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dû fon falut dans la guerre civile, et depuis, l'agran-. diffement de fon royaume.

Uni par l'amitié avec l'archevêque de Cambrai, et chargé des ordres du roi contre lui, il chercha à concilier ces deux devoirs. Il eft conftant, par fes lettres, qu'il ne trahit jamais fon ministère en étant fidèle à fon ami. Il preffait le jugement du pape, felon les ordres de la cour; mais en même temps il tâchait d'amener les deux partis à une conciliation.

Un prêtre italien, nommé Giori, qui était auprès de lui l'efpion de la faction contraire, s'introduifit dans fa confiance, et le calomnia dans fes lettres; et pouffant la perfidie jufqu'au bout, il eut la baffeffe de lui demander un fecours de mille écus; et après l'avoir obtenu, il ne le revit jamais.

Ce furent les lettres de ce miférable qui perdirent le cardinal de Bouillon à la cour. (45) Le roi l'accabla de reproches, comme s'il avait trahi l'Etat. Il paraît pourtant, par toutes fes dépêches, qu'il s'était conduit avec autant de fageffe que de dignité.

Il obéiffait aux ordres du roi, en demandant la condamnation de quelques maximes pieusement ridicules des mystiques, qui font les alchimistes de la religion mais il était fidèle à l'amitié, en éludant les coups que l'on voulait porter à la perfonne de Fénélon. Suppofé qu'il importât à l'Eglife qu'on n'aimât pas DIE U pour lui-même, il n'importait pas que l'archevêque de Cambrai fût flétri. Mais le roi malheureufement voulut que Fénélon fût

(45) Elles furent appuyées par les intrigues de la princesse des Urfins, qui, après avoir été long-temps l'amie du cardinal, s'était brouillée avec lui pour unè ridicule querelle d'etiquette.

condamné; foit aigreur contre lui, ce qui femblait au-deffous d'un grand roi, foit afservissement au parti contraire, ce qui femble encore plus au-dessous de la dignité du trône; quoi qu'il en foit, il écrivit au cardinal de Bouillon, le 16 mars 1699, une lettre de reproches très-mortifiante. Il déclare dans cette lettre qu'il veut la condamnation de l'archevêque de Cambrai elle eft d'un homme piqué. Le Télémaque fefait alors un grand bruit dans toute l'Europe; et les Maximes des faints, que le roi n'avait point lues, étaient punies des maximes répandues dans le Télémaque, qu'il avait lues.

On rappela auffitôt le cardinal de Bouillon. Il partit; mais ayant appris, à quelques milles de Rome, que le cardinal doyen était mort, il fut obligé de revenir fur fes pas pour prendre poffeffion de cette dignité qui lui appartenait de droit, étant, quoique jeune encore, le plus ancien des cardinaux.

La place de doyen du facré college donne à Rome de très-grandes prérogatives; et felon la manière de penser de ce temps-là, c'était une chofe agréable pour la France qu'elle fût occupée par un français.

Ce n'était point d'ailleurs manquer au roi que de fe mettre en poffeffion de fon bien, et de partir enfuite. Cependant cette démarche aigrit le roi fans retour. Le cardinal en arrivant en France fut exilé, et cet exil dura dix années entières.

Enfin laffé d'une fi longue difgrâce, il prit le parti de fortir de France pour jamais en 1710, dans le temps que Louis XIV femblait accablé par

les alliés, et que le royaume était menacé de tous côtés.

