de cailloux cimentés de gravier Contre la vague envahissante.
Un pêcheur au front chauve aperçut par hasard
Ces fous, qui se croyaient les maîtres du rivage. Amis, leur cria le vieillard,
Prêtez l'oreille au bruit de l'océan sauvage. En bâtissant des murs de sable et de galets, Vous n'arrêterez pas sa marche sûre et prompte. Les lames viennent; voyez-les !
Prenez garde à vous! la mer monte.
Ce conseil fut perdu. Les jeunes étourdis Par un vain espoir enhardis,
Ne l'écoutèrent point. Mais déjà sur le sable S'allongeait autour d'eux un cercle infranchissable. Que pouvait le pêcheur? Il était vieux et seul... A leur niveau prescrit les vagues arrivées, Dans leurs plis écumeux, comme dans un linceul, Roulèrent les enfants qui les avaient bravées.
L'exemple doit vous avertir,
Ennemis des progrès que le temps nous amèlie; Vous n'entendez point retentir
Le sourd mugissement de la marée humaine : Vous voulez entraver par de faibles remparts L'irrésistible flux que votre orgueil affronte: O vous que l'avenir presse de toutes parts, Prenez garde à vous! la mer monte.
ÉMILE DE LA BEDOLLIÈRI (1.'19
Des enfants, l'autre jour, jouaient à la cachette, J'en vis un qui monté dans un grenier à foin, De peur qu'elle ne fît découvrir sa retraite, Poussait à coups de pieds et rejetait au loin, Au risque presque sûr de la briser, l'échelle Dont il venait d'avoir besoin
Pour grimper dans sa citadelle;
Et cela ne m'étonna point,
Car plus d'un homme fait lui ressemble en ce point. Il est même fort ordinaire
D'en trouver qui, comblés d'honneurs, de dignités, Méconnaissent la main qui fit leur sort prospère: Ingrats qui vont jetant leur échelle par terre Pour qu'on ne sache pas comment ils sont montés. CL. TH. DU CHAFT (Fables, 1850).
LE souvenir, présent céleste, Ombre des biens que l'on n'a plus, Est encore un plaisir qui reste Après tous ceux qu'on a perdus.
COMTE L. PH. DE SÉGUR (Mémoires)
Il n'est rien ici-bas qui ne trouve sa pente : Le fleuve jusqu'aux mers dans les plaines serpente, L'abeille sait la fleur qui recèle le miel,
Toute aile vers son but incessamment retombe: L'aigle vole au soleil, le vautour à la tombe, L'hirondelle au printemps, et la prière au ciel. VICTOR HUGO (Feuilles d'automne, 1831),
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