Page images
PDF
EPUB

Gulture.

réglés dans toutes les villes de France, des reproches de ceux à qui leur profeffion permet de déclamer en public contre toutes les différentes branches de confommation, auxquelles on donne le nom de luxe. Il est évident que les alimens de ce luxe ne font fournis que par le travail industrieux des cultivateurs; travail toujours chèrement payé.

On a planté plus de vignes, et on les a mieux travaillées on a fait de nouveaux vins qu'on ne connaisfait pas auparavant, tels que ceux de Champagne, auxquels on a fu donner la couleur, la sève, et la force de ceux de Bourgogne, et qu'on débite chez l'étranger avec un grand avantage : cette augmentation des vins a produit celle des eaux-de-vie : la culture des jardins, des légumes, des fruits a reçu de prodigieux accroiffemens, et le commerce des comeftibles avec les colonies de l'Amérique en a été augmenté : les plaintes qu'on a de tout temps fait éclater fur la misère de la campagne, ont ceffé alors d'être fondées. D'ailleurs dans ces plaintes vagues on ne diftingue pas les cultivateurs, les fermiers d'avec les manœuvres. Ceux-ci ne vivent que du travail de leurs mains, et cela eft ainfi dans tous les pays du monde, où le grand nombre doit vivre de fa peine. Mais il n'y a guère de royaume dans l'univers, où le cultivateur, le fermier, foit plus à fon aife que dans quelques provinces de France, et l'Angleterre feule peut lui difputer cet avantage. La taille proportionnelle, fubftituée à l'arbitraire dans quelques provinces, a contribué encore à rendre plus folides les fortunes des cultivateurs qui possèdent des charrues, des vignobles, des jardins. Le manœuvre, l'ouvrier, doit être réduit au nécessaire

pour travailler; telle eft la nature de l'homme. Il faut que ce grand nombre d'hommes foit pauvre, mais il ne faut pas qu'il foit miférable. (35)

Le moyen ordre s'eft enrichi par l'induftrie. Les miniftres et les courtifans ont été moins opulens parce que l'argent ayant augmenté numériquement de près de moitié, les appointemens et les penfions font reftés les mêmes, et le prix des denrées eft monté à plus du double: c'est ce qui eft arrivé dans tous les pays de l'Europe. Les droits, les honoraires font partout reftés fur l'ancien pied. Un électeur, qui reçoit l'inveftiture de fes Etats, ne paye que ce que fes prédéceffeurs payaient du temps de l'empereur Charles IV, au quatorzième siècle, et il n'eft dû qu'un écu au fecrétaire de l'empereur dans cette cérémonie.

Ce qui eft bien plus étrange, c'eft que tout ayant augmenté, valeur numéraire des monnaies, quantité des matières d'or et d'argent, prix des denrées, cependant la paye du foldat est restée au même taux qu'elle était il y a deux cents ans: on donne cinq sous numéraires au fantaffin, comme on les donnait du temps de Henri IV. (36) Aucun de ce grand nombre

(35) En France les mauvaises lois fur les fucceffions et les teftamens, les privileges multipliés dans le commerce, les manufactures, l'industrie, la forme des impôts qui occafionne de grandes fortunes en finance, celle dont la cour eft la fource, et qui s'étendent bien au-delà de ce qu'on appelle les grands et les courtifans; toutes ces causes, en entaffant les biens fur les mêmes têtes, condamnent à la pauvreté une grande partic du peuple et cela eft indépendant du montant réel des impôts.

L'inégalité des fortunes eft la cause de ce mal; et comme le luxe en eft auffi un effet néceffaire, on a pris pour cause ce qui n'était qu'un effet d'une caufe commune.

(36) Ceci n'est pas rigoureusement vrai; les appointemens des places qui donnent du crédit, ou qui font néceffaires à l'adminiftration, ont

d'hommes ignorans qui vendent leur vie à fi bon marché, ne fait qu'attendu le furhauffement des espèces à la cherté des denrées, il reçoit environ deux tiers moins que les foldats de Henri IV. S'il le favait, il s'il demandait une paye de deux tiers plus haute, faudrait bien la lui donner : il arriverait alors que chaque puissance de l'Europe entretiendrait les deux tiers moins de troupes; les forces fe balanceraient de même; la culture de la terre et les manufactures en profiteraient.

