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Madame Guyon extra

vagante.

ces difputes, de jeter les yeux fur l'histoire générale
du monde; car en obfervant tant de nations, tant de
mœurs, tant de religions différentes, on voit le peu
de figure que font fur la terre un molinifte et un jan-
fénifte. On rougit alors de fa frénéfie pour un parti
qui fe perd dans la foule et dans l'immenfité des
choses.

CHAPITRE XXX VIII.

Du quiétifme.

Au milieu des factions du calvinifme et des que-
relles du janfénisme, il y eut encore une division en
France fur le quiétifme. C'était une fuite malheu-
reufe des progrès de l'efprit humain dans le fiècle de
Louis XIV, que l'on s'efforçât de passer presque en
tout les bornes prescrites à nos connaissances, ou
plutôt c'était une preuve qu'on n'avait pas fait encore
affez de progrès.

La dispute du quiétisme est une de ces intempé-
rances d'efprit et de ces fubtilités théologiques qui
n'aurait laiffé aucune trace dans la mémoire des
hommes, fans les noms des deux illustres rivaux qui
combattirent. Une femme fans crédit, fans véritable
efprit, et qui n'avait qu'une imagination échauffée,
mit aux mains les deux plus grands hommes qui
fuffent alors dans l'Eglife. Son nom était Bouvières de
la Mothe. Sa famille était originaire de Montargis.
Elle avait épousé le fils de Guyon, entrepreneur du
canal de Briare. Devenue veuve dans une affez grande
jeuneffe, avec du bien, de la beauté et un efprit fait

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recteur de la

pour le monde, elle s'entêta de ce qu'on appelle la Spiritualité. Un barnabite du pays d'Anneci, près de La Combe diGenève, nommé la Combe, fut fon directeur. Cet Guyon. homme connu par un mélange affez ordinaire de paffions et de religion, et qui eft mort fou, plongea l'efprit de fa pénitente dans des rêveries myftiques dont elle était déjà atteinte. L'envie d'être une S Thérèse en France ne lui permit pas de voir combien le génie français eft opposé au génie espagnol, et la fit aller beaucoup plus loin que Ste Thérèfe. L'ambition d'avoir des difciples, la plus forte peut-être de toutes les ambitions, s'empara toute entière de fon cœur.

Son directeur la Combe la conduisit en Savoie dans

fon petit pays d'Anneci, où l'évêque titulaire de Genève fait fa réfidence. C'était déjà une très-grande indécence à un moine de conduire une jeune veuve hors de fa patrie; mais c'eft ainfi qu'en ont ufé presque tous ceux qui ont voulu établir une fecte; ils traînent prefque toujours des femmes avec eux. La jeune veuve fe donna d'abord quelque autorité dans Anneci par fa profufion en aumônes. Elle tint des conférences. Elle prêchait le renoncement entier à foi-même, le filence de l'ame, l'anéantiffement de toutes ses puissances, le culte intérieur, l'amour pur et défintéreffé qui n'eft ni avili par la crainte, ni animé de l'efpoir des récompenfes.

Les imaginations tendres et flexibles, fur-tout celles des femmes et de quelques jeunes religieux, qui aimaient plus qu'ils ne croyaient la parole de DIEU dans la bouche d'une belle femme, furent aisément touchés de cette éloquence de paroles, la feule propre à perfuader tout à des efprits préparés. Elle fit des

Prophéties

profelytes. L'évêque d'Anneci obtint qu'on la fît fortir du pays, elle et fon directeur. Ils s'en allèrent à Grenoble. Elle y répandit un petit livre intitulé le Moyen court, et un autre fous le nom des Torrens, écrits du ftyle dont elle parlait ; et fut encore obligée de fortir de Grenoble.

Se flattant déjà d'être au rang des confeffeurs de la Guyon. elle eut une vifion, et elle prophétifa; elle envoya fa prophétie au père la Combe. Tout l'enfer fe bandera, dit-elle, pour empêcher les progrès de l'intérieur et la formation de JESUS-CHRIST dans les ames. La tempête fera telle qu'il ne reflera pas pierre fur pierre; et il me femble que dans toute la terre il y aura trouble, guerre et renversement. La femme fera enceinte de l'efprit intérieur, et le dragon fe tiendra debout devant elle.

