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Grèce. Depuis Platon jusqu'à lui, il n'y a rien; perfonne, dans cet intervalle, n'a développé les opérations de notre ame; et un homme qui faurait tout Platon, et qui ne faurait que Platon, faurait peu, et faurait mal.

C'était, à la vérité, un grec éloquent; fon apologie de Socrate eft un fervice rendu aux fages de toutes les nations; il eft jufte de le refpecter, puisqu'il a rendu fi refpectable la vertu malheureuse, et les perfécuteurs fi odieux. On crut long-temps que fa belle morale ne pouvait être accompagnée d'une mauvaise métaphyfique; on en fit prefque un père de l'Eglife, à cause de fon Ternaire que perfonne n'a jamais compris. Mais que penferait-on aujourd'hui d'un philofophe qui nous dirait qu'une matière est l'autre, que le monde est une figure de douze pentagones, que le feu, qui eft une pyramide, est lié à la terre par des nombres? Serait-on bien reçu à prouver l'immortalité et les métempfycofes de l'ame, en difant que le fommeil naît de la veille, la veille du fommeil, le vivant du mort, et le mort du vivant? Ce font-là les raisonnemens qu'on a admirés pendant tant de fiècles; et des idées plus extravagantes encore ont été employées depuis à l'éducation des hommes.

Locke feul a développé l'entendement humain dans un livre où il n'y a que des vérités; et, ce qui rend l'ouvrage parfait, toutes ces vérités font claires.

Si l'on veut achever de voir en quoi ce dernier fiècle l'emporte fur tous les autres, on peut jeter les yeux fur l'Allemagne et fur le Nord. Un Hevelius à Dantzick, Hevelius. eft le premier astronome qui ait bien connu la planète de la lune; aucun homme avant lui n'avait mieux examiné le ciel. Parmi les grands hommes que cet âge

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a produits, nul ne fait mieux voir que ce fiècle peut Munificence être appelé celui de Louis XIV. Hevelius perdit par un fingulière de incendie une immenfe bibliothéque: le monarque de Louis XIV France gratifia l'aftronome de Dantzick d'un préfent

envers

Hevelius. fort au-deffus de fa perte.

Mercator, dans le Holftein, fut en géométrie le précurfeur de Newton; les Bernouilli, en Suiffe, ont été les dignes disciples de ce grand homme. Leibnitz paffa quelque temps pour fon rival.

Leibnitz. Ce fameux Leibnitz naquit à Leipfick: il mourut en fage, à Hanovre, adorant un Dieu, comme Newton, fans confulter les hommes. C'était peut-être le favant le plus univerfel de l'Europe: hiftorien infatigable dans fes recherches, jurifconfulte profond, éclairant l'étude du droit par la philofophie, tout étrangère qu'elle paraît à cette étude: métaphyficien affez délié pour vouloir réconciliér la théologie avec la métaphyfique; poëte latin même, et enfin mathématicien assez bon pour difputer au grand Newton l'invention du calcul de l'infini, et pour faire douter quelque temps entre Newton et lui. (*)

C'était alors le bel âge de la géométrie : les mathématiciens s'envoyaient fouvent des défis, c'est-à-dire des problêmes à réfoudre, à peu-près comme on dit que les anciens rois de l'Egypte et de l'Afie s'envoyaient réciproquement des énigmes à deviner. Les problêmes que fe propofaient les géomètres étaient plus difficiles que ces énigmes; il n'y en eut aucun qui demeurât fans folution en Allemagne, en Angleterre, en Italie, en France. Jamais la correfpondance entre les

(*) Voyez l'avertiffement des éditeurs pour le volume des œuvres phyfiques.

philofophes

philofophes ne fut plus univerfelle; Leibnitz fervait à l'animer. On a vu une république littéraire établie infenfiblement dans l'Europe malgré les guerres, et malgré les religions différentes. Toutes les fciences, tous les arts ont reçu ainfi des fecours mutuels; les académies ont formé cette république. L'Italie et la Ruffie ont été unies par les lettres, L'Anglais, l'Allemand, le Français allaient étudier à Leyde. Le célèbre médecin Boerhaave était confulté à la fois. par le pape et par le czar. Ses plus grands élèves ont attiré ainsi les étrangers, et font devenus en quelque forte les médecins des nations; les véritables favans dans chaque genre ont refferré les liens de cette grande fociété des efprits répandue par-tout, et par-tout indépendante. Cette correfpondance dure encore; elle est une des confolations des maux que l'ambition et la politique répandent fur la terre.

