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-Soit, mon enfant, lui répondit l'excellente Joséphine; mais vous ne pouvez aller seule à sa prison.

Je suis bien venue seule à votre château, répondit-elle vivement.

- Que votre Majesté nous permette d'accompagner mademoiselle Lajolais, demandèrent à la fois plusieurs officiers et aides de camp de l'empereur, que l'action, pourtant bien naturelle de mademoiselle Lajolais, avait remplis d'admiration.

- M. de Lavalette me rendra ce service, dit l'impératrice souriant gracieusement à l'un d'eux, ainsi que monsieur (désignant un aide de camp de service).-Vous vous servirez d'une de mes voitures... allez, messieurs, je vous confie mademoiselle Lajolais.

Bien qu'épuisée de fatigue, de besoin et d'émotion, Maria refusa de prendre et nourriture, et repos. Elle ne se tint en place que lorsqu'elle et ses conducteurs furent installés sur les coussins de la voiture impériale, qui partit au galop de six bons chevaux et franchit avec une rapidité incroyable la distance qui séparait Saint-Cloud de la prison. Pendant tout le trajet, Maria, droite et roide, tenait les yeux fixés sur le chemin qu'elle avait encore à parcourir; son regard semblait vouloir dévorer la distance; sa poitrine haletait, comme si c'était elle, et non les chevaux qui traînassent le carrosse et elle était pâle, si pâle, que deux ou trois fois ses compagnous lui adressèrent la parole, mais inutilement, elle ne les entendait pas.

Quand la voiture s'arrêta, elle s'élança par-dessus le marche-pied, avant que M. de Lavalette ait eu le temps de

lui offrir la main pour descendre: et ne pouvant articuler que ce mot, vite, vite! elle parcourait les longs corridors de la prison, précédant le geôlier et ses guides, et répétant toujours, vite, vite! Arrivée à la porte du cachot, il fallut bien qu'elle attendît que le geôlier en eût ouvert la serrure et tiré deux énormes verrous; mais à peine la porte eut-elle cédé, que, se précipitant dans l'intérieur, elle alla tomber dans les bras de son père, en criant:-Papa... l'empereur ... la vie... grâ... Elle ne put achever: sa voix se perdait en longs cris, chaque parole commencée finissait par uu sanglot.

Le général Lajolais crut un instant qu'on venait le chercher pour le conduire à la mort, et que sa fille, ayant trompé la vigilance des gardiens, avait tout bravé pour lui faire ses adieux.

Mais M. de Lavalette le détrompa bientôt: voyant que Maria vaincue par l'émotion ne pouvait articuler un son, il prit la parole:

- L'empereur vous accorde votre grâce, général, lui ditil, et vous la devez au courage et à la tendresse de votre fille.

Puis, avec une émotion dont il ne pouvait se défendre, il raconta au général Lajolais tout ce que sa fille avait fait pour lui.

Oh! combien elle était heureuse cette jeune fille! comme ce moment compensait et bien an delà tout ce qu'elle avait souffert jusqu'alors: souffert! avait-elle réellement souffert ? elle ne s'en souvenait plus. Toutes ses souffrances s'étaient effacées en se retrouvant auprès de son père, qui la serrait

avec transport dans ses bras, et couvrait son visage de baisers et de larmes.

Après ce premier accès de joie et de bonheur, on songea à madame Lajolais. Mais la bonne et excellente princesse Hortense ne l'avait point oubliée. Encore par l'intercession de sa mère, aussi bonne qu'elle, elle avait obtenu la grâce et la liberté de madame Lajolais condamnée à être déportée. La plus belle heure de la vie de mademoiselle Lajolais, fut celle où, par son courage et sa persévérance, elle se trouva de nouveau réunie à son père et à sa mère ! Il faut avoir souffert soi-même, il faut avoir été séparé de ses parents, et avoir tremblé pour leur vie, pour comprendre tout ce que ce moment de réunion eut de saint, de délicieux et de vraiment ineffable.

MME. EUGENIE FOA (

CONTES FANTASTIQUES.

L'ÉLÈVE E DU SORCIER.

Vous me demandez, Enfants, de vous raconter une histoire, une histoire étonnante, une histoire merveilleuse, une histoire incroyable. Vous êtes fatigués, dites-vous, des féeriques inventions modernes, et aux prodiges de la mécanique et de l'industrie, aux merveilles matérielles de notre siècle d'or et de fer tout à la fois, vous préférez les merveilles de l'imagination des poètes. Vous n'êtes point dégoûtés! Eh bien! Enfants, tâchez qu'à l'avenir vos pères se guident un peu sur vous: engagez-les à ne plus faire fi de ce qui ne donne ni argent, ni résultats palpables; rappelezleur que toutes les mines de la Californie ne peuvent acheter le don de poésie, présent céleste et gage d'immortalité, et que contre un Crésus dont l'Histoire a gardé le souvenir et dont le nom même n'est peut-être qu'un mythe, on compte une légion de poètes, d'artistes et de savants, éternel honneur de leur siècle et de l'humanité. Rappelez-leur surtout qu'à force d'aimer le positif on finit par ne plus aimer que la matière, et que ce culte de la matière, c'est la mort du vrai,

Et maintenant, Enfants, je vais vous satisfaire et vous

parler moins sérieusement. Vous désirer entendre, avezvous dit, un conte fantastique et merveilleux? Il me revient justement à la mémoire une amusante Chanson de Goëthe, le grand poète allemand, à laquelle j'emprunterai le fond du récit que je commence :

Il était naguère un Sorcier dont le nom n'est point parvenu jusqu'à nous : c'était cependant un grand Sorcier, un Sorcier comme on n'en voit plus du tout de nos jours. Jugez-en plutôt: il avait pour domestique un manche à balai,-non point un manche à balai ordinaire, comme bien vous pensez, mais un manche à balai qui s'allongeait et se raccourcissait à volonté, qui allait, venait, ne connaissait point d'obstacles, et ne savait qu'obéir aux moindres ordres de son maître, sans jamais se plaindre ni répliquer. On ne voit guère non plus de pareils domestiques à présent.

Ce manche à balai vraiment extraordinaire remplissait d'admiration l'élève auquel le Sorcier avait consenti à enseigner et à transmettre quelques uns de ses précieux secrets. Ce jeune homme, à force d'entendre répéter à son maître les paroles magiques qui faisaient accourir un serviteur unique en son genre, on peut l'affirmer, finit par les retenir sans trop de peine; mais, dès qu'il eut appris la fameuse phrase cabalistique à laquelle apparaissait soudain le merveilleux manche à balai, il se crut aussi savant que son vieux professeur et n'aspira plus qu'à devenir son rival. Du temps des Sorciers, les jeunes gens étaient volontiers présomptueux, et l'on prétend, à tort sans doute, que depuis lors ils n'ont pas beaucoup changé. Quoi qu'il en soit, l'apprenti magicien avait hâte de se trouver seul au logis

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