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Colbert. Si l'on compare l'administration de Colbert à toutes

les adminiftrations précédentes, la postérité chérira cet homme dont le peuple infenfé voulut déchirer le corps après la mort. Les Français lui doivent certainement leur induftrie et leur commerce, et par conféquent cette opulence dont les fources diminuent quelquefois dans la guerre, mais qui fe r'ouvrent toujours avec abondance dans la paix. Cependant, en 167 2, on avait encore l'ingratitude de rejeter fur Colbert la langueur qui commençait à fe faire fentir dans les nerfs de l'Etat. Un Bois-Guillebert, lieutenant-général au bailliage de Rouen, fit imprimer dans ce temps-là le Détail de la France en deux petits volumes, et prétendit que tout avait été en décadence depuis 1660. C'était précisément le contraire. La France n'avait jamais été fi floriffante que depuis la mort du cardinal Mazarin jufqu'à la guerre de 1689; et même dans cette guerre le corps de l'Etat, commençant à être malade, fe foutint par la vigueur que Colbert avait répandue dans tous fes membres. L'auteur du Détail prétendit que depuis 1660, les biens-fonds du royaume avaient diminué de quinze cents millions. Rien n'était ni plus faux ni moins vraisemblable. Cependant fes argumens captieux perfuadèrent ce paradoxe ridicule à ceux qui voulurent être perfuadés. C'est ainfi qu'en Angleterre, dans les temps les plus florissans, on voit

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cent papiers publics, qui démontrent que l'Etat eft

ruiné. (29)

dans la na

Il était plus aifé en France qu'ailleurs de décrier Peu d'intelle ministère des finances dans l'efprit des peuples. Ce ligence alors ministère eft le plus odieux, parce que les impôts le tion. font toujours il régnait d'ailleurs en général, dans la finance, autant de préjugés et d'ignorance que dans la philofophie.

On s'eft inftruit fi tard que, de nos jours même, on a entendu, en 1718, le parlement en corps dire au duc d'Orléans, que la valeur intrinsèque du marc d'argent eft de vingt-cinq livres; comme s'il y avait une autre valeur réelle, intrinsèque, que celle du poids et du titre; et le duc d'Orléans, tout éclairé qu'il était, ne le fut pas affez pour relever cette méprise du parlement.

Colbert arriva au maniement des finances avec de la fcience et du génie. (*) Il commença comme le duc de Sulli par arrêter les abus et les pillages qui étaient énormes. La recette fut fimplifiée autant qu'il était poffible; et par une économie qui tient du prodige, il augmenta le tréfor du roi en diminuant les tailles. On voit par l'édit mémorable de 1664, qu'il y avait

(29) Bois-Guillebert n'était pas un écrivain méprisable. On trouve dans fes ouvrages des idées fur l'administration et fur le commerce, fort fupérieures à celles de fon fiècle. Il avait deviné une partie des vrais principes de l'économie politique. Mais ces vérités étaient mêlées avec beaucoup d'erreurs. Son ftyle, qui a quelquefois de la force et de la chaleur, eft fouvent obfcur et incorrect. On peut le comparer aux chimistes du même temps. Plufieurs eurent du génie, firent des découvertes; mais la science n'existait pas encore, et ils laifsèrent à d'autres l'honneur de la créer.

(*) Voyez dans la Henriade une note des éditeurs fur Colbert.

cellent ou

Voyez l'ex-tous les ans un million de ce temps là destiné à vrage de M. l'encouragement des manufactures et du commerce de Forbon- maritime. Il négligea fi peu les campagnes, abandon

nais.

Défense au

parlement de

nées jufqu'à lui à la rapacité des traitans, que des négocians anglais s'étant adreffés à M. Colbert de Croiffi, fon frère, ambaffadeur à Londres, pour fournir en France des beftiaux d'Irlande et des falaifons pour les colonies, en 1667, le contrôleur-général répondit que depuis quatre ans on en avait à revendre aux étrangers.

