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L'ÉDUCATION POPULAIRE EN ANGLETERRE

DEUXIÈME ARTICLE'.

Quelle que soit l'opinion qu'on puisse se faire ailleurs de la mesure d'instruction nécessaire aux instituteurs primaires, l'Angleterre, plus exigeante, comme on le voit, n'a pas hésité d'en étendre les limites, et l'expérience semble au moins lui donner raison contre ceux qui pourraient craindre que son but ne fût trop élevé, puisqu'elle l'atteint dès à présent, ou les résultats chimériques, puisque les heureux effets obtenus déjà dans les écoles soumises à l'inspection du comité en démontrent pleinement le succès.

Commençons par les instituteurs aussi bien c'est sur eux que repose toute la solidité de l'édifice. Si le maître est bon, ses doctrines ne sauraient être mauvaises s'il est douteux seulement, la meilleure science découlant de ses lèvres sera corrompue par son exemple. L'esprit et le caractère de l'école, le sentiment moral et religieux, l'innocence et la candeur des enfants, se résument en lui. Sa conduite au dehors comme sa tenue dans la classe, sa vie privée même, appartiennent à tout le monde par l'influence qu'il a promis d'exercer, quand il a pris la tâche de former des hommes, des citoyens, des chrétiens. L'œil des enfants n'est pas fixé avec moins d'attention sur ses actions que leurs oreilles ne sont ouvertes à ses préceptes. Son langage doit être bon et tendre; ce seront pour un grand nombre d'entre eux les seules paroles de tendresse qu'ils entendront, même au logis. Ses actes doivent être réservés, probes et honnêtes même dans les plus petites choses: ce sont des délicatesses que ses élèves ne retrouveront pas souvent hors de l'école. Ses manières doivent être franches, ouvertes, candides, et son humeur toujours égale: c'est par cet amour de la vérité, par cette droiture non équivoque, qu'il leur apprendra, en voyant ses actions dans une entière harmonie avec ses paroles, à éviter toute tromperie, comme le défaut le plus odieux et le plus funeste.

1 Voir le premier article dans le Correspondant, 25 mai 1856.

Eh bien, il ne faut rien dissimuler. On trouvera çà et là, éparses dans les rapports des inspecteurs, quelques exceptions signalées. On y verra quelquefois exprimée la crainte que la transition si subite d'un état d'abjection à une situation respectable ne vienne à troubler la modestie et à exalter l'ambition de quelques jeunes têtes. L'orgueil de quelques-uns peut-être, peut-être aussi la défiance et l'envie des gens qui n'étaient pas accoutumés à les compter pour quelque chose, jettent de temps en temps une ombre sur les louanges données partout à leur habileté, leur zèle, leurs succès. Mais les témoignages d'une satisfaction sans réserve sont presque universels. « Je suis heureux, dit M. Mitchell, de rendre justice à la rapidité, au zèle, au succès de la plupart des instituteurs du district soumis à mon inspection. Ceux qui ne valaient rien disparaissent graduellement et font place à des hommes mieux qualifiés qu'eux pour la responsabilité du grand travail de l'éducation aujourd'hui. - Quant aux maîtres et maîtresses d'école de mon district, dit M. Kennedy, je suis heureux de pouvoir parler d'eux dans les termes de l'approbation la plus entière. Le bien que font un grand nombre d'entre eux est assurément au-dessus de toute louange humaine, car ils le font dans la simplicité de leur cœur, par crainte et par amour de Dieu. Cependant il ne serait pas juste de leur refuser la récompense de la louange humaine qui leur est due. Je ne puis aussi m'empêcher d'exprimer mon opinion particulière, qu'un corps, si bien élevé et si laborieux, mérite d'être mieux rémunéré, et mis à même de se procurer, dans une certaine mesure, des ressources contre les temps de maladie et les infirmités de l'âge. Je demande la permission, dit M. Stokes, d'exprimer ici l'opinion favorable que j'ai dû me former du corps entier des instituteurs employés dans les écoles catholiques romaines. Il y a, comme dans toutes les compagnies, de rares exemples de négligence, d'inattention et d'incapacité..... mais, en somme, je les ai trouvés dociles, patients, zélés, capables et sensibles à toutes les marques de bienveillance qu'ils peuvent recevoir. La plupart d'entre eux méritent et au delà les encouragements qu'on leur donne, et j'éprouve une vive satisfaction à penser que l'exécution des minutes du comité leur promet une amélioration certaine dans leur position. -A tous les degrés de l'échelle sociale, il n'y a pas un corps de personnes dont l'honnêteté me trouvât disposé à lui montrer une confiance plus absolue que nos instituteurs, hommes et femmes. L'histoire de leur conduite antérieure. l'assimilation qu'ils se sont faite des principes que leur état les oblige à professer et à inculquer sans cesse à la jeunesse, l'ensemble et la consistance bien connue de leur vie et de leur caractère, se réunissent, en règle générale, pour m'inspirer cette confiance aveugle et je puis dire que rarement, presque jamais, je n'ai dû avoir la pensée

de vérifier par quelque épreuve indirecte la vérité de ce qu'ils m'avaient dit une fois. » (Rapport de M. Brookfield.)