La prophétie fe trouva vraie en partie : l'enfer ne fe banda point, mais étant revenue à Paris, conduite par fon directeur, et l'un et l'autre ayant dogmatifé, en 1687, l'archevêque de Harlai de Chanvalon obtint un ordre du roi, pour faire enfermer la Combe comme un féducteur, et pour mettre dans un couvent madame Guyon comme un esprit aliéné qu'il fallait guérir. Mais madame Guyon, avant ce coup, s'était fait des protections qui la fervirent. Elle avait dans la maifon de Saint-Cyr, encore naissante, une coufine, nommée madame de la Maifon-Fort, favorite de madame de Maintenon. Elle s'était infinuée dans l'efprit des ducheffes de Chevreufe et de Beauvilliers. Toutes fes amies fe plaignirent hautement que l'archevêque de Harlai, connu pour aimer trop les femmes, perfécutât une femme qui ne parlait que de l'amour de DIEU.

La

La protection toute - puiffante de madame de Maintenon impofa filence à l'archevêque de Paris; et rendit la liberté à madame Guyon. Elle alla à Verfailles, s'introduifit dans Saint-Cyr, affista à des conférences dévotes que fefait l'abbé de Fénélon; après avoir dîné en tiers avec madame de Maintenon. La princeffe d'Harcourt, les ducheffes de Chevreuse, de Beauvilliers et de Charoft étaient de ces mystères. L'abbé de Fénelon, alors précepteur des enfans Fénelon, quiétifte. de France, était l'homme de la cour le plus féduifant. Né avec un cœur tendre et une imagination douce et brillante, fon efprit était nourri de la fleur des belles-lettres. Plein de goût et de grâces, il préférait dans la théologie tout ce qui a l'air touchant et fublime, à ce qu'elle a de fombre et d'épineux. Avec tout cela, il avait je ne fais quoi de romanefque, qui lui inspira, non pas les rêveries de madame Guyon, mais un goût de fpiritualité qui ne s'éloignait pas des idées de cette dame.

Son imagination s'échauffait par la candeur et par la vertu, comme les autres s'enflamment par leurs paffions. Sa paffion était d'aimer DIEU pour lui-même. Il ne vit dans madame Guyon qu'une ame pure éprise du même goût que lui, et fe lia fans fcrupule avec elle.

Il était étrange qu'il fût féduit par une femme à révélations, à prophéties et à galimatias, qui fuffoquait de la grâce intérieure, qu'on était obligé de délacer, et qui fe vidait ( à ce qu'elle difait) de la furabondance de grâce, pour en faire enfler le corps de l'élu qui était affis auprès d'elle. Mais Fénelon, dans l'amitié et dans fes idées myftiques, était ce Siècle de Louis XIV. Tome II,

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qu'on eft en amour : il excufait les défauts, et ne s'attachait qu'à la conformité du fond des fentimens qui l'avaient charmé.

Madame Guyon, affurée et fière d'un tel disciple qu'elle appelait fon fils, et comptant même fur madame de Maintenon, répandit dans Saint-Cyr toutes fes idées. L'évêque de Chartres, Godet, dans le diocèfe duquel eft Saint-Cyr, s'en alarma, et s'en plaignit. L'archevêque de Paris menaça encore de recommencer fes premières pourfuites.

Madame de Maintenon, qui ne penfait qu'à faire de Saint-Cyr un féjour de paix, qui favait combien le roi était ennemi de toute nouveauté, qui n'avait pas befoin pour fe donner de la confidération de fe mettre à la tête d'une efpèce de fecte, et qui enfin n'avait en vue que fon crédit et fon repos, rompit tout commerce avec madame Guyon, et lui défendit le fejour de Saint-Cyr.

L'abbé de Fénelon voyait un orage fe former, et craignit de manquer les grands poftes où il aspirait. Il confeilla à fon amie de fe mettre elle-même dans les mains du célèbre Boffuet, évêque de Meaux, regardé comme un père de l'Eglife. Elle fe foumit aux décisions de ce prélat, communia de fa main, et lui donna tous fes écrits à examiner.

L'évêque de Meaux, avec l'agrément du roi, s'affocia pour cet examen l'évêque de Châlons, qui fut depuis le cardinal de Noailles, et l'abbé Tronfon, fupérieur de Saint-Sulpice. Ils s'affemblèrent fecrétement au village d'Iffi, près de Paris. L'archevêque de Paris, Chanvalon, jaloux que d'autres que lui se portaffent pour juges dans fon diocèfe, fit afficher

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