Le prince Eugène, et le prince d'Auvergne, fes parens, le reçurent fur les frontières de Flandre où ils étaient victorieux. Il envoya au roi la croix de l'ordre du Saint-Esprit, et la démiffion de fa charge de grand-aumônier de France, en lui écrivant ces propres paroles: Je reprends la liberté que me

donnaient ma naiffance de prince étranger, fils " d'un fouverain, ne dépendant que de DIEU, et "ma dignité de cardinal de la sainte Eglise romaine ,, et de doyen du facré collége..... Je tâcherai de , travailler le refle de mes jours à fervir DIE U ", et l'Eglife dans la première place après la fuprême, &c. 19

Sa prétention de prince indépendant lui paraiffait fondée non-feulement fur l'axiome de plufieurs jurifconfultes, qui affurent que qui renonce à tout n'eft plus tenu à rien, et que tout homme eft libre de choifir fon féjour, mais fur ce qu'en effet le cardinal était né à Sédan dans le temps que fon père était encore fouverain de Sédan: il regardait fa qualité de prince indépendant comme un caractère ineffaçable. Et quant au titre de cardinal doyen, qu'il appelle la première place après la fuprême, il se justifiait par l'exemple de tous fes prédéceffeurs, qui ont paffé inconteftablement devant les rois à toutes les cérémonies de Rome.

La cour de France et le parlement de Paris avaient des maximes entièrement différentes. Le procureur - général d'Aguesseau, depuis chancelier, l'accufa devant les chambres affemblées, qui

rendirent contre lui un décret de prife de corps, et confifquèrent tous fes biens. Il vécut à Rome honoré quoique pauvre, et mourut victime du quiétifme qu'il méprifait, et de l'amitié qu'il avait noblement conciliée avec fon devoir.

Il ne faut pas omettre que, lorfqu'il fe retira des Pays-Bas à Rome, on fembla craindre à la cour qu'il ne devînt pape. J'ai entre les mains la lettre du roi au cardinal de la Trimouille, du 26 mai 1710, dans laquelle il manifefte cette crainte. On peut ,, tout préfumer, dit-il, d'un fujet prévenu de "l'opinion qu'il ne dépend que de lui feul. Il , fuffira que la place dont le cardinal de Bouillon " eft préfentement ébloui lui paraiffe inférieure à fa naissance et à fes talens: il fe croira toute voie " permise pour parvenir à la première place de » l'Eglife, lorsqu'il en aura contemplé la splendeur ,, de plus près.",

Ainfi en décrétant le cardinal de Bouillon, et en donnant ordre qu'on le mit dans les prifons de la conciergerie, fi on pouvait fe faifir de lui, on craignit qu'il ne montât fur le trône qui eft regardé comme le premier de la terre par tous ceux de la religion catholique; et qu'alors en s'uniffant avec les ennemis de Louis XIV, il ne fe vengeât encore plus que le prince Eugène; les armes de l'Eglife ne pouvant rien par elles-mêmes, mais pouvant alors beaucoup par celles d'Autriche.

CHAPITRE

DISPUTES, &c.

399

CHAPITRE

XXXIV.

Difputes fur les cérémonies chinoifes. Comment ce querelles contribuérent à faire profcrire le chriftianifme à la Chine.

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E n'était pas affez, pour l'inquiétude de notre efprit, que nous difputaffions au bout de dix-fept cents ans fur des points de notre religion, il fallut encore que celle des Chinois entrât dans nos querelles. Cette difpute ne produifit pas de grands mouvemens; mais elle caractérisa, plus qu'aucune autre, cet efprit actif, contentieux et querelleur qui règne dans nos climats.

Le jéfuite Matthieu Ricci, fur la fin du dix-septième siècle, avait été un des premiers miffionnaires de la Chine. Les Chinois étaient et font encore, en philofophie et en littérature, à peu-près ce que nous étions il y a deux cents ans. Le refpect pour leurs anciens maîtres leur prefcrit des bornes qu'ils n'ofent paffer. Le progrès dans les fciences eft l'ouvrage du temps et de la hardieffe de l'efprit. Mais la morale et la police étant plus aifées à comprendre que les fciences, et s'étant perfectionnées chez eux quand les autres arts ne l'étaient pas encore, il eft arrivé que les Chinois, demeurés depuis plus de deux mille ans à tous les termes où ils étaient parvenus, font reftés médiocres dans les fciences, et le premier peuple de la terre dans la morale et dans la police, comme le plus ancien.

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