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France. Mais cet exercice ne devait point être permis ailleurs.

On acceptait ces conditions, quand des émissaires de Hollande vinrent en empêcher l'effet avec de l'argent et des promeffes. Ils détachèrent de Cavalier les principaux fanatiques: mais ayant donné fa parole au maréchal de Villars, il la voulut tenir. Il accepta le brevet de colonel, et commença à former fon régiment avec cent trente hommes qui lui étaient affectionnés.

J'ai entendu fouvent de la bouche du maréchal de Villars, qu'il avait demandé à ce jeune homme, comment il pouvait à fon âge avoir eu tant d'autorité fur des hommes fi féroces et fi indifciplinables. Il répondit que, quand on lui défobéissait, fa prophéteffe, qu'on appelait la grande Marie, était fur le champ infpirée, et condamnait à mort les réfractaires, qu'on tuait fans raisonner. (00) Ayant fait depuis la même queftion à Cavalier, j'en eus la même réponse.

Le garçon Cette négociation fingulière fe fefait après la bataille boulanger. d'Hochftet. Louis XIV, qui avait profcrit le calvimaréchal de nifme avec tant de hauteur, fit la paix, fous le nom

traite avec le

Villars.

d'amniftie, avec un garçon boulanger; et le maréchal de Villars lui préfenta le brevet de colonel, et celui d'une penfion de douze cents livres.

Le nouveau colonel alla à Versailles; il y reçut les ordres du miniftre de la guerre. Le roi le vit, et

(00) Ce trait doit le trouver dans les véritables mémoires du maréchal de Villars. Le premier tome eft certainement de lui: il eft conforme au manuscrit que j'ai vu les deux autres font d'une main étrangère et bien différente.

hauffa les épaules. Cavalier, obfervé par le ministère,
craignit, et fe retira en Piémont. De là il paffa en
Hollande et en Angleterre. Il fit la guerre en Espagne,
et y commanda un régiment de réfugiés français à
la bataille d'Almanza. Ce qui arriva à ce régiment
fert à prouver la rage des guerres civiles, et combien
la religion ajoute à cette fureur. La troupe de Cavalier
fe trouva opposée à un régiment français. Dès qu'ils
fe reconnurent, ils fondirent l'un fur l'autre avec la Fureur fin-
baïonnette, fans tirer. On a déjà remarqué que
baïonnette agit peu dans les combats. La contenance
de la première ligne compofée de trois rangs, après
avoir fait feu, décide du fort de la journée; mais
ici la fureur fit ce que ne fait prefque jamais la
valeur. Il ne refta pas trois cents hommes de ces
régimens. Le maréchal de Berwick contait fouvent
avec étonnement cette aventure.

la

Cavalier eft mort officier-général et gouverneur de l'île de Jersey, avec une grande réputation de valeur, n'ayant de ses premières fureurs confervé que le courage, et ayant peu à fubftitué la prupeu dence à un fanatifme qui n'était plus foutenu par l'exemple.

gulière.

Le maréchal de Villars, rappelé du Languedoc, fut remplacé par le maréchal de Berwick. Les malheurs des armes du roi enhardiffaient alors les fanatiques du Languedoc, qui espéraient du fecours du ciel et en recevaient des alliés. On leur fefait toucher de l'argent par la voie de Genève. Ils attendaient des officiers, qui devaient leur être envoyés de Hollande et d'Angleterre. Ils avaient des intelligences dans toutes les villes de la province.

