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des philofophes pour rois, il eft très-vrai de dire que les rois en font plus heureux, quand il y a beaucoup de leurs fujets philofophes.

Il faut avouer que cet efprit raisonnable, qui commence à préfider à l'éducation dans les grandes villes, n'a pu empêcher les fureurs des fanatiques des Cévènes, ni prévenir la démence du petit peuple de Paris autour d'un tombeau à Saint-Médard, ni calmer des difputes auffi acharnées que frivoles entre des hommes qui auraient dû être fages. Mais avant ce fiècle, ces difputes euffent caufé des troubles dans l'Etat; les miracles de Saint-Médard euffent été accrédités par les plus confidérables citoyens; et le fanatifme, renfermé dans les montagnes des Cévènes, fe fût répandu dans

les villes.

Tous les genres de fcience et de littérature ont été épuisés dans ce fiècle; et tant d'écrivains ont étendu les lumières de l'efprit humain que ceux qui en d'autres temps auraient paffé pour des prodiges, ont été confondus dans la foule. Leur gloire eft peu de chofe, à caufe de leur nombre; et la gloire du fiècle en eft plus grande.

CHAPITRE XXXII.

LA

Des beaux arts.

A faine philofophie ne fit pas en France d'auffi grands progrès qu'en Angleterre et à Florence; et fi l'académie des fciences rendit des fervices à l'efprit humain, elle ne mit pas la

France au-deffus des autres nations. Toutes les grandes inventions et les grandes vérités vinrent d'ailleurs.

Mais dans l'éloquence, dans la poëfie, dans la Eloquence. littérature, dans les livres de morale et d'agrément, les Français furent les législateurs de l'Europe. Il n'y avait plus de goût en Italie. La véritable éloquence était par-tout ignorée, la religion enfeignée ridiculement en chaire, et les caufes plaidées de même dans le barreau. Les prédicateurs citaient Virgile et Ovide; les avocats St Auguflin et St Jérôme. Il ne s'était point encore trouvé de génie qui eût donné à la langue française le tour, le nombre, la propriété du ftyle et la dignité. Quelques vers de Malherbe fefaient fentir feulement qu'elle était capable de grandeur et de force; mais c'était tout. Les mêmes génies qui avaient écrit très-bien en latin, comme un président de Thou, un chancelier de l'Hofpital, n'étaient plus les mêmes, quand ils maniaient leur propre langage, rebelle entre leurs mains. Les Français n'étaient encore recommandables que par une certaine naïveté, qui avait fait le feul mérite de Joinville, d'Amiot, de Marot, de Montagne de Regnier, de la Satire Menippée. Cette naïveté tenait beaucoup à l'irrégularité, à la groffièreté.

Jean de Lingendes, évêque de Mâcon, aujour- Lingendes. d'hui inconnu parce qu'il ne fit point imprimer fes ouvrages, fut le premier orateur qui parla dans le grand goût. Ses fermons et fes oraifons funèbres, quoique mêlées encore de la rouille de

Balzac.

Voiture.

fon temps, furent le modèle des orateurs qui l'imitèrent et le surpassèrent. L'oraifon funèbre de CharlesEmmanuel, duc de Savoie, furnommé le grand dans fon pays, prononcée par Lingendes, en 1630, était pleine de fi grands traits d'éloquence, que Fléchier, long-temps après, en prit l'exorde tout entier auffibien que le texte et plufieurs paffages confidérables, pour en orner fa fameuse oraison funèbre du vicomte de Turenne.

Balzac en ce temps-là donnait du nombre et de l'harmonie à la profe. Il eft vrai que fes lettres étaient des harangues ampoulées; il écrivit au premier cardinal de Retz: Vous venez de prendre

le fceptre des rois et la livrée des rofes. Il écrivait de Rome à Bois-Robert, en parlant des eaux de fenteur: Je me fauve à la nage dans ma "chambre au milieu des parfums, Avec tous ces défauts, il charmait l'oreille. L'éloquence a tant de pouvoir fur les hommes qu'on admira Balzac dans fon temps, pour avoir trouvé cette petite partie de l'art ignorée et néceffaire, qui confifte dans le choix harmonieux des paroles; et même pour l'avoir employée fouvent hors de fa place.