Naturellement, l'amélioration des maîtres entraîne le même progrès dans les écoles. J'insisterai peu sur les asiles, mais je ne dois pas négliger de faire connaître les différences essentielles qui les distinguent des nôtres. Le nom même qu'ils portent en Angleterre (infant schools), écoles de la première enfance, indiquent qu'elles ont un autre caractère. Jusqu'ici l'instruction s'y réduit chez nous à si peu de chose, qu'elle y semble accueillie plutôt avec défiance. Ce fut un grand bienfait, dans l'origine, pour les classes pauvres, que d'ouvrir à tous ces petits enfants un refuge où ils pussent recevoir en commun des soins qui leur manquaient à la maison. Les noms de madame Mallet, de M. Cochin, de M. Rendu, et de bien d'autres, qui ont fondé chez nous ou encouragé cette œuvre, se recommanderont toujours à la reconnaissance publique. M. de Salvandy eut l'heureuse idée d'y intéresser le zèle maternel d'une élite de dames, également distinguées par leurs lumières, leur charité et leur rang dans la société. La commission supérieure, chargée de la protection des asiles, a reçu, par un remaniement récent, un autre nom et une sanction nouvelle.

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Pendant longtemps, en Angleterre, on s'est aussi contenté de les regarder uniquement comme des lieux où les enfants, présumés trop jeunes pour profiter de l'instruction, devaient être amusés dans un abri sûr, loin des dangers de la rue et de la place publique; comme des établissements qui pouvaient, à juste titre, sans doute, s'attribuer le mérite d'empêcher le mal, mais qui ne pouvaient guère prétendre à conférer au développement graduel des enfants jusqu'à l'âge de sept ans des avantages positifs. Cependant, après ce premier élan de la charité satisfait, il n'a pas fallu une étude bien attentive des ressources et des besoins de la première enfance pour reconnaître combien il serait fâcheux de n'avoir qu'une mesure d'instruction pour des âges si différents. Quelle est la mère de famille un peu soigneuse qui voulût chez elle condamner ses enfants de cinq à sept ans au même régime d'éducation que leurs frères et sœurs de deux et trois ans ! Il n'y a peut-être pas d'époque dans la vie où le travail de l'intelligence soit si multiple et si rapide. Et c'est l'étonnement de ceux qui se livrent sérieusement à cet examen, de voir toute la carrière que parcourt en un an l'intelligence humaine à son début. Faut-il que les ainés perdent ce bénéfice précieux de leur âge dans la pratique insipide, qui durera cinq années, d'exercices uniformes, bons au plus pour leurs cadets? Faut-il que leur droit d'aînesse, bien légitime, ne les empêche pas de rester l'esprit emmaillotté dans ses langes primitifs?

1 Comité central de patronage des salles d'asile.

Je ne sais quel scrupule enfantin faisait considérer l'école et l'asile comme des domaines séparés, et non comme des parties du même tout. On voyait dans l'asile un but au lieu d'y voir un moyen. L'enfant y était traité généralement comme si son éducation n'avait pas d'avenir au delà, de même que l'école, à son tour, n'y trouvait pas de passé. L'asile n'était pas un passage à l'école, et l'école n'avait point souci de l'asile. Il semble, au contraire, qu'on ne saurait les rattacher par une chaîne trop intime et trop continue; que le devoir de l'une est de former à l'autre, de manière qu'un enfant passât par un progrès insensible de la classe supérieure de l'une à la classe inférieure de l'autre, sans subir comme aujourd'hui une entière transformation dans ses idées, ses habitudes, son régime d'instruction.