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phètes.

armes,

ConfpiraOn peut mettre au rang des plus grandes confpition des pro- rations celle qu'ils formèrent de faifir dans Nîmes le duc de Berwick et l'intendant Bâville, de faire révolter le Languedoc et le Dauphiné, et d'y introduire les ennemis. Le fecret fut gardé par plus de mille conjurés. L'indifcrétion d'un feul fit tout découvrir. Plus de deux cents perfonnes périrent dans les fupplices. Le maréchal de Berwick fit exterminer par le fer et par le feu tout ce qu'on rencontra de ces malheureux. Les uns moururent, les armes à la main, les autres fur les roues ou dans les flammes. Quelques-uns, plus adonnés à la prophétie qu'aux trouvèrent moyen d'aller en Hollande. Les réfugiés français les y reçurent comme des envoyés céleftes. Ils marchèrent au-devant d'eux, chantant des pfaumes, et jonchant leur chemin de branches d'arbres. Plufieurs de ces prophètes allèrent en Angleterre mais trouvant que l'Eglife épifcopale tenait trop de l'Eglife romaine, ils voulurent faire Prophètes dominer la leur. Leur perfuafion était fi pleine, que, réfugiés à ne doutant pas qu'avec beaucoup de foi on ne fît pofent de ref- beaucoup de miracles, ils offrirent de reffufciter un mort, et même tel mort que l'on voudrait choifir. Par-tout le peuple eft peuple; et les presbytériens pouvaient fe joindre à ces fanatiques contre le clergé anglican. Qui croirait qu'un des plus grands géomètres de l'Europe, Fatio Duillier, et un homme de lettres fort favant, nommé Daudé, fuffent à la tête de ces énergumènes? Le fanatifme rend la fcience même fa complice, et étouffe la raison.

Londres pro

fulciter un

mort.

Le ministère anglais prit le parti qu'on aurait dû toujours prendre avec les hommes à miracles. On

leur permit de déterrer un mort dans le cimetière de l'église cathédrale. La place fut entourée de gardes. Tout fe paffa juridiquement. La fcène finit par mettre au pilori les prophètes.

Ces excès du fanatisme ne pouvaient guère réuffir en Angleterre, où la philofophie commençait à dominer. Ils ne troublaient plus l'Allemagne, depuis que les trois religions, la catholique, l'évangélique et la réformée y étaient également protégées par les traités de Veftphalie. Les Provinces-Unies admettaient dans leur fein toutes les religions par une tolérance politique. Enfin il n'y eut, fur la fin de ce fiècle, que la France qui effuya de grandes querelles eccléfiaftiques, malgré les progrès de la raison. Cette raison fi lente à s'introduire chez les doctes, pouvait à peine encore percer chez les docteurs, encore moins dans le commun des citoyens. Il faut d'abord qu'elle foit établie dans les principales têtes; elle defcend aux autres de proche en proche, et gouverne enfin le peuple même qui ne la connaît pas, mais qui, voyant que fes fupérieurs font modérés, apprend auffi à l'être. C'est un des grands ouvrages du temps, et ce temps n'était pas encore venu.

CHAPITRE XXXV I I.

Du Janfenifme.

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Janfénisme E calvinifme devait néceffairement enfanter des moins turbuguerres civiles, et ébranler les fondemens des Etats. lent que le calvinifme. Le janfénisme ne pouvait exciter que des querelles théologiques et des guerres de plume; car les réformateurs du feizième fiècle ayant déchiré tous les liens par qui l'Eglife romaine tenait les hommes, ayant traité d'idolâtrie ce qu'elle avait de plus facré; ayant ouvert les portes de fes cloîtres, et remis fes tréfors dans les mains des féculiers, il fallait qu'un des deux partis pérît par l'autre. Il n'y a point de pays en effet où la religion de Calvin et de Luther ait paru, fans exciter des perfécutions et des guerres.

Mais les janfénistes, n'attaquent point l'Eglife, n'en voulant ni aux dogmes fondamentaux ni aux biens, et écrivant fur des questions abftraites, tantôt contre les réformés, tantôt contre les conftitutions des papes, n'eurent enfin de crédit nulle part; et ils ont fini par voir leur fecte méprisée dans prefque toute l'Europe, quoiqu'elle ait eu plufieurs partisans très-respectables par leurs talens et par leurs mœurs.

Dans le temps même où les huguenots attiraient une attention férieuse, le janfénifme inquiéta la France plus qu'il ne la troubla. Ces difputes étaient venues d'ailleurs comme bien d'autres. D'abord un certain docteur de Louvain, nommé Michel Bay, qu'on appelait

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