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l'ordre politique et financier. Il devint promptement hors de doute que la masse de l'ancien parti libéral et une notable fraction même des républicains modérés ne laisseraient pas faire brèche, sur ce point, à la digue derrière laquelle chacun veillait à son poste. L'occasion de vérifier la portée des bons et des mauvais vouloirs ne tarda pas à s'offrir.

L'Assemblée constituante, dans l'énumération des principes qu'elle voulait poser en tête de son œuvre, rencontra le principe de la liberté d'enseignement. Cet article suscita les plus vives résistances sur quelques bancs. C'était là qu'on allait faire le premier essai de la fermeté de la majorité. Le débat fut long, mais froid. Les dépits et les passions de la Montagne n'éveillèrent point d'adhésions; elles ne provoquèrent pas non plus la répulsion haute et nette de convictions bien enracinées. Une résignation un peu embarrassée se trahissait sur les physionomies. Néanmoins le principe fut voté. Il était aisé de s'apercevoir que le fruit de l'arbre nouveau n'arriverait pas à maturité sans soucis ni labeur.

Le paragraphe inséré dans la constitution était suffisant comme déclaration de principes et comme pierre d'attente. Il ne s'agissait plus que de se bien résoudre à dissiper les difficultés encore subsistantes et surtout à n'en pas soulever de nouvelles dans l'intervalle qui s'écoulerait entre la rédaction théorique et son application.

La Constituante avait à peine ébauché la constitution, qu'elle se trouva, et les catholiques avec elle, en présence d'un événement de la plus haute portée, l'élection du Dix décembre.

IV

Cette phase de nos révolutions appartient désormais à l'histoire; je puis donc sans péril et sans réticence en esquisser les traits qui se rapportent à mon sujet. Le pouvoir actuel a donné lui-même à tous l'exemple, la mesure et la garantie, en publiant officiellement le recueil des discours et documents émanés du Président, dans toute la durée de l'ère républicaine. Je n'ai d'ailleurs, en me reportant à cette époque, aucun frein à m'imposer. Son souvenir ne peut m'inspirer que de la reconnaissance et ne me dictera que des expressions respec

tueuses.

Que promettait aux catholiques la candidature du prince Louis-Napoléon Bonaparte? Que leur apportait-elle de nouveau? Une force ou un obstacle?

Cette candidature posée, des hommes politiques, en assez grand nombre, voulurent, avant de se prononcer pour ou contre elle, entrer en relation avec le prince. La plupart le firent isolément, chacun à son

heure, selon sa préférence ou son hésitation. M. Molé, de si regrettable mémoire, M. Thiers n'entrèrent en pourparlers que dans des rencontres rares et concertées. Des dissidences très-vives se firent jour entre le prince et eux, à l'occasion du manifeste électoral sur lequel il avait voulu appeler leurs conseils, et l'accord politique sembla plus d'une fois, des deux parts, sur le point de se rompre. M. Berryer, dont les relations avec le prince Louis dataient de la conciergerie du Luxembourg, garda la réserve que lui imposait une vie tout entière vouée à la défense d'un seul principe qu'il revendiquait pour le salut des libertés du pays. Le prince n'eut qu'un entretien avec lui avant son élection. Cet entretien eut lieu dans une des salles intérieures de l'Assemblée où tous deux marchèrent longuement côte à côte, sous les yeux de leurs collègues attentifs à cet incident. M. de Montalembert eut plusieurs entretiens avec le prince. Il stipulait là, comme ailleurs, pour la liberté religieuse. Toutes les idées patriotiques et sages furent agitées dans ces audiences confidentielles; toutes les paroles utiles à la France y furent prononcées; tout ce qui pouvait naître des préoccupations du présent et de l'avenir s'y fit jour; tout, excepté l'ambition personnelle. Chacun de ces patrons honoraires de l'ordre public n'apportait et ne demandait que des indications désintéressées, des gages de concorde, des sûretés pour le pays; aucun d'eux ne rencontra une confiance absolue, ni ne promit un concours sans réserve. Le prince, expansif sur les données spéculatives du gouvernement, sur les libertés publiques, sur la décentralisation, plein d'égard pour les engagements contractés dans les longues carrières et dans les vieilles luttes de la patrie, demeurait impénétrable sur ce qu'on eût pu nommer un plan arrêté. Il ne laissait percer qu'une intention toujours formelle, quoique vague, celle de se placer sur un terrain nouveau et d'appeler, dans les limites de la constitution actuellement élaborée, le concours de tous les bons vouloirs, sans acception d'origine. Hors de là, il ne songeait pas plus à formuler des conditions qu'il ne s'en laissait imposer. Ses projets, on peut l'affirmer, n'étaient pas mûrs dans son esprit; il promenait ses regards sur la sphère républicaine et parcourait lentement toute l'étendue de l'horizon. En même temps qu'il témoignait son estime aux chefs avoués de la majorité, il ne cachait pas ses sympathies pour les représentants d'opinions différentes. Enfin il était évident qu'entre tous ces interlocuteurs divers, il réservait le résumé et la clôture du débat à celui qui ne pouvait parler que le dernier, le temps.