Voiture donna quelque idée des grâces légères de ce ftyle épiflolaire, qui n'eft pas le meilleur, puifqu'il ne confifte que dans la plaifanterie. C'est un baladinage, que deux tomes de lettres dans lefquelles il n'y en a pas une seule instructive, pas une qui parte du cœur, qui peigne les mœurs du temps et les caractères des hommes; c'eft plutôt un abus qu'un ufage de l'esprit.

La langue commençait à s'épurer et à prendre Vaugelas. une forme conftante. On en était redevable à l'académie française, et fur-tout à Vaugelas. Sa traduction de Quinte-Curce, qui parut en 1646, fut le premier bon livre écrit purement; et il s'y trouve peu d'expreffions et de tours qui aient vieilli.

Olivier Patru, qui le fuivit de près, contribua Patru. beaucoup à régler, à épurer le langage; et, quoiqu'il ne passât pas pour un avocat profond, on lui dut néanmoins l'ordre, la clarté, la bienféance, l'élégance du difcours; mérites abfolument inconnus avant lui au barreau.

Un des ouvrages qui contribuèrent le plus à former le goût de la nation, et à lui donner un efprit de jufteffe et de précifion, fut le petit recueil des Maximes de François, duc de la Rochefoucauld. Quoiqu'il n'y ait prefque qu'une vérité dans ce livre, qui eft que l'amour - propre eft le mobile de tout, cependant cette penfée fe préfente fous tant d'afpects variés qu'elle eft prefque toujours piquante. C'eft moins un livre que des matériaux pour orner un livre. On lut avidement ce petit recueil; il accoutuma à penser et à renfermer fes pensées dans un tour vif, précis et délicat. C'était un mérite que perfonne n'avait eu avant lui en Europe, depuis la renaiffance des lettres.

Mais le premier livre de génie, qu'on vit en profe, fut le recueil des Lettres provinciales, en 1654. Toutes les fortes d'éloquence y font renfermées. Il n'y a pas un feul mot, qui depuis cent ans fe foit reffenti du changement qui altère fouvent

Le duc de la Rochefou

cauld.

Pafcal.

Bourdaloue.

les langues vivantes. Il faut rapporter à cet ouvrage l'époque de la fixation du langage. L'évêque de Luçon, fils du célèbre Buffy, m'a dit qu'ayant demandé à monfieur de Meaux quel ouvrage il eût mieux aimé avoir fait, s'il n'avait pas fait les fiens, Boffuet lui répondit: Les lettres provinciales. Elles ont beaucoup perdu de leur piquant, lorsque les jéfuites ont été abolis, et les objets de leurs difputes méprifės.

Le bon goût qui règne d'un bout à l'autre dans ce livre, et la vigueur des dernières lettres ne corrigèrent pas d'abord le ftyle lâche, diffus, incorrect et découfu, qui depuis long-temps était celui de prefque tous les écrivains, des prédicateurs et des

avocats.

Un des premiers, qui étala dans la chaire une raifon toujours éloquente, fut le père Bourdaloue, vers l'an 1668. Ce fut une lumière nouvelle. Il y a eu après lui d'autres orateurs de la chaire, comme le père Maffillon, évêque de Clermont, qui ont répandu dans leurs difcours plus de grâces, des peintures plus fines et plus pénétrantes des mœurs du fiècle; mais aucun ne l'a fait oublier. Dans fon ftyle plus nerveux que fleuri, fans aucune imagination dans l'expreffion, il paraît vouloir plutôt convaincre que toucher; et jamais il ne fonge à plaire.

Peut-être ferait-il à fouhaiter qu'en banniffant de la chaire le mauvais goût qui l'aviliffait, il en eût banņi auffi cette coutume de prêcher fur un texte. En effet, parler long-temps fur une citation d'une ligne ou deux, fe fatiguer à compaffer tout

fon

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