L'Italie, dans ce fiècle, a confervé fon ancienne gloire, quoiqu'elle n'ait eu ni de nouveaux Tasse, ni de nouveaux Raphaël. C'est affez de les avoir produits une fois. Les Chiabrera, et enfuite les Zappi, les Filicaia ont fait voir que la délicateffe eft toujours le partage de cette nation. La Mérope de Maffei, et les ouvrages dramatiques de Metaftaho, font de beaux monumens du fiècle.

L'étude de la vraie physique, établie par Galilée, s'eft toujours foutenue malgré les contradictions d'une ancienne philofophie trop confacrée. Les Caffini, les Viviani, les Manfredi les Bianchini, les Zanotti, et tant d'autres, ont répandu fur l'Italie la même lumière qui éclairait les autres pays; et quoique les principaux rayons de cette lumière vinffent de l'Angleterre, les Siècle de Louis XIV. Tome II.

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écoles italiennes n'en ont point enfin détourné les yeux.

Tous les genres de littérature ont été cultivés dans cette ancienne patrie des arts, autant qu'ailleurs, excepté dans les matières où la liberté de penfer donne plus d'effor à l'efprit chez d'autres nations. Ce fiècle fur-tout à mieux connu l'antiquité que les précédens. L'Italie fournit plus de monumens que toute l'Europe ensemble; et plus on a déterré de ces monumens, plus la fcience s'eft étendue.

On doit ces progrès à quelques fages, à quelques génies répandus en petit nombre dans quelques parties de l'Europe, prefque tous long-temps obfcurs, et fouvent perfécutés : ils ont éclairé et confolé la terre, pendant que les guerres la défolaient. On peut trouver ailleurs des liftes de tous ceux qui ont illuftré l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie. Un étranger ferait peut-être trop peu propre à apprécier le mérite de tous ces hommes illuftres. Il fuffit ici d'avoir fait voir que dans le fiècle paffé les hommes ont acquis plus de lumières d'un bout de l'Europe à l'autre que dans tous les âges précédens.

CHAPITRE X X X V.

Affaires ecclefiaftiques. Difputes mémorables.

ES trois ordres de l'Etat, le moins nombreux eft l'Eglife; et ce n'eft que dans le royaume de France que le clergé eft devenu un ordre de l'Etat. C'est une chofe auffi vraie qu'étonnante, on l'a déjà dit, et rien ne démontre plus le pouvoir de la coutume. Le clergé donc, reconnu pour ordre de l'Etat, eft celui qui a toujours exigé du fouverain la conduite la plus délicate et la plus ménagée. Conferver à la fois l'union avec le fiége de Rome, et foutenir les libertés de l'Eglife gallicane, qui font les droits de l'ancienne Eglife; favoir faire obéir les évêques comme fujets, fans toucher aux droits de l'épifcopat, les foumettre en beaucoup de choses à la juridiction féculière, et les laiffer juges en d'autres; les faire contribuer aux befoins de l'Etat, et ne pas choquer leurs priviléges : tout cela demande un mélange de dextérité et de fermeté que Louis XIV eut prefque toujours.

dans un

Le clergé en France fut remis peu à peu Evêques ordre et dans une décence dont les guerres civiles et non-prêtres. la licence des temps l'avaient écarté. Le roi ne fouffrit plus enfin, ni que les féculiers poffédaffent des bénéfices, fous le nom de confidentiaires, ni que ceux qui n'étaient pas prêtres euffent des évêchés, comme le cardinal Mazarin qui avait poffédé l'évêché de Metz, n'étant pas même fous-diacre, et le duc de Verneuil qui en avait auffi joui étant féculier.

Ce que payait au roi le clergé de France et des

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