La formation du cabinet fut laborieusement discutée dès que l'élection du Dix décembre prit le caractère de la probabilité. Le prince n'était éloigné ni de M. de Lamartine, ni de M. Jules Favre dont le nom fut plusieurs fois prononcé. Ce n'est pas que le futur président de la République voulût accepter indistinctement des méthodes de gouverne

ment, des doctrines ou des caractères si dissemblables; mais il croyait aisément à la possibilité d'encadrer dans son large programme beaucoup d'hommes et beaucoup de choses; il pensait que le nom de Napoléon offrait assez de sécurité à l'ordre pour permettre de risquer impunément beaucoup de tentatives et beaucoup d'avances en sens contraire. Il était évident que son esprit redoutait moins le reproche de témérité que celui de routine, et qu'enfermé dans un dilemme trop resserré, il eût préféré un abîme à une ornière. Le ministère, tel qu'il parut au Moniteur, le 20 décembre, était à peine arrêté à la veille d'être promulgué.

Il était composé de MM. Odilon Barrot, ministre de la justice et président du conseil; Drouyn de l'Huys, ministre des affaires étrangères; général Rulhières, ministre de la guerre; de Tracy, ministre de la marine; de Malleville, ministre de l'intérieur; Passy, ministre des finances; Bixio, ministre de l'agriculture et du commerce; Léon Faucher, ministre des travaux publics'.

A la surprise de beaucoup de gens et surtout à la mienne, je recevais le portefeuille de l'instruction publique et des cultes.

Des neuf membres qui composaient le cabinet, un seul avait eu des relations suivies avec le prince Louis, c'était M. Odilon Barrot. Les autres membres du cabinet étaient non-seulement étrangers au prince et à tout antécédent napoléonien, mais plusieurs même d'entre eux avaient déposé leur bulletin contre sa candidature. Tous ces noms réunis donnaient aux hommes et aux sentiments de l'ancienne gauche les garanties les moins équivoques, aucune au parti catholique. Je lui appartenais notoirement, il est vrai; mais ce n'est pas à ce titre que j'avais été choisi. Loyalement, affectueusement accueilli par mes huit collègues, nous n'en sentions pas moins sur quels points nous étions séparés. Le choix de M. le président avait été attiré sur moi, dans des vues que ne contrariait pas ma couleur religieuse, mais où la politique réclamait cependant la plus large part.

Du reste, tout était indéfini et sans précédent : les attributions, les devoirs, les pouvoirs; tout était nouveau et inconnu le terrain, les idées, les visages; au faîte du gouvernement, M. le président, évitant de se prononcer sur l'avenir, laissant flotter le présent sous une direction en apparence impassible et distraite, s'occupant plus des idées que des hommes, des symptômes de l'opinion que des rouages de la constitution, écoutant beaucoup, discutant très-peu, non par insouciance, comme plusieurs le supposèrent alors, mais par une attente paisible de sa destinée. Accoutumé à voir les événements déjouer la prévision des

Peu de jours après, M. de Malleville et M. Bixio avaient donné leur démission: M. de Malleville fut remplacé par M. Faucher; M. Faucher par M. Lacrosse; M. Bixio par M. Buffet.

sages, indifférent à se voir mal compris et mal jugé, s'appliquant à user les résistances, plus qu'à les vaincre, il visait à s'approprier les bénéfices de la temporisation; mais il ne pouvait le faire sans les abandonner aussi à tout le monde; chacun était mis en demeure et en état d'en user de même; rien ne ressemblait moins à une solution que cette courte trêve. où tout ne s'ajournait que pour se mieux préparer.

Quant aux ministres, ils avaient pour faiblesse la nouveauté des contacts, l'incohérence des antécédents; pour force l'homogénéité de la loyauté et de la droiture. Prudents par tempérament, ils l'étaient encore par nécessité; ils avaient, avant d'entrer en campagne, à s'apprendre eux-mêmes, à constater le véritable sens du mouvement national qui venait de se produire, à pénétrer le personnage demisouverain qui allait présider à tous leurs actes, leur prêter ou leur refuser sa sanction.

