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A LA HAYE;

Chez ADRIAN MOETJENS,
Marchand Libraire prés la Cour.

M. DC. XCVL

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Admonere voluimus, non mordere: prodeffe, non lædere: confulerc moribus hominum, non Officere. Erafm....

KONINKLIJKE
BIBLIOTHEERS

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J

E n'eftime pas que l'homme foit capable de former dans fon efprit un projet plus vain & plus chimerique, que de prétendre en écrivant de quelque art ou de quelque fcience que ce foit, échaper à toute forte de critique, & enlever les fuffrages de tous fes Lecteurs.

Car fans m'étendre fur la difference des efprits des hommes auffi prodigieufe en eux que celle de leurs vifages, qui fait goûter aux uns les chofes de fpeculation, & aux autres celles de pratique ; qui fait que quelques-uns cherchent dans les Livres à exercer leur imagination, quelques autres à former leur jugement; qu'entre ceux qui lifent, ceux-cy aiment à être forcez par la demonftration, & ceux-là veulent entendre délicatement, ou former des raisonne

mens & des conjectures ; je me renferme feulement dans cette fcience qui décrit les mœurs, qui examine les hommes, & qui développe leurs caracteres ; & j'ofe dire que fur les ouvrages qui traitent de chofes qui les touchent de fi prés, & où il ne s'agit que d'eux-mêmes., ils font encore extrémement difficiles à contenter.

Quelques fçavans ne goûtent que les Apophtegmes des Anciens, & les exemples tirez des Romains, des Grecs, des Perses, des Egyptiens; l'hiftoire du monde prefent leur eft infipide; ils ne font point touchez des hommes qui les environment, & avec qui ils vivent, & ne font nulle attention à leurs mœurs. Les femmes au contraire,les gens de la Cour, & tous ceux qui n'ont que beaucoup d'efprit fans érudition, indifferens pour toutes les chofes qui les ont précedé Tont avides de celles qui fe paffent à leurs yeux, & qui font comme fous leur main; ils les examinent, ils les difcernent, ils ne perdent pas de veuë les perfonnes qui les entourent, fi charmez des difpofitions & des peintures que l'on fait de leurs contemporains, de leurs concitoyens, de ceux enfin qui leur reffemblent, & à qui ils ne croyent pas reffembler; que jufques dans la Chaire l'on fe croit obligé fouvent de fufpendre l'Evangile pour les prendre par leur foible, & les ramener à leurs devoirs par des chofes qui foient de leur gouft & de leur portée.

La Cour ou ne connoift pas la ville, ou

par le mépris qu'elle a pour elle neglige d'en relever le ridicule, & n'eft point fra pée des images qu'il peut fournir ; & fi au contraire l'on peint la Cour, comme c'est toûjours avec les ménagemens qui lui font dûs; la ville ne tire pas de cet ébauche de quoy remplir fa curiofité, & fe faire une jufte idée d'un païs où il faut même avoir vêcu pour le connoître.

D'autre part il eft naturel aux hommes de ne point convenir de la beauté ou de la délicateffe d'un trait de morale qui les peint, qui les défigne, & où ils fe reconnoiffent eux-mêmes; ils fe tirent d'embarras en le condamnant ; & tels n'approuvent la fatyre, que lorfque commençant à lâcher prife & à s'éloigner de leurs perfonnes, elle va mordre quelqu'autre.

Enfin quelle apparence de pouvoir remplir tous les goûts fi differens des hommes par un feul ouvrage de morale ? Les uns cherchent des definitions, des divifions, des tables, & de la methode; ils veulent qu'on leur explique ce que c'eft que la vertu en general, & cette vertu en particulier ; quelle difference fe trouve entre la valeur, la force & la magnanimité, les vices extrêmes par le defaut ou par l'excés entre lesquels chaque vertu fe trouve placée, & duquel de ces deux extrêmes elle emprunte davantage: toute autre doctrine ne leur plaift pas. Les autres contens que l'on réduise les moeurs aux paffions, & que l'on explique celles-cy par le mouvement du fang, par ce

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