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DU GOUVERNEMENT PONTIFICAL

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Aucune digression sur des sujets récents de polémique ne troublera cette réponse, où je voudrais pouvoir m'adresser, non-seulement aux catholiques, mais à tous ceux dont les opinions, quelle qu'en soit l'origine, ne repoussent pas d'avance un libre et sincère témoignage.

:

L'hospitalité du Correspondant me laisse, à cet égard, une sécurité complète elle ne m'impose aucun lien incommode aux amitiés, relations et délicatesses qui engagent, alors même qu'une habituelle société et la chaleur de la vie publique ne les animent plus; je n'y trouve rien de contraire à mon désir de voir disparaître toutes les divisions devant les communs devoirs de notre foi et l'immense débat ouvert sur l'état du Saint-Siége.

Ce n'est pas que je me propose de plaire à tout le monde; je tiens seulement à rester tel que je suis, un peu solitaire, nullement écri vain, pacifique ou militant dans la mesure qui convient à ma situation, exempt surtout de présomption indocile quand il s'agit de juger ce qui intéresse l'Eglise, car mon vou le plus cher serait, pour mon humble part, de continuer à la défendre en exprimant ici le cri de ma conscience et de mes souvenirs.

C'est l'unique dessein de ce rapide exposé. Les éloquentes pages de M. de Montalembert en abrégeront la tâche. Après son intervention, la mienne serait de trop, si elle n'était une occasion de m'unir à lui, comme témoin de Rome.

Deux fois j'ai représenté mon pays auprès du Souverain Pontife, sur la terre de son exil. Cet insigne honneur de ma vie ne me permet pas d'oublier la discrétion diplomatique; mais il m'autorise à réfuter, avec une plus ferme assurance, les affirmations du comte de Cavour, du comte de Clarendon et de lord Palmerston sur la prétendue barbarie du gouvernement pontifical. Pourquoi mes devoirs particuliers seraientils gênants? Il me suffira d'opposer aux adversaires du Saint-Siége ce que tout le monde a droit de dire et peut savoir.

Avant tout, pour répondre exactement à leurs accusations, je suis obligé de les bien préciser. Or cela n'est guère facile, parce qu'elles sont tantôt dissimulées, vagues et confuses, tantôt explicites avec fu

reur.

Au Congrès, on se trouve en face de cinq grandes puissances, dont quatre, sans doute, réagiraient contre des propositions extrêmes; une certaine modération est donc nécessaire. A Londres et à Turin, les dithyrambes sont plus à l'aise, et cependant il est sage d'en rabattre ce qui tient à cette sorte d'industrie que M. de Saint-Aulaire, de vénérée mémoire, appelait, en des temps difficiles, la rançon du Parlement.

Ne vous semble-t-il pas que les gouvernements les moins discutés payent un tribut du même genre, et avec plus de périls encore, puisque rien n'y fait obstacle à la rapidité des résolutions? Sous tous les régimes, hélas! on exagère pour le public. La prudence conseille, toutefois, de se demander si les violences oratoires n'annoncent pas aujourd'hui de réels projets pour un avenir assez près de nous.

Non-seulement la situation de l'Italie est jugée en dehors de toute règle de justice, sans débats contradictoires avec les parties dénoncées, sans contrôle ni preuves; mais on tient à procéder de cette façon. Considérer la question en elle-même, c'est à quoi l'on songe le moins. L'esprit des hommes d'État voyage en Lombardie, en Sicile, à Parme et Modène, quand ils parlent de Rome.

En Piémont, on sacrifie la liberté équitable et réglée à l'ambition, l'expérience à l'aventure, la cause de la nationalité à l'altération systématique de ces vieilles mœurs chrétiennes, loyales et charmantes, au moment où l'on admire, sur les champs de bataille, ce qu'elles contiennent encore de vertueuse énergie. L'indépendance déchire elle-même ses titres, et s'expose au double asservissement que prépare l'arnarchie. On se pose en théologiens querelleurs, parce qu'on ne sait plus que faire de sa brave épée; mais la première et plus belle condition des Etats vraiment représentatifs, sans laquelle toute parure libérale couvre un mensonge révolutionnaire, est méconnue, et, comme on ne sait plus respecter les droits de conscience de ses concitoyens, il est tout simple que ceux de cent quatre-vingts millions de catholiques n'inspirent aucun scrupule.