il

Il faut encore obferver que les gains du commerce ayant augmenté, et les appointemens de toutes les grandes charges ayant diminué de valeur réelle, s'eft trouvé moins d'opulence qu'autrefois chez les grands, et plus dans le moyen ordre; et cela même a mis moins de distance entre les hommes. Il n'y avait autrefois de reffource pour les petits que de fervir les grands: aujourd'hui l'induftrie a ouvert mille chemins qu'on ne connaiffait pas il y a cent ans. Enfin, de quelque manière que les finances de l'Etat foient adminiftrées, la France possède dans le travail d'environ vingt millions d'habitans un tréfor ineftimable.

augmenté. Quant à la paye des foldats, quoiqu'elle paraiffe la même, à l'exception d'une augmentation d'un fou établi en France dans ces dernières années, il y a eu des augmentations réelles par des fournitures faites, en nature ou gratuitement, ou à un prix au-deffous de leur valeur. La vie du foldat eft non-feulement plus affurée, mais plus douce que celle du cultivateur, et même que celle de beaucoup d'artifans. L'ufage de les faire coucher deux dans un lit étroit, et de ne leur payer l'année que fur le pied de trois cents foixante jours, font peut-être les feules chofes dont ils aient réellement à fe plaindre. Mais les paysans, les artisans, n'ont pas toujours chacun un lit, et ils ne gagnent rien les jours de fêtes.

CHAPITRE XXXI.

Des fciences.

CE fiècle heureux, qui vit naître une révolution dans l'efprit humain, n'y femblait pas destiné; car, à commencer par la philofophie, il n'y avait pas d'apparence du temps de Louis XIII qu'elle fe tirât du chaos où elle était plongée. L'inquifition d'Italie, d'Espagne, de Portugal, avait lié les erreurs philofophiques aux dogmes de la religion : les guerres civiles en France, et les querelles du calvinifme, n'étaient pas plus propres à cultiver la raifon humaine que le fut le fanatifme, du temps de Cromwell, en Angleterre. Si un chanoine de Thorn avait renouvelé l'ancien

fyftême planétaire des Chaldéens, oublié depuis fi long-temps, cette vérité était condamnée à Rome, et la congrégation du faint office, compofée de fept cardinaux, ayant déclaré non-feulement hérétique, mais abfurde, le mouvement de la terre, fans lequel il n'y a point de véritable aftronomie, le grand Galilée ayant demandé pardon à l'âge de foixante et dix ans d'avoir eu raison, il n'y avait pas d'apparence que la vérité pût être reçue fur la terre.

Le chancelier Bacon avait montré de loin la route qu'on pouvait tenir: Galilée avait découvert les lois de la chute des corps: Torricelli commençait à connaître la pefanteur de l'air qui nous environne: on avait fait quelques expériences à Magdebourg. Avec ces faibles effais, toutes les écoles reftaient dans l'abfurdité,

et le monde dans l'ignorance. Defcartes parut alors; il fit le contraire de ce qu'on devait faire; au lieu d'étudier la nature, il voulut la deviner. Il était le plus grand géomètre de fon fiècle; mais la géométrie laiffe l'efprit comme elle le trouve. Celui de Descartes était trop porté à l'invention. Le premier des mathématiciens ne fit guère que des romans de philofophie. Un homme qui dédaigna les expériences, qui ne cita jamais Galilée, qui voulait bâtir fans matériaux, ne pouvait élever qu'un édifice imaginaire. (*)

Ce qu'il y avait de romanefque réuffit; et le peu de vérités mêlé à ces chimères nouvelles fut d'abord combattu. Mais enfin ce peu de vérités perça, perça, à l'aide de la méthode qu'il avait introduite: car avant lui on n'avait point de fil dans ce labyrinthe; et du moins il en donna un, dont on fe fervit après qu'il fe fut égaré. C'était beaucoup de détruire les chimères du péripatétifme, quoique par d'autres chimères. Ces deux fantômes fe combattirent. Ils tombèrent l'un après l'autre; et la raifon s'éleva enfin fur leurs ruines. Il y avait à Florence une académie d'expériences fous le nom del Cimento, établie par le cardinal Léopold. de Médicis, vers l'an 1655. On fentait déjà dans cette patrie des arts qu'on ne pouvait comprendre quelque chose du grand édifice de la nature, qu'en l'examinant pièce à pièce. Cette académie, après les jours de Galilée, et dès le temps de Torricelli, rendit de grands fervices.

Quelques philofophes en Angleterre, fous la fombre adminiftration de Cromwell, s'affemblèrent pour

(*) Voyez dans les Elemens de philofophie de Newton la préface des éditeurs.

« PreviousContinue »