Pour parvenir à cette heureuse administration, il faire des re- avait fallu une chambre de juftice, et de grandes montrances réformes. Il fut obligé de retrancher huit millions et

avant l'enre

giftrement. plus de rentes fur la ville, acquifes à vil prix, que l'on rembourfa fur le pied de l'achat. Ces divers changemens exigèrent des édits. Le parlement était en poffeffion de les vérifier depuis François I. Il fut propose de les enregistrer feulement à la chambre des comptes, mais l'usage ancien prévalut. Le roi alla lui-même au parlement faire vérifier fes édits, en 1664. (30)

Il fe fouvenait toujours de la fronde, de l'arrêt de proscription contre un cardinal, fon premier ministre, des autres arrêts par lesquels on avait faifi les deniers royaux, pillé les meubles et l'argent des citoyens

(30) Ce fut vers ce temps que Colbert fit achever le cadaftre dans quelques provinces. On ignorait tellement la méthode de faire ces opérations avec exactitude, que l'impôt d'un très-grand nombre de terres en furpaffait le produit. Les propriétaires étaient forcés de les abandonner au filc. Colbert fit rendre un édit qui défendit aux propriétaires d'abandonner une terre, à moins qu'ils ne renonçassent en même temps à toutes leurs autres poffeffions. Des villages entiers laissèrent leurs terres en friche, et l'on fut obligé de leur accorder des gratifications extraor dinaires pour les engager à reprendre la culture. M. de Voltaire ignorait furement ces détails, puisqu'il parle ici de la science et du génie de Colbert.

attachés

attachés à la couronne. Tous ces excès ayant commencé par des remontrances fur des édits concernant les revenus de l'Etat, il ordonna, en 1667, que le parlement ne fît jamais de repréfentation que dans la huitaine, après avoir enregistré avec obéiffance. Cet édit fut encore renouvelé, en 1673. Auffi dans tout le cours de fon administration il n'essuya aucune remontrance d'aucune cour de judicature, excepté dans la fatale année de 1709, où le parlement de Paris repréfenta inutilement le tort que le miniftre des finances fefait à l'Etat par la variation du prix de l'or et de l'argent.

Prefque tous les citoyens ont été perfuadés que, fi le parlement s'était toujours borné à faire fentir au fouverain, en connaissance de caufe, les malheurs et les befoins du peuple, les dangers des impôts, les périls encore plus grands de la vente de ces impôts à des traitans qui trompaient le roi, et opprimaient le peuple, cet ufage des remontrances aurait été une reffource facrée de l'Etat, un frein à l'avidité des financiers, et une leçon continuelle aux miniftres. Mais les étranges abus d'un remède fi falutaire avaient tellement irrité Louis XIV, qu'il ne vit que les abus, et profcrivit le remède. L'indignation qu'il conferva toujours dans fon cœur fut portée fi loin, qu'en 1669 il alla encore lui-même au parlement pour 13 augule y révoquer les priviléges de nobleffe qu'il avait accor-1669. dés dans fa minorité, en 1644, à toutes les cours fupérieures.

Mais, malgré cet édit enregistré en présence du roi, l'usage a fubfifté de laisser jouir de la noblesse tous ceux dont les pères ont exercé vingt ans une Siècle de Louis XIV. Tome II. P

Edit de 1669

la chambre

des aides.

charge de judicature dans une cour fupérieure, ou qui font morts dans leurs emplois.

En mortifiant ainfi une compagnie de magistrats, enregistré à il voulut encourager la noblesse qui défend la patrie, des comptes, et les agriculteurs qui la nourriffent. Déjà par fon et à la cour édit de 1666 il avait accordé deux mille francs de penfion, qui en font près de quatre aujourd'hui, à tout gentilhomme qui aurait eu douze enfans, et mille à qui en aurait eu dix. La moitié de cette gratification était affurée à tous les habitans des villes exemptes de tailles; et, parmi les taillables, tout père de famille qui avait ou qui avait eu dix enfans, était à l'abri de toute impofition.

Abus.

Il eft vrai que le miniftre Colbert ne fit pas tout ce qu'il pouvait faire, encore moins ce qu'il voulait. Les hommes n'étaient pas alors affez éclairés; et dans un grand royaume il y a toujours de grands abus. La taille arbitraire, la multiplicité des droits, les douanes de province à province, qui rendent une partie de la France étrangère à l'autre, et même ennemie, l'inégalité des mefures d'une ville à l'autre, vingt autres maladies du corps politique, ne purent être guéries. (31)

(31) Si Colbert eût été affez éclairé sur ces objets, s'il eût propose à Louis XIV de détruire ces abus, l'amour de ce prince pour la gloire ne lui eût point permis d'héliter. Mais Colbert ne connaiffait point affez ni ces abus, ni les moyens d'y remédier, ni fur-tout ceux d'y remedier fans caufer au trefor royal une perte momentanée : les guerres continuelles et la magnificence de la cour rendaient ce facrifice bien difficile. Cette caufe eft la feule qui, fous un gouvernement ferme, empêche de faire dans l'adminiftration des finances des changemens utiles. Sous un gouvernement faible il en exifte une autre, la crainte des hommes puiffans à qui la deftruction des abus peut nuire, et qui fe réuniffent pour les protéger.

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