Quel contraste! le pouvoir exécutif de la dernière République française eut la gloire de briser les propagandes armées, et d'offrir à Pie IX cette première assistance qui ne devait pas demeurer stérile, et voilà une antique monarchie s'apprêtant aux deux entreprises qui sont précisément le contraire de celles-là, cherchant à détruire, dans une guerre générale, l'œuvre accomplie à Rome en 1849 et maintenue depuis sept ans !

En Angleterre, le même gouvernement, hôte généreux de notre clergé

de 1792, le même peuple qui s'honorait, il y a peu d'années, par un commencement d'émancipation catholique, s'abaisse à des sentiments que n'ont pas connus ses pères. Parce que l'établissement temporel du Saint-Siége présente des côtés faibles, qui sont au plus haut degré ceux de l'Europe entière, on se figure que la Papauté va disparaître, qu'il ne s'agit plus que d'aider et d'achever sur elle une facile victoire; les animosités sectaires se compliquent de profits mercantiles, d'abaissements de tarifs, en échange de leur appui. Etrange coalition de Fébronius, Barême et Calvin!

Dans le Congrès, et en dehors de ses délibérations, on voit des modérés, il est vrai; mais ils ont aussi des remontrances dont le motif n'apparaît pas clairement; car, soit pour complaire à de certaines alliances, soit pour diriger ou contenir les plus emportés, ils n'expriment qu'une partie et peut-être le contraire de leurs propres desseins. Dans les reproches des modérés et de ceux qui ne le sont pas, il y a des préventions, des colères mêlées de stratégie, des contradictions, des variantes, un crescendo, proportionnés à l'effet qu'on veut produire sur un gouvernement, sur une assemblée, sur l'allié qu'on . redoute, le rival ou le récalcitrant dont on veut changer les dispositions.

Comment donc, et à quel moment saisir ce procès? Évidemment, cela n'est possible que sur l'ensemble de ce qui s'est dit, et par le bref résumé de ce qui s'est passé. Essayons de juger la plainte, dans ses réquisitoires les plus injurieux, pour montrer l'excès du mal; dans ses tempéraments les plus adoucis, pour rappeler que la modération, la vraie prudence, consistent à persévérer courageusement dans la justice, à ne pas se laisser entraîner et dominer par ceux qui l'outragent.

On sait comment est née cette tempête, qui pourra bien agiter la barque de saint Pierre, et avec elle plusieurs gouvernements, mais qui, tôt ou tard, ira mourir sur ses flancs divins, devant une parole plus puissante que les tumultueuses ambitions d'ici-bas. Petite cause et grand bruit pour un résultat dont prend soin la Providence!

M. le comte de Cavour, assisté de M. de Villamarina, remet, le 27 mars, aux ministres de France et d'Angleterre, une note verbale réclamant, dans le gouvernement du Saint-Siége, l'intervention des puissances qui vont se réunir en congrès. Impuissance du Souverain Pontife pour gouverner son peuple; danger permanent de désordre dans le centre de l'Italie; extension de la domination autrichienne bien au delà de ce que les traités de 1815 lui ont accordé : voilà leur thèse, qui se termine par ces mots :

«S'il y a un fait qui résulte clairement de l'histoire de ces dernières années, c'est la difficulté, disons mieux, l'impossibilité d'une réforme com

plète du gouvernement pontifical, qui réponde aux besoins du temps et aux vaux raisonnables des populations.

Voici maintenant le remède: Sécularisation, Code Napoléon.

« Il est évident, ajoute le comte de Cavour, que la Cour de Rome luttera jusqu'au dernier moment contre l'exécution de ces deux projets. On conçoit qu'elle puisse se prêter, en apparence, à l'acceptation des réformes civiles. et mêmes politiques, sauf à les rendre illusoires dans la pratique; mais elle comprend trop bien que la sécularisation et le Code Napoléon introduits à Rome, là même ou l'édifice de la puissance temporelle repose, le saperaient dans sa base et le feraient crouler en lui enlevant ses appuis principaux : les priviléges clériaux et le droit canon. Cependant, si l'on ne peut espérer d'introduire une véritable réforme dans le centre même où les rouages de l'autorité temporelle et spirituelle sont tellement confondus qu'on ne saurait les séparer complétement sans courir le risque de les briser, nous croyons qu'on le peut dans les Légations, à condition de séparer de Rome, au moins administrativement, cette partie de l'État. Sans nous flatter qu'une combinaison de ce genre puisse durer éternellement, nous sommes d'avis qu'elle pourrait suffire pour longtemps au but qu'on se propose : pacifier ces provinces, donner une satisfaction aux besoins légitimes des peuples, et par cela même assurer le gouvernement temporel du Saint-Siège, sans la nécessité d'une armée étrangère permanente. »>