V

Si le parti catholique s'était fait alors l'illusion qu'il était entré au pouvoir pleinement et régulièrement, avec une majorité résolue à le soutenir et à le suivre, parce qu'il y comptait un représentant, il eût été immédiatement et rudement averti de sa méprise.

Ceux qu'enveloppaient alors ces difficultés ne pouvaient s'y tromper, et l'on va voir, par un court résumé des faits, s'ils s'en exagéraient l'étendue.

L'Assemblée constituante comptait neuf cents membres; la liberté de l'enseignement, largement comprise, résolûment voulue, comme le premier mode de salut de notre pays, ne réunissait pas deux cents. votes. Cette faiblesse numérique ne fut que trop bien constatée par le sort des amendements proposés sur l'article 9 de la Constitution. Celui qui, par sa rédaction et le nom de son auteur, M. de Tracy, réunissait le plus de chances de succès, obtint cent quatre-vingts voix.

Cependant les lacunes de l'éducation purement universitaire, telles que venaient de les révéler tant et de si pressants périls, rapprochaient de ces deux cents voix beaucoup de représentants dont on ne pouvait calculer au juste le nombre, mais dont il était aisé de pressentir le concours, en les appelant eux-mêmes à constater le mal et à en chercher le remède. Le premier devoir était donc de se concerter avec ces différentes fractions de la majorité. Il importait de le faire en vue du scrutin, dont on ne pouvait alors détourner le regard, sous peine de se montrer insensé. Il importait de le faire aussi en dehors du scrutin, en vue de ce concours de l'opinion, sans lequel une loi, et surtout une loi d'une telle nature, dépérit, même inscrite dans nos codes, sans prendre racine dans les mœurs.

Solliciter le partage des labeurs, invoquer les solidarités, c'était se créer la nécessité de la condescendance; mais c'était aussi, pour le jour de la lutte, s'assurer le concours de volontés et l'alliance d'efforts dont nul ne pouvait se passer. Plus on attache de prix aux heureux effets d'une mesure, plus on doit s'efforcer de lui conquérir la vie. Or, dans toute assemblée, la vie, c'est le vote.

Restait enfin un dernier sentiment, celui de la brièveté du temps qui nous était donné à tous pour une telle œuvre. Depuis l'élection du Dix décembre, la République n'était plus qu'un mot; la France venait de porter contre elle un verdict de mort; son intégrité ressemblait à celle de l'empire ottoman, prolongeant une vie fictive par l'impossibilité de régler à l'amiable son héritage. C'était ce malade que les successeurs divisés s'appliquent eux-mêmes à maintenir dans les apparences de la vie, jusqu'à ce que le plus impatient d'entre eux étende la main, rompe l'accord et jette le gant. Personne ne pouvait prévoir, et les ministres pas plus qu'aucun autre, combien durerait, en France, cette situation bizarre, cette suspension d'hostilités toujours imminentes; mais ce que tout le monde savait ou devait savoir, c'est que, du jour où les conflagrations politiques s'allumeraient, les solutions religieuses seraient de nouveau et indéfiniment ajournées.

Le ministère était entré en fonctions dans les derniers jours de décembre 1848. Le Moniteur du 4 janvier 1849 contenait deux rapports à M. le président de la République, précédant et motivant la nomination de deux commissions chargées de préparer une loi sur l'instruction primaire et une loi sur l'enseignement secondaire; un troisième décret retirait des bureaux de l'Assemblée un projet de loi présenté par M. Carnot. Il n'en fallut pas davantage pour soulever les tempêtes. Un ordre du jour, portant condamnation du ministre de l'instruction publique, fut proposé et rejeté. Ce rejet n'était dû qu'à l'impossibilité constitutionnelle de frapper un ministre uniquement parce qu'il avait retiré un projet de loi. Mais le général Cavaignac avait emporté les regrets intimes de l'Assemblée, et toute occasion semblait bonne pour le témoigner au cabinet. La gauche se prit à soutenir que la loi de l'enseignement, étant une loi organique, ne pouvait être que l'œuvre de l'assemblée elle-même : elle demanda que l'exercice de cette prérogative eût lieu sans délai. Cette seconde proposition fut accueillie, et l'assemblée institua une commission chargée de préparer de son côté une loi organique de l'enseignement. On connaîtra l'esprit de cette commission et par conséquent de la majorité de l'Assemblée, à cette date, en se rappelant qu'elle se donna M. de Vaulabelle pour président, M. Jules Simon pour secrétaire.

Ainsi le premier acte de ce qu'on a appelé l'esprit de transaction et de timidité catholique fut d'entrer, dès le premier jour, en lutte à

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