La réflexion a donc conduit à une distribution plus rationnelle des forces intellectuelles de l'enfant. Des divisions d'âge ont amené des catégories d'enseignement mieux appropriées à chacun, et, sans avoir la prétention de faire violence à ces organisations délicates, de nouvelles combinaisons sont venues hâter l'essor de l'esprit qui grandit comme le corps, et l'aider à se dégager de ces entraves dont il ne demande qu'à sortir. C'est alors que la Société de la science chrétienne (christian knowledge society) et d'autres centres d'éducation ont publié des cours de leçons élémentaires habilement gradués. La méthode adoptée aujourd'hui pour les écoles de première enfance de la métropole et des colonies (home and colonial schools) à Whitelands et dans d'autres écoles normales produit déjà d'heureux effets. L'idée qu'on s'était faite d'un asile, il y a quelques années, passe et disparaît rapidement; et l'on peut voir dès à présent un grand nombre d'établissements de ce genre qui prouvent par les résultats, de leur enseignement, que les quatre années qui précèdent l'âge de sept ans, dans la vie d'un enfant, ne sont pas moins précieuses au point de vue de son éducation que les quatre années qui leur succèdent. « Il y a dans mon district, dit M. Bowstead, des écoles de ce genre où les classes supérieures, entièrement composées d'enfants au-dessous de sept ans, lisent le Nouveau Testament ou un livre séculier couramment et d'une manière intelligente; écrivent sur l'ardoise une jolie ronde ; connaissent un grand nombre des propriétés simples et des relations des nombres; posent à la dictée tout nombre au-dessous de 100,000, avec correction: sont familiarisés avec les premiers éléments de la surface de la terre et de la géographie nationale; ont des notions exactes de toutes les formes ordinaires, et possèdent un petit trésor d'instruction qui n'est pas sans valeur sur l'histoire naturelle et les objets d'utilité générale. Ajoutez à ces avantages intellectuels, les habitudes d'obéissance, d'observation attentive, la facilité de compréhension, qu'ils ont acquises chemin faisant, et, en général, une cul

ture morale qui les distingue, au premier coup d'œil, des enfants de même origine et de même âge qui n'ont pas été soumis au même système. »

A sept ans, lorsqu'ils entrent dans les écoles véritables, ces enfants, ainsi préparés, deviennent facilement les meilleurs élèves de leurs classes. Là où le système monitorial est encore en vigueur, ce sont eux qui passent bientôt chefs de leur petite escouade: partout entin ils forment des auxiliaires utiles pour le maître, et aident puissamment à l'avancement de leurs camarades. Tous les instituteurs qui peuvent avoir expérimenté déjà l'heureux effet produit sur leur école par l'association d'un asile s'accordent à dire qu'ils en ont tiré pour leur propre enseignement d'immenses avantages, et l'on en est venu à comprendre, que celui qui veut avoir une école de premier rang doit commencer par s'assurer d'un asile bien dirigé dans ce but.

Ainsi tout concourt en ce moment au grand mouvement de l'éducation populaire. Des bâtiments vastes, sains et commodes, des instituteurs éprouvés, des procédés mieux entendus, un système plus homogène dans le développement des facultés de l'esprit, expliquent les progrès remarquables déjà obtenus, et justifient les espérances d'un avenir plus satisfaisant encore. Les 6,000 écoles qui ont surmonté leurs premières répugnances pour accepter les secours et les conditions du Comité d'éducation du Conseil de la Reine n'ont pas eu à s'en repentir. L'inspection les a pour ainsi dire transformées, et ses effets se sont étendus jusqu'aux écoles mêmes qui se défendent encore contre toute influence étrangère par un esprit d'indépendance mal interprétée. L'activité éveillée dans les unes se communique aux autres, et le succès constaté d'une école inspectée crée dans le voisinage un désir d'imitation qui gagne de proche en proche les paroisses environnantes. Les rapports de chaque année apportent une preuve nouvelle de l'élan rapide et sûr que l'éducation populaire commence à prendre dans la Grande-Bretagne. Tous les essais individuels ou locaux, tentés sur divers points, se rapprochent et promettent de converger, avant qu'il soit longtemps, en un vaste système d'efforts universels dont la puissance étouffera l'ignorance avec le cortége de maux et de crimes qu'elle traîne après elle.

Mon intention n'est pas de prendre une à une les diverses facultés de l'enseignement populaire pour en montrer les progrès. C'est une étude qui n'est pas sans intérêt pour les amis des écoles, mais dont les détails techniques trouveront mieux leur place ailleurs. Certes il n'est pas sans importance que la lecture soit devenue plus rapide, plus accentuée, plus intelligente; l'écriture plus hardie et plus souple: que les opérations de l'arithmétique, mieux expliquées et mieux comprises, se combinent avec des exercices de calcul mental qui rompent

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