Suit tout le projet :

Principauté apostolique sous la haute domination du Pape, mais régie par ses propres lois, ayant ses tribunaux, ses finances, son armée, gouvernée avec des ministres et un conseil d'Etat, par un vicaire pontifical laïque, nommé pour dix ans; une troupe indigène immédiatement organisée au moyen de la conscription militaire; exécution de ces mesures confiées à un haut commissaire nommé par les puissances, et au gouvernement français, dont les troupes remplaceraient temporairement celles de l'Autriche dans les Légations.

Le comte de Clarendon, rendant compte, le 7 juin, à la Chambre des lords, de l'accueil fait à ce mémorandum du comte de Cavour et de son collègue, s'explique en ces termes :

«Le plénipotentiaire français et moi, nous nous sommes accordés à penser que, la question ayant été complétement discutée avec le plénipotentiaire sarde, dans de nombreuses entrevues, il n'était pas nécessaire de faire une réponse par écrit. La note du 27 mars, que je dépose sur le bureau, était, par le fait, la demande de porter la question de l'Italie devant le Congrès qui devait s'assembler à Paris. La meilleure réponse à cette note était de faire ce qu'elle demandait, et la question de l'Italie a été soumise au Congrès.»

C'est ainsi que, le 8 avril, M. le comte Walewski pose le premier, au sein de cette assemblée, la question d'où s'envolent aussitôt,

comme de la boîte de Pandore, les griefs du Piémont et de l'Angleterre. La candeur a pu oublier qu'on ne saurait la refermer, et, comme elle n'a d'ailleurs été qu'entr'ouverte, ce qui reste au fond semble obscur. Nous souhaitons que ce soit l'espérance de l'Église!

On tolérera, sans doute, ma paisible sincérité, car les passe-ports ni les ruses politiques ne sont à mon usage. A plus forte raison, je ne saurais poursuivre, dans la défense du Saint-Siége, un autre but que celui de nos âmes; mais il m'a paru juste de mentionner ces diverses circonstances parce qu'elles peuvent indiquer que M. le comte de Walewski a pris l'initiative sur une si redoutable question afin de la circonscrire dans les limites qu'il ne voulait pas dépasser. En effet, M. le premier plénipotentiaire français ne parle point à ses collègues de la note ni des projets du comte de Cavour; il se borne à proposer un vœu de la double évacuation du territoire pontifical par les troupes françaises et autrichiennes, dès que la sécurité et l'organisation intérieure du pays le permettront, pour mettre un terme prochain à la situation présente qu'il considère comme anormale. Il condamne, de plus, les factions subversives; proteste, en termes fort louables, de la fidélité du gouvernement français au Saint-Siége; mais M. le baron de Manteuffel lui demande si de tels avis ne sont pas de nature à susciter l'esprit d'opposition et des mouvements révolutionnaires, au lieu de répondre aux idées qu'on voudrait réaliser avec une intention certainement bienveillante?

Le comte de Clarendon, discourant ensuite, reconnaît, en principe, qu'aucun gouvernement n'a le droit d'intervenir dans les affaires intérieures des autres Etats, mais qu'il est des cas où l'exception à cette règle devient un droit et un devoir; selon lui, ce cas extrême se présente assurément pour le gouvernement pontifical, puisqu'il se plaint de l'état de siége de Bologne, des brigandages de la campagne; déclare que, si l'on ne porte pas remède aux justes causes du mécontentement, on rendra permanent un système aussi peu honorable pour les gouvernements que regrettable pour les peuples; il prend enfin, pour le compte de l'Angleterre, le projet de séparation laïque des Légations, exposé dans la note sarde, sans toutefois nommer l'auteur.

M. le comte de Cavour succède et juge à propos, devant les puissances réunies, de ne rien ajouter à la mise en scène de ses propres idées, de se taire sur le mémorandum qui a provoqué tous ces débats. N'était-ce pas, cependant, l'occasion d'expliquer comment sa note du 27 mars pouvait assurer le gouvernement temporel de la Papauté, en même temps qu'elle alléguait son incurable mauvaise foi, son impuissance absolue de gouvernement; comment, s'il ne pouvait répondre, pour toujours, de l'efficacité de son remède, il croyait devoir le proposer à la perpétuité de